Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie à "LCI" le 12 avril 2005 sur les intentions de vote au référendum sur la Constitution européenne, sur le climat économique, les privatisations de EDF, GDF, Areva et sur l'implantation d'ITER à Cadarache.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Vous l'avez constaté comme moi : au fil des enquêtes d'opinion, le "non" s'installe, il est majoritaire jusqu'à présent, et le "oui" reste faiblard : on a l'impression qu'il n'est pas très vaillant à gauche et qu'il s'affaiblit à droite. Pensez-vous que le "oui" est aujourd'hui très mal parti ?
R- Non, je pense que l'on est dans une phase pédagogique d'abord, d'incertitudes, dans une phase aussi de mauvaise humeur, où les Français découvrent d'ailleurs que l'extension de l'Europe, son élargissement, a finalement nui à la France, c'est-à-dire qu'il a diminué son influence, il l'a relativisée dans l'ensemble européen. Mais je pense que la pédagogie va faire son uvre, comme toujours d'ailleurs dans notre pays : quand on s'adresse à l'intelligence des Français, on finit par obtenir une réponse, même si dans un premier temps, il y a lieu à avoir beaucoup de mauvaises humeurs. Et c'est dans les trois dernières semaines que cela se joue, comme d'habitude.
Q- Est-ce que cela ne va pas aussi se jouer cette semaine, avec l'intervention télévisée du chef de l'Etat ? Pensez-vous que J. Chirac peut retourner la situation cette semaine, en faisant précisément de la pédagogie ?
R- Oui, je le pense. Parce que malgré tout, les Français vont finir par comprendre que le projet de Constitution a été en grande partie une uvre française, et que l'on a pu construire cela contre pratiquement la plupart des grands pays libéraux contre lesquels on proteste aujourd'hui. Et que si l'on doit renégocier, ce qui n'est pas donné, parce que d'abord il faudrait savoir sur quoi, ce que les Français refuseraient dans la Constitution ; deuxièmement, est-ce que tous les pays qui ont accepté d'ores et déjà le projet de Constitution, accepteront de revoter à nouveau, pour nous faire plaisir, sur un texte différent. Et troisièmement, si l'on renégociait, est-ce que l'on ne peut pas craindre que cela soit davantage libéral, compte tenu de ce qu'est la majorité en Europe ?
Q- Ce sont les arguments que l'on peut avancer, comme le fera sans doute le chef de l'Etat...
R- Mais les Français vont finir par les comprendre, à mon avis...
Q- La forme d'intervention que J. Chirac a choisie, sans contradicteur et sans journaliste politique, préférant des animateurs-producteurs, est-ce s'adresser à la raison ou davantage faire jouer le spectacle en faveur de l'émotion ?
R- Non, je crois que c'est s'adresser à la raison. D'abord, un premier constat dans ce domaine : il faut le reconnaître, tant les hommes politiques que les journalistes politiques, n'ont pas réussi à intéresser suffisamment de nos concitoyens à cet évènement. Et donc, le fait de recourir à des journalistes, qui savent aussi parler à la jeunesse et savent mettre à sa portée des choses que par ailleurs ...
Q- ... Ce que ne savent pas faire les journalistes politiques ?!
R- Comme les hommes politiques, moins bien en tous les cas qu'eux.
Q- Et l'absence de contradicteur ?
R- Parce que le camp du " non " est le front du refus
Q- Pour Maastricht, F. Mitterrand avait rencontré P. Séguin...
R- Oui, mais peut-être que c'était davantage structuré : nous avions la question monétaire et les opposants et les partisans avaient une position claire. Là, c'est plutôt le front du refus, et le camp du "non" - c'est ce qui frappe d'ailleurs et c'est à mon avis mon cela que son avenir est menacé - est extrêmement composite. Dans le camp du "non", il y a toutes sortes de raisons à cela et toutes sortes de sensibilités, qui font qu'il n'a pas beaucoup de cohérence.
Q- On l'a dit et redit : le climat économique et social n'est guère favorable à ce référendum. Et notamment, je voyais que la production industrielle a connu un trou au mois de février - moins 0,5 %, manufacturière moins 1%. Cela confirme les pronostics d'une croissance qui sera moindre que celle sur laquelle vous avez construit votre loi de finances.
R- D'abord, nous subissons le choc pétrolier. Vous parlez de la loi de finances et on l'a construite sur un prix du baril beaucoup plus réduit qu'il ne l'est aujourd'hui, parce qu'il fait l'objet d'une spéculation intense. Mais c'est la raison pour laquelle nous avons une politique sérieuse de réplique : la politique des pôles de compétitivité que nous sommes en train de mettre en place, avec l'appui d'ailleurs et d'une certaine manière le soutien de toute l'Europe, c'est une politique de croissance industrielle qui produira ses effets. Nous ne restons pas inertes devant les menaces mondiales.
Q- Vous ne restez pas inertes, mais les conséquences de cet affaiblissement, c'est quand même un chômage qui n'est pas susceptible d'être réduit de 1 %, en tout cas d'ici à la fin de l'année...
R- Il le sera...
Q- L'autre jour, quand J.-L. Borloo a dit cela, vous avez dit qu'il n'avait même plus confiance dans son propre plan... Maintenant, c'est le Premier ministre qui le dit. Le Premier ministre na même plus confiance dans le plan de cohésion sociale de J.-M. Borloo ?
R- Vous me reprochez de l'avoir soutenu ?
Q- Maintenant, il vous lâche, en tout cas dans le propos...
R- Non, je crois simplement qu'il a pris acte de ce que le prix du pétrole était très élevé...
Q- Ce que vous n'aviez pas fait il y a une semaine...
R- Si, au contraire, c'est ce que j'ai fait, puisque par exemple je suis allé hier à Bruxelles, saisir le Commissaire à l'Energie, de la nécessité d'avoir une réplique européenne à cette spéculation sur le baril. Le Premier ministre pense qu'il y aura sans doute un peu de décalage.
Q- Il a eu tort de ne pas le penser tout de suite...
R- Un peu de décalage, ce n'est pas bien grave. L'essentiel est que cela aille dans le bon sens tout de même.
Q- Quelques questions précises concernant votre ministère. La loi sur la régulation postale, qui va être discutée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, n'est-ce pas ce genre de loi qui finalement alimente les "non" ? Voilà une Poste qui va être ouverte à la concurrence, fort bien ; et que constate-t-on sur le terrain ? Fermetures de bureaux de Poste et réduction de personnel.
R- Non, d'abord, il n'y a pas de fermeture de points de contact. Il y a 17.000 points de contact, nous conserverons 17.000 points de contact...
Q- C'est une manière de parler ! Tous ceux qui nous écoutent dans les villages voient bien que les bureaux de Poste ferment !
R- Mais ce qu'ils voient, c'est que c'est remplacé par exemple par des plages d'ouverture beaucoup plus importantes... Lorsqu'un commerçant assure le service postal à la place d'un bureau de Poste qui ouvrait deux heures par jour, et qu'en face vous avez un commerçant qui ouvre dix heures par jour, voire douze heures par jour, le service postal est mieux rendu. Et ça, les gens le voient aussi.
Q- Une précision à propos de Gaz de France : la privatisation...
R- Non, "l'ouverture du capital", il faut être rigoureux !
Q- Vous avez raison : l'ouverture du capital sera reportée après le référendum, pour ne pas gêner ce dernier ?
R- Non, l'ouverture du capital aura lieu quand le marché le permettra.
Q- Entre le référendum et le départ du marché en vacances l'été, quelle est la bonne fenêtre ?
R- Cela s'analyse au jour le jour, en fonction de l'appétit du marché...
Q- Mais si le marché manifestait son appétit avant le 29 mai ?
R- Pourquoi pas... Ce n'est pas la question. De toute façon, vous le savez, c'est acté, la loi est votée, les décisions réglementaires ont été prises : on peut le faire à tout moment, et le marché le sait.
Q- En revanche, la privatisation d'Areva est remise aux calendes grecques, voire même définitivement ajournée ?
R- Non, on n'a pas dit cela. Cela passera après, et donc cela vient en 2006.
Q- Avez-vous le sentiment que Mme Anne Lauvergeon, qui dirige Areva, est tout à fait satisfaite de ce report ? On dit même qu'elle serait tentée de donner sa démission...
R- Je ne le crois pas, d'abord parce que c'est une bonne dirigeante, elle est courageuse...
Q- Elle ne s'entend pas bien avec le nouveau ministre de l'Economie et des Finances...
R- Je ne sais pas, il ne faut pas dire les choses comme cela. C'est une femme qui a de très bonnes capacités managériales et qui a obtenu des résultats importants. Ces résultats vont d'ailleurs être à nouveau jugés à la fin de l'année. Il faut lui faire confiance, nous lui faisons confiance...
Q- Mais elle avait mis toutes ses équipes sur la privatisation...
R- Mais rien n'est perdu. Nous passons d'abord Gaz de France ; ensuite nous souhaitons passer EDF, pour de nombreuses raisons ; et après, le temps viendra pour Areva.
Q- Une question à propos d'ITER, le projet de réacteur expérimental de fusion nucléaire. Le Commissaire européen était au Japon cette nuit, et le ministre japonais a dit que d'ici à l'été, le choix serait fait et que l'on trouverait un accord. Cet accord va-t-il être favorable à Cadarache ?
R- C'est une évolution des Japonais. De toute façon, la question est que grâce à l'Europe - les Français doivent aussi comprendre que l'Europe fait des choses pour la France -, le projet d'ITER installé à Cadarache est décidé. La question est de savoir comment on traite la relation avec le Japon. Nous souhaitons qu'il n'y ait qu'un seul projet, mais à la limite, il pourrait y en avoir deux, si les Japonais insistaient. La commission et l'ensemble des institutions de l'Union ont décidé de faire le projet ITER, et de le faire à Cadarache. L'Europe fait comme cela beaucoup de choses pour la France. Ariane Espace : c'est la France qui en profite le mieux. Airbus : c'est la France qui en profite le mieux. Les satellites : c'est la France qui en profite le mieux. Il est temps que les Français s'aperçoivent que l'Europe fait aussi la prospérité de la France.
Q- Votre ami N. Sarkozy, président de l'UMP, avez-vous l'impression qu'il ne fait pas de grands meetings parce que c'est un choix pédagogique, ou parce qu'il n'y a pas suffisamment de monde dans les meetings en faveur du "oui" ?
R- Je ne comprends pas très bien votre question, parce qu'elle est à double entrée. Ou peut-être ne suis-je pas assez réveillé pour en comprendre toute la nocivité ?
Q- Alors je vais m'expliquer : fait-il suffisamment campagne ?
R- Ecoutez, ce n'est pas du côté de l'UMP que le camp du "non" progresse. Il n'y a qu'à regarder les résultats. Que voit-on au sein de l'électorat de l'UMP ? Le "oui" progresse. Il faut juger un homme à ses résultats : il faut croire que sa campagne est efficace. Maintenant, il ne faut pas sans cesse se servir de N. Sarkozy comme d'un bouc émissaire des échecs, parce que le "non" progresse surtout à gauche, et de manière un peu paradoxale d'ailleurs, quand on pense que c'est la gauche qui est responsable bien souvent des difficultés de la France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2005)