Discours de M. Arnaud Montebourg, député PS, sur la stratégie de reconquête électorale du parti dans le contexte actuel de mondialisation, Paris le 20 mars 2005.

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Circonstance : Conseil national du parti socialiste à Paris le 20 mars 2005

Texte intégral

Je veux remercier le Conseil national d'avoir été, même si nous n'avons pas pu distribuer le texte autant que nous le pouvions, attentif à l'exposé par Vincent Peillon, Thierry Mandon, nos deux orateurs, de la contribution que nous avons apportée à ce diagnostic.
Nous avons fait le choix d'affronter les questions, et y compris celles qui peuvent nous gêner. Nous ne pouvons pas créer un formidable courant d'espérance, remobiliser, car c'est l'art de l'action publique et politique que de mobiliser, par-delà leurs appartenances, des individus qui veulent croire. Il paraît en effet très difficile de construire une croyance à un moment où plus personne ne croit.
Et c'est bien tout le problème, chers camarades, de la social-démocratie aujourd'hui dans une économie mondialisée, c'est que plus beaucoup de nos concitoyens croient qu'il soit possible de mener des politiques, d'infléchir l'ordre ou le destin du monde.
Et c'est pourquoi nous avons fait et pris le parti d'introduire, et ce n'est pas un texte, comme nous avons pu le lire ou l'entendre, d'opposition, c'est un texte de propositions, d'affronter ensemble un certain nombre de réalités même gênantes de manière à susciter les débats politiques que nous n'avons pas toujours su affronter, surtout lorsque nous étions au pouvoir.
Si nous avons besoin à la fois de modifier les contenus de nos politiques, Thierry à l'instant parlait des problèmes comme d'autres camarades orateurs de la social-démocratie européenne, nous ne pouvons pas nous contenter de dire : voilà, le contenu a changé. Le monde ayant changé dans des conditions telles, à une rapidité extraordinaire sous nos yeux qu'il ne paraît pas inimaginable d'imaginer que, pour convaincre que nous soyons capables de faire évoluer sincèrement ces contenus, de répondre aux questions posées par ceux qui se détournent de nous, et pas seulement en France, partout dans le populisme européen, les phénomènes sont analogues, nous avons l'obligation de travailler sur la transformation des instruments politiques par lesquels nous convaincrons que nous voulons agir autrement.
Et c'est bien là notre idée que nous apportons dans ce débat de la double transformation : d'abord celle du contenu avec les problèmes nouveaux qui ont surgi : la condition salariale, la pauvreté, l'explosion des inégalités, les discriminations, l'individualisme explosif, tel qu'il a été décrit par de nombreux orateurs. Notre problème n'est pas que de constater cela, mais d'élaborer des instruments pour surmonter les contradictions que nous avons à affronter, y compris à travers nos propres concepts que nous entraînons depuis quelques années avec nous.
Sur la question fondamentale, et Martine, tout à l'heure, l'a évoqué comme Laurent, de la mondialisation, on ne peut pas se contenter de dire que finalement, la mondialisation, il y a des gagnants et des perdants et que nous ne pourrions pas trancher cette question. C'est une question fondamentale parce que, si les inégalités ont explosé dans notre pays et dans tous les autres de l'Europe occidentale, si nous sommes confrontés à une mise croissante en concurrence de la condition salariale, des protections sociales, du niveau des fiscalités, des marges de manuvre des États providence, du rôle des États, ex-nations, qui cherchent à s'associer pour peser sur le cours du monde, si nous en sommes là c'est précisément, et si les socio-démocrates qui, historiquement, dans leur histoire, mais dans leur génétique, ont installé l'action à l'intérieur d'un État-nation, de l'État-nation comme le moyen d'infléchir la répartition de la richesse, transformer les conditions de la vie en commun et de la société, aujourd'hui, ce sont les instruments même de la social-démocratie qui sont attaqués, voire anéantis dans la plupart des usages qu'ils ont pris l'habitude de faire.
Et voilà pourquoi on ne peut pas se contenter de dire : ça, on ne l'avait pas fait, maintenant, on va le faire. Nous devons regarder en face les problèmes stratégiques, instrumentaux, qui aujourd'hui nous posent des questions considérables.
Chers camarades, la question de la mondialisation est donc centrale pour nous. Elle est centrale parce que c'est la question des marges de manuvre et de l'action sur l'ordre du monde.
Vous pouvez faire croire tout ce que vous voulez, que les Chinois ont des salaires qui augmentent très vite et d'une façon surprenante, une chose est certaine, et lorsqu'on discute de la question démographique terrestre, on voit bien que, et j'en parlais il y a peu avec Pierre Joxe qui revenait de Chine, à chacun son voyage, il disait : sais-tu combien il y a de violonistes en Chine ? Je dis : je ne le sais pas. Il m'a répondu : il y en a 60 millions, c'est-à-dire autant que la France. Donc, dans dix ans, les meilleurs violonistes au monde seront tous chinois. Et il me dit, ceci peut être distrayant, pour ajouter : ils font exactement ce qu'ils ont fait dans le piano ou le violon dans la haute technologie.
Donc nous sommes aujourd'hui confrontés à des défis démographiques et des problèmes politiques pour nous-mêmes car, lorsqu'un socialiste a ouvert l'OMC à la Chine, il n'a jamais été question de re poser les contreparties démocratiques. Martine, si les Chinois voient leurs salaires augmenter, ont-ils au moins le droit de se syndiquer ? Ont-ils au moins le droit de discuter de la pollution engendrée par l'augmentation non pas tellement des salaires, mais surtout des profits de ceux qui investissent en Chine ?
Nous sommes internationalistes bien sûr, mais nous ne sommes pas internationalistes solidaires avec les actionnaires qui, en effet, ont réussi à faire de la mondialisation le moyen d'enrichir et de servir davantage leurs dividendes. Nous sommes internationalistes à l'égard des les travailleurs de tous les pays qui, dans l'organisation actuelle du commerce international, ne peuvent pas être soutenus pour organiser leur propre protection.
Donc on ne peut pas se contenter de dire : il y a des perdants, il y a des gagnants. Il faut choisir, il faut trancher, et il faut bâtir à partir de ce diagnostic, qui est d'une cruauté inqualifiable, capitalisme nouvelle formule, est devenu d'une voracité financière considérable, d'une cruauté sociale nouvelle, et ceux qui sont confrontés, qui regardent, ne serait-ce que la question de la santé au travail, de l'augmentation du productivisme, de ce qu'est, comme le disait Martine tout à l'heure, ce que représentent les 15 % de ratio de rentabilité sur des investissements financiers, ce que cela représente de souffrance au travail, ces questions tout à fait fondamentales doivent être tranchées d'une façon claire, nette, analytique et politique.
Chers camarades, vous voyez que, si nous regardons non seulement la question fondamentale qui doit nous guider dans la construction de nos analyses, c'est-à-dire la mondialisation, nous pourrions faire la même chose avec la question de la croissance. Nous avons toujours dit que c'était là une marge de manuvre politique pour la social-démocratie et toute la période de la législature 1997-2001, nous l'avons bâtie sur cette croyance. Et aujourd'hui, les grandes données démographiques, climatiques, planétaires et énergétiques nous disent que nous ne pourrons plus compter sur une croissance. Et à un moment précisément où cette croissance que nous ne pourrons plus financer est en train de faire la démonstration qu'au-delà de 3 %, déjà bien difficiles à atteindre, il devient de plus en plus difficile avec la transformation de ce capitalisme d'espérer qu'il n'y ait pas de destruction d'emplois.
Elle ne crée plus d'emplois, nous l'avons toujours mise au cur de notre dispositif intellectuel et politique, et en plus, voici que des défis, ce que nous appelons les trois chocs, viennent frapper de plein fouet l'ensemble de ce que nous avons toujours pensé sans que, à aucun moment, on n'évoque ces questions dans notre diagnostic.
Dans dix ans, même pas, 2012, il y aura 7 milliards d'êtres humains sur la planète. Nous ne savons pas, d'ailleurs, si la planète pourra les nourrir. Il se peut même que, alors que nous détruisons notre appareil de production agricole en Europe, nous ayons commis une grave erreur politique que d'avoir détruit ce qui restait de nos capacités de production agricole. On va se battre certainement pour l'eau, la nourriture, l'énergie. Mais de tout cela, des socialistes doivent être capables de faire autre chose que de prolonger les courbes habituelles à partir desquelles ils raisonnent.
Croissance : comment la financerons-nous ? Nos politiques publiques ne peuvent plus être à l'identique. C'est une des raisons pour lesquelles, chers camarades, j'en invoque à un point fondamental qui est un point qui était, dans le programme de Jaurès, face à la puissance du marché, à la violence de ce capitalisme, que reste-t-il aux citoyens du monde ? Le fait d'être intégralement citoyen, et donc d'utiliser l'arme démocratique.
Tout à l'heure, un camarade parlait de révolution démocratique. Vous pouvez toujours faire tous les programmes que vous voulez, si vous n'associez pas, ne construisez pas des processus qui permettent d'organiser la mobilisation politique autour d'un débouché politique, s'il n'y a pas les instruments démocratiques pour l'obtenir, comment sera-t-il possible d'agir ?
Et de ce point de vue-là, la question de la démocratie française, j'ai lu dans le texte de la direction que la Ve République était essoufflée, elle n'est pas essoufflée, elle est morte, chez camarades. Où est sa base majoritaire ? Qui soutient ce système autoritaire et bonapartiste ? Tout cela n'a pas de sens. Donc, dans un mécanisme d'analyse, ayons le courage de dire qu'on ne pourra pas s'en sortir si nous ne proposons pas comme instrument du rétablissement de la confiance, et donc de l'espérance, un instrument démocratique qui permettra aux citoyens de croire qu'il est possible que, par la démocratie et son vecteur, son magnifique véhicule, il sera possible de transformer un tant soit peu l'ordre du monde. Si on leur propose de travailler peut-être autrement dans le même logiciel, je crains qu'il faille un jour changer l'ordinateur.
Nous avons, je crois, beaucoup de travail. Étendons le champ de nos analyses. Assumons les difficultés de ce qu'est devenu le capitalisme et regardons, appelons un chat un chat, lorsque Peter Mandelson*, qui est l'homme damné de Tony Blair, déclarait il y a peu Je vous le lis parce que Alain Vidalis retrouvera, lui qui pense à juste titre que Jean-Pierre Raffarin est une sorte de Mme Thatcher du Poitou en un peu plus rustique, disait-il), je voulais lui livrer la phrase du Commissaire européen actuel au commerce, M. Mandelson, qui est un camarade travailliste, face au besoin urgent de supprimer les rigidités et d'inclure de la flexibilité dans les marchés des capitaux du travail et des marchandises, nous sommes tous des Thatchériens.
Nous avons là finalement la preuve que nous aurons quelques problèmes, en effet, dans quelque temps, à assumer un diagnostic courageux. Et nous risquons, c'est vrai, cherche camarades, d'être un peu seuls car je crois qu'ici, nous ne sommes pas Thatchériens. Et si nous ne sommes pas Thatchériens, c'est parce que nous pensons en effet que la concurrence n'est pas un programme politique. La concurrence est parfois un bien lorsqu'elle sert nos intérêts et un mal lorsqu'elle dessert nos intérêts. De ce point de vue, chers camarades, nous avons à assumer déjà dans la construction de notre diagnostic, peut-être une forme j'allais dire nécessaire et inévitable de solitude constructive.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)