Interview de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, à RTL le 21 mars 2005, sur la coopération spatiale entre la France et la Russie, la situation en Tchétchénie et le référendum sur la Constitution européenne.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour F. d'Aubert. Il s'en passera des choses en 2007. Normalement, entre autres événements, c'est cette année-là que les fusées russes Soyouz seront lancées depuis la base de Kourou en Guyane, un accord en ce sens vient d'être signé la semaine dernière par le CNES, côté français, et par l'Agence russe Roscosmos. Les Russes ne sont-ils plus en état de lancer tout seuls le Soyouz ? Il faut leur donner un coup de main F. d'Aubert ?
R- J'ajouterai "avec l'Agence Spatiale Européenne". C'est de l'européen qu'on crée positif pour les prochaines années sur l'espace. On a une coopération Europe/Russie, France/Russie avec la Guyane, sur la Guyane, parce que Soyouz c'est un lanceur dont nous avons besoin, en complément d'Ariane.
Q- Pourquoi ?
R- Parce que c'est un lanceur moyen, qui peut emmener des charges utiles, des satellites de trois tonnes, alors qu'Ariane c'est neuf/dix tonnes. Donc il faut avoir une gamme pour pouvoir occuper l'espace, pour pouvoir avoir accès à l'espace, ce qui est essentiel sur le plan stratégique, technique, des communications, et on a besoin d'offrir cette gamme au client. Ariane Espace a quarante-cinq clients en ce moment, et elle doit pouvoir lui offrir des lanceurs de tailles différentes. Il y a une gamme à avoir.
Q- C'est aussi un coup de main donné aux Russes. On imagine que dans ce pays où les difficultés s'accroissent, peut-être qu'ils ont des difficultés pour les lancer tout seul.
R- C'est partagé. Les Russes ont une capacité. Ils ont des Soyouz en réserve. Ils ont une expertise qui est très forte sur le spatial. Nous aussi, mais pour les lanceurs de l'avenir, c'est bon d'avoir cette coopération là.
Q- On le voit à cet accord, les relations entre la France et la Russie sont au beau fixe. Et puis la visite de V. Poutine à Paris vendredi a confirmé ce sentiment. Pendant ce temps, les témoignages s'accumulent sur les horreurs perpétrées par l'armée russe en Tchétchénie. Mais au fond, les Tchétchènes peuvent bien mourir, ce n'est pas la patrie des droits de l'homme qui dira quelque chose contre cela !
R- Écoutez ! il y a la question de la Tchétchénie qui est évoquée régulièrement par le président de la République avec Poutine.
Q- Pas vendredi.
R- Et qui l'est régulièrement, peut-être dans d'autres circonstances moins publiques...
Q- Vendredi, il a oublié d'en parler, visiblement.
R- ... et qui est importante, c'est vrai. Si la Russie veut être proche de l'Europe, pas entrer dans l'Europe, mais être proche de l'Europe, et être dans le concert international, c'est vrai qu'il doit y avoir un vrai respect des droits de l'homme partout.
Q- Mais il n'y a aucune pression de l'Europe, de la France singulièrement, pour que la Russie sorte de ce bourbier tchétchène. On laisse faire les Russes ce qu'ils veulent là-bas. Ça ne vous choque pas, F. d'Aubert ?
R- Personnellement, je pense que les droits de l'homme c'est essentiel bien sûr. Ce sont nos valeurs, ce sont les valeurs européennes, ce sont des valeurs plus larges que cela et il est important qu'un pays qui a subi pendant des années le totalitarisme, puisse renoncer à certaines méthodes. C'est aussi la question de traiter les minorités dans les nouveaux pays. C'est une question qui se pose à l'échelle mondiale. Et cette question des minorités fait partie du corpus de valeurs qui est à respecter - tout à l'heure, on parlait de l'Europe. Dans les valeurs européennes, qui sont inscrites dans la Constitution, il y a précisément notre conception des droits de l'homme qui doit être plus répandue et qui doit au fond être encore plus universelle.
Q- Mais vous, vous constatez dans votre département ministériel combien il y a l'action politique d'un côté et la morale de l'autre. Et on n'y peut rien.
R- Dans la Recherche, ce n'est pas ça la question.
Q- Je pensais à l'accord franco-russe.
R- Là, on est sur une question de coopération, qui est forte depuis d'ailleurs longtemps avec les Russes. D'autres pays en font - les Etats- Unis ont une coopération aussi dans le domaine spatial avec les Russes qui est importante. Mais ça n'empêche pas qu'il faut évoquer, quand c'est nécessaire, la question des droits de l'homme chez les minorités, dans la manière dont sont traitées les minorités en Russie.
Q- Sondage Ipsos/Le Figaro ce matin : 52% pour le "non" à la Constitution Européenne. Vous pensez que le non peut gagner, F. d'Aubert ?
R- Il faut surtout que les partisans du oui, dont je fais partie, se remuent.
Q- Il y a danger ce matin ?
R- Il y a une campagne à mener. Danger, pas danger, je ne sais pas, mais il y a un besoin de mobilisation et il y a un besoin d'explications. La France a besoin de cette Constitution européenne, et l'Europe a besoin de cette Constitution-là pour se poser, se positionner, s'identifier. En plus cette Constitution répond à des préoccupations françaises. Je prends un exemple : le contrôle démocratique, il va s'exercer à la fois au travers du Parlement européen sur les instances européennes, mais le Parlement français - et ça c'est demandé depuis longtemps - va pouvoir exercer aussi son contrôle sur la subsidiarité, c'est-à-dire sur un certain nombre d'actions qui sont menées à d'autres niveaux, à un niveau infra européen, qui sont menées en France dans les régions, mais financées par l'Europe, alors qu'aujourd'hui ce n'était pas tout à fait le cas. Donc cette Constitution, elle rectifie en même temps un certain nombre, pas de dérapages, mais de difficultés européennes qui sont liées à une certaine bureaucratisation, et puis c'est vrai qu'on en a besoin pour avoir des actions concertées plus fortes, et puis pour avoir de l'efficacité européenne.
Q- Pourquoi le camp du "oui" a t-il du mal à se mobiliser selon vous, F. d'Aubert ?
R- Parce que d'abord on a peut-être pris un peu de retard, mais on est encore à deux mois des élections, et les arguments sont tellement nombreux en faveur du "oui" que peut-être ne les présente t'on pas tous, et on a tort parce qu'il y a beaucoup de choses à dire sur le oui. Par exemple l'efficacité. En ce moment vous avez une présidence tournante européenne. Ça change tous les six mois. C'est vrai que ça rend l'Europe d'une certaine manière assez difficile à gérer ! Là, on aura une présidence européenne élue pour deux ans et demi, peut-être renouvelable sur cinq ans. Je crois que ça aussi c'est du positif.
Q- Ça n'excite sans doute pas les foules tout ça hein ?
R- Écoutez, il ne faut pas dire ça. On ne peut pas dire à la fois "ça n'attire pas les foules", et en même temps foutre la trouille à tout le monde en disant que l'Europe a tel ou tel défaut ou telle ou telle qualité.
Q- Et J. Chirac, on ne l'entend pas beaucoup, c'est ce que notait A. Duhamel.
R- Le président de la République est personnellement engagé en faveur de cette Constitution. Il se bat sur tous les thèmes qui sont là, qui permettront à la France, au travers de la Constitution, d'être plus forte et d'être plus influente.
Q- Une question précise, F. d'Aubert, pour terminer : quand présenterez-vous en Conseil des ministres le projet de loi sur la Recherche que vous promettez déjà depuis plusieurs mois ?
R- On espère après une large concertation, qui a lieu actuellement avec les organisations de chercheurs, le présenter soit à la fin du premier semestre, soit à la rentrée parlementaire du mois d'octobre.
Q- Ce n'est pas très précis encore. Cela fait un an que ça discute quand même hein. Ce n'est pas facile hein ?
R- Ça fait un an mais vous savez il y a beaucoup d'argent à répartir. Il y a 6 milliards, c'est-à-dire un effort très important sur la Recherche. Donc il est normal que les modalités en soient longuement discutées.
F. d'Aubert, qui présentera bientôt en Conseil des ministres le projet de loi sur la Recherche, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mars 2005)