Tribune de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 27 mai 2005, sur le principe de solidarité entre les Etats européens en matière de défense, intitulée "Les mensonges du non".

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Quand en décembre 2004, le Conseil européen a entériné l'accord conclu entre la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni sur la défense européenne, l'ensemble de nos partenaires y a vu la victoire de la vision portée depuis près de vingt ans par la France et l'Allemagne.
Pourtant, on voit fleurir ici et là des formules lapidaires, telles que "l'Otan devient l'instance de mise en oeuvre de la politique de défense de l'Union européenne". On pourrait plaider l'incompétence ou l'absence de culture stratégique, mais, lorsqu'elles viennent d'un ancien ministre de la Défense, on est bien obligé de se rendre à l'évidence : faute d'arguments et de projets, le mensonge est l'argument ordinaire de la campagne du non.
Qu'en est-il en réalité ? Ce traité constitutionnel est le texte le plus européen que nous ayons jamais obtenu.
Ayant eu l'honneur de servir au ministère de la Défense au début des années 90, j'ai le souvenir des débats d'alors pour savoir si l'Union de l'Europe occidentale, qui faisait "partie intégrante du développement de l'Union européenne", pourrait un jour être intégrée dans celle-ci... L'idée même que l'on puisse un jour affirmer le principe de solidarité et d'assistance mutuelle entre les Etats membres de l'Union européenne relevait alors de l'utopie. Nul n'imaginait que l'on puisse permettre, comme le fait le présent traité constitutionnel, aux Etats les plus déterminés de se regrouper au sein de "coopérations structurées", dans le cadre de l'Union européenne, pour aller plus loin et plus vite dans la construction d'une Europe de la défense.
Mesurons le chemin parcouru. La Constitution européenne, c'est la promesse d'une Europe forte au service de nos valeurs et de nos intérêts.
Abattons ensuite le mensonge sur la prétendue subordination de l'Union européenne à l'Otan.
Que dit le texte ? L'évidence : il rappelle que certains membres de l'Union européenne sont aussi membres de l'Otan et que ces Etats considèrent leurs engagements dans l'une et l'autre des organisations comme compatibles. C'est bien le moins. Sauf à vouloir que la main gauche ignore ce que fait la main droite.
Les partisans du non évoquent par ailleurs les modalités de mise en oeuvre des accords de "défense collective" qui lient les Européens. Ce terme est sciemment déformé de son sens profond pour lui donner une signification très large qu'il n'a pas. La "défense collective" est un concept très précis se référant à la mise en oeuvre des clauses d'assistance mutuelle, telles que les articles 5 des traités de Washington et de Bruxelles.
Arrêtons la théorie du complot : l'Union européenne ne se substitue pas plus à l'Otan qu'elle ne s'y subordonne. Cette clause du traité répond à la question : que se passerait-il en cas de conflagration militaire majeure en Europe ? Avant la Constitution, seule l'Otan était compétente. Face à l'agression de l'un de ses membres, l'Union européenne n'avait aucune compétence. Elle n'avait rien à dire et devait se contenter de regarder passer le train de l'histoire.
Pour la première fois, la Constitution instaure une obligation d'action en soutien d'un Etat membre de l'Union européenne agressé, que celui-ci soit ou non membre de l'Otan. Elle fait de l'Union un acteur à part entière. Si l'Etat est également membre de l'Otan, l'UE et l'Otan sont donc désormais également compétentes. Pour organiser le rôle de chacun, la Constitution précise en toute logique que les Etats européens membres des deux organisations considèrent qu'ils mettront en oeuvre les engagements politiques de "défense collective" qui les lient en utilisant le cadre de l'Otan. C'est-à-dire que l'organisation de la défense la plus englobante sera le cadre de leur réponse.
Si l'Otan n'était pas tenue d'intervenir (dans le cas d'une agression contre un Etat européen non membre de l'Otan, comme la Suède ou Malte), ou si l'Otan venait à se dérober à ses obligations (si le Sénat américain refusait d'intervenir en Europe), les membres de l'Union européenne resteraient liés par les engagements pris dans le cadre de la Constitution européenne, et tous les Etats membres de l'Union européenne auraient l'obligation de porter assistance à l'Etat agressé.
Comment ne pas voir qu'une telle clause renforce la France et l'Europe ? Pour la première fois, elle consacre le principe politique de solidarité entre Etats européens, donc une communauté de destin. C'est une garantie de sécurité supplémentaire pour nos concitoyens.
Adopter la Constitution européenne, c'est donner un nouvel élan à l'Europe de la défense. La France est déjà passée à côté de l'histoire en 1954 en refusant la Communauté européenne de défense (CED) ; cinquante ans plus tard, l'Europe n'a toujours que des embryons de défense commune. Faut-il considérer qu'à jamais l'Europe remette dans la main des autres sa propre sécurité ?
Comment peut-on accepter que les forces françaises dépendent du système de navigation par satellite américain, le GPS ? Cela veut dire que si les Américains le voulaient, ils pourraient rendre inutilisables nos services de navigation et de repérage. Les Européens ont décidé de construire leur propre système de radionavigation, Galileo. Dès lors, la question se pose de son extension au domaine de la sécurité et des armées.
Comme beaucoup de civils ou de militaires, je me refuse à considérer l'humiliation d'un pays, la France, attendant les photos des satellites américains pour permettre éventuellement à nos aviateurs d'intervenir dans les Balkans, faute de moyens d'observation par satellites propres à l'Europe, capables de voir de tout temps, de jour comme de nuit.
La Constitution est un progrès substantiel, elle n'est pas l'achèvement d'un processus. Mais ce que je sais, c'est que voter non, c'est manquer toute chance d'arriver à une défense européenne crédible et opérationnelle. La souveraineté de la France passe par l'Europe.
(Source http://www.udf-europe.net, le 27 mai 2005)