Interview de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, à Radio Classique le 10 mai 2005, sur le projet de loi sur l'égalité salariale, le travail des femmes et notamment le travail à temps partiel.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Bonjour N. Ameline.
R- Bonjour.
Q- Avant d'interroger la ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle sur le texte qu'elle va défendre devant l'Assemblée cet après-midi, des nouvelles de J.-P. Raffarin sorti hier de l'Hôpital du Val de Grâce après son intervention chirurgicale. Comment va le Premier ministre ?
R- Je crois qu'il va très bien, le mieux possible. Il est très solide et très courageux.
Q- Toujours combatif ?
R- Absolument.
Q- Dans la perspective du référendum, on parle un petit peu d'ambiance de fin de règne à Matignon, en ce moment ?
R- Oh ! Vous savez ce n'est pas la première fois, mais je crois qu'il faut être au-dessus de ces interprétations, qui finalement ne rendent pas service à la France, nécessairement et surtout à une période extrêmement importante, puisque effectivement à la fin du mois nous aurons une décision essentielle pour l'avenir de notre pays et c'est cela qui compte.
Q- L'Europe bien sûr, c'est ce dont vous voulez parler ?
R- Absolument.
Q- Et puis décisions politiques aussi peut-être, remaniement gouvernemental ?
R- Mais l'Europe d'abord.
Q- Merci madame Ameline. Alors parlons du sujet qui vous tient à coeur, qui vous a déjà beaucoup occupé et qui va encore le faire pendant de nombreuses heures : le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Vous vous donnez cinq ans, pour appliquer l'intégralité de ces mesures. Les inégalités sont trop criantes aujourd'hui encore ?
R- Oui, nous avons des textes nombreux sur le sujet, mais une application extraordinairement inégale, pour ne pas dire inexistante. Alors j'ai décidé effectivement, lorsque je suis arrivée à la tête de ce ministère, de changer radicalement la méthode, pour associer les entreprises, les partenaires sociaux, le monde de l'économie à cette réforme nécessaire. Et je crois que nous avons réussi, c'est donc un texte pragmatique, juste et qui réunit me semble-t-il les conditions du succès.
Q- Il repose sur quatre points bien précis, ce texte. On peut les rappeler rapidement ?
R- Alors il repose d'abord sur la suppression, en cinq ans, des écarts salariaux injustifiés bien sûr, car une part de ces différentiels de salaire n'incombe pas aux entreprises, je m'empresse de le dire. Cela ressort des problèmes d'inadéquation des cursus professionnels au regard des emplois. Le deuxième point, c'est très important, c'est la réconciliation de la maternité et de l'emploi et ça c'est formidablement attendu par un nombre considérable de femmes. Et puis il y a aussi une aide dans la prise en charge des frais de garde sur les questions de formation, pour les femmes, c'est très important qu'elles entrent totalement dans cette culture de la compétence, qui caractérise notre économie moderne et puis quatrièmement, il y a un effort assez significatif dans le domaine de la parité, des logiques paritaires notamment au sein des conseils d'administration des entreprises publiques.
Q- On va essayer de voir ça dans le détail madame la ministre. Mais quand même cinq ans, c'est à la fois court et long finalement. Ne pourrait-on pas appliquer immédiatement les mesures que vous préconisez ? Pourquoi cinq ans ?
R- Elles vont s'appliquer immédiatement, mais ce que nous avons décidé de faire, c'est de fixer des objectifs très clairs avec une injonction de résultats. En revanche les moyens d'atteindre ces objectifs, relèvent du dialogue social dans l'entreprise. Je crois que c'est une gouvernance moderne. Pourquoi ? Parce que nous laissons la loi fixer encore une fois un cadre, des règles, mais nous faisons un appel au contrat, à la négociation, pour atteindre ces objectifs. Et cinq ans, je crois que c'est un délai juste, raisonnable et réaliste.
Q- Alors supprimer les écarts de rémunérations entre femmes et hommes, en prenant appui sur les négociations dans les branches professionnelles...
R- Voilà.
Q- Là vous êtes sûr d'avoir les syndicats avec vous, non ?
R- Oui. Nous les avons largement...
Q- C'est gagné d'avance ?
R- En tout cas, j'ai tout fait pour cela, parce que je crois qu'on ne peut pas réformer la France, si nous n'avons pas cette démarche concertée de responsabilités partagées. Mais ce qu'il faut retenir dans ce que vous dites, c'est qu'il y a une contrainte importante au départ, puisque les accords salariaux dans les entreprises seront applicables si ils comportent un volet égalité salariale. C'est une nouveauté, c'est une novation sociale, importante, parce que c'est une incitation qui à mon avis est en soi extrêmement contraignante.
Q- Alors certes, renforcer les droits des femmes c'est bien, c'est nécessaire, mais les entreprises elles, elles sont confrontées, madame la ministre, aux réalités quotidiennes du terrain, les réalités économiques. Est-ce que vous allez les aider à appliquer ces mesures ?
R- Oui et je souhaite déjà qu'elles comprennent, et c'est largement le cas, qu'elles ont un intérêt à agir. Car l'évolution du contexte démographique va priver la France comme beaucoup de démocraties contemporaines, européennes, d'une très grand part de compétences liées au départ massif en retraite. Cela veut dire en clair que l'économie moderne a besoin de tous ses talents. Ne pas valoriser la performance aujourd'hui des femmes, c'est contre-productif, c'est contre économique, c'est un contresens et ce que nous avons réussi à faire, c'est faire partager aux PME comme aux plus grandes entreprises, l'idée que l'égalité qui n'est pas un égalitarisme, mais qui est plutôt une véritable égalité des chances est une dynamique de croissance et d'emploi.
Q- Mais concrètement, en aides financières, ça veut dire quoi, pour les PME, PMI, peut-être les plus inquiètes ?
R- Pour l'aide financière des PME/PMI, elle se caractérise par une subvention de 400 euros pendant la durée de congés maternité. C'est quelques semaines à peine. C'est simplement une aide à l'ingénierie, je dirais, pour dédramatiser cette période qui est souvent vécue comme une difficulté pour le chef d'entreprise et pour la jeune femme enceinte.
Q- La réconciliation de l'emploi et de la parentalité, vous avez réfléchi, je crois à un bonus pour les femmes qui ont élevé des enfants ? De quoi s'agit-il ?
R- Oui, il s'agit simplement d'abord de faire en sorte que les femmes puissent très largement revenir à l'emploi. Alors nous avons, ce n'est pas dans la loi, mais c'est un...
Q- Un chantier, une réflexion ?
R- Un chantier très important, faire en sorte qu'il y ait une sorte de validation des acquis de l'expérience familiale. Et je crois que c'est utile, parce qu'il faut que les femmes qui ont des enfants, considèrent que c'est une plus value pour elle-même, pour la nation et pourquoi pas pour l'économie. Nous sommes dans un schéma qui est encore trop rattaché au siècle dernier, nous devons évoluer, parce que les deux défis de l'Europe moderne, c'est l'emploi au féminin et la démographie. Et nous avons un modèle français qui finalement est très équilibré, puisque plus les femmes travaillent mieux elles travaillent, plus elles ont des enfants. Donc consolidons ce modèle et c'est l'objet de cette loi.
Q- Alors autre point c'est la promotion de l'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles. En clair, il s'agit de réduire l'écart de représentativité entre homme et femme au sein des conseils d'administration ?
R- Il est temps, il est temps. Parce que là aussi, mettons la représentativité des femmes en phase avec notre temps. Nous avons encore des progrès importants à faire sur ce terrain. Alors ce texte a deux aspects essentiels : la reconnaissance de la performance économique et la représentativité des femmes. Et sur ces deux sujets, nous avons vraiment à accélérer l'histoire, je dois dire d'ailleurs que l'Etat lui-même doit être plus exemplaire sur ce terrain de la représentativité des femmes.
Q- Vous en avez parlé avec vos consoeurs, enfin vos collègues ?
R- Absolument. Absolument.
Q- Et confrères et donc ils ont décidé de mettre un peu d'eau dans leur vin, justement en matière de gestion de la parité dans les entreprises publiques ?
R- Oui, parce que c'est absolument indispensable que l'Etat soit exemplaire et que nous puissions démontrer nous-mêmes que ce que nous demandons aux entreprises privées, nous l'appliquons aussi dans notre champ de compétence. Cela veut dire que sur ce terrain, nous mettrons vraiment l'accent, y compris sur les postes qui relèvent de la nomination du Gouvernement, d'une manière plus générale, sur une logique paritaire efficace.
Q- Est-ce qu'il n'y a pas quand même, madame Ameline, un absent dans tout cela : le temps partiel. On sait que ce problème est l'un des principaux facteurs de précarité en France. Et beaucoup de femmes sont concernées par le temps partiel ?
R- C'est évident. Il y a d'autres sujets qui d'ailleurs corroborent...
Q- Vous n'en parlez pas dans le texte.
R- Non, non, parce que le temps partiel doit faire l'objet d'une concertation avec les syndicats et les partenaires sociaux, ce qui est parfaitement logique et donc c'est un chantier qui est totalement, qui n'est pas déconnecté, mais qui est tout à fait à part et que nous allons d'ailleurs engager, qui est déjà sur la table, mais qui nécessite, là encore, un véritable dialogue social. Je ne vois pas d'ailleurs pourquoi on se priverait de cette qualité de la négociation qui nous permet d'avancer et de faire en sorte que ce soit la France qui s'engage. C'est-à-dire pas seulement le Gouvernement, mais les partenaires économiques.
Q- Idem pour les emplois peu qualifiés ? Vous n'en parlez pas dans votre texte ?
R- Les emplois peu qualifiés ont fait l'objet d'un rapport que j'ai commandé et qui nous permettent de considérer aujourd'hui qu'effectivement la précarité pour les femmes, qui est un vrai phénomène social, quantitatif, très important, trouve sa solution dans la consolidation dans l'emploi. C'est pourquoi d'ailleurs avec J.-L. Borloo, nous faisons en sorte que le plan de cohésion sociale intègre bien ces logiques paritaires, de manière à ce que les femmes bénéficient prioritairement des dispositifs de solidarité nouvelle que nous avons mise en place. Mais sur le temps partiel, c'est le prochain chantier, avec un autre chantier aussi important, qui est la formation. Puisqu'en deux ou trois ans, nous devons rattraper le retard en terme de validation des acquis de l'expérience, en terme de qualification, d'innovation sociale, d'ailleurs au service de l'emploi. Je pense à des recrutements nouveaux, comme le recrutement sur habileté, toute une série de, je dirais d'instruments, d'outils nouveaux, qui vont nous permettre, encore une fois de faire en sorte de l'économie soit tout à fait en phase avec son temps.
Q- Les réactions à votre projet de loi sur l'égalité salariale entre hommes et femmes : pour la CFTC, votre texte est réduit à une pédagogie, faute de visibilité dans les futures négociations avec le patronat. Et puis pour l'UNSA, c'est une loi de plus.
R- Oui, les autres réactions sont généralement beaucoup plus positives et surtout je réaffirme avec force que ce texte est le produit du dialogue social et que de ce fait il est très juste, parce que c'est un texte qui se suffit à lui-même. L'égalité salariale, c'est la première traduction de l'inégalité professionnelle. Les autres chantiers sont en cours et je considère que cinq ans, pour réussir, cela nous place en avant-garde européenne.
Q- Un de vos arguments est de dire que ce projet de loi permet de consolider au sein de l'Europe, le modèle social français. Vous pensez réellement, madame, que ce modèle social français peut s'imposer en Europe, être en quelque sorte un aiguillon ?
R- Je le pense et je l'affirme car aujourd'hui notre modèle social français concilie parfaitement des femmes qui sont massivement désireuses de travailler et qui ont des enfants. Nous avons un taux de natalité de 1,9 qui est un excellent taux européen. Beaucoup de pays européens n'ont pas cette chance, simplement, nous, nous avons à le consolider et à le parfaire, parce que beaucoup de femmes sont dans une situation de précarité insupportable.
Q- Et essentiellement dans certains pays, pour ne pas citer la Turquie qui ont été intégrés, enfin pas la Turquie, mais certains pays qui ont été intégrés ou qui le seront bientôt dans l'Union européenne, la parité homme femme, là on n'en parle pas vraiment ?
R- Alors bien sûr...
Q- Il faudra être prudent.
R- Il faut qu'on soit... d'ailleurs maintenant, la Constitution reconnaît l'égalité comme une valeur et comme un objectif, ce qui en fait un critère essentiel dans l'adhésion des futurs candidats. Ce qui est très important, parce que, personnellement, je considère que c'est une victoire pour les femmes que de voir ce principe érigé en critère absolu d'adhésion pour les futurs candidats européens.
Q- Donc "oui" à l'Europe de demain ?
R- Evidemment.
Merci, N. Ameline, ministre de la Parité et de l'Egalité
professionnelle. Je vous laisse économiser un petit peu votre voix
avant le début qui débute à 17 heures à l'Assemblée nationale.
Merci madame et bon courage.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mai 2005)