Interview de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement républicain et citoyen, à RMC le 15 avril 2005, sur la constitution européenne.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- F. Fillon est notre invité ; bonjour, merci d'être avec nous. [...] J.-P. Chevènement est aussi avec nous en ligne. Je vous lis à tous, deux mails d'auditeurs, d'abord Catherine, de Savoie : "Sur la forme, j'ai beaucoup aimé l'émission d'hier, pour une fois c'était vivant, Fogiel, Delarue et Chain ont permis de dynamiser le dialogue. Mais par contre, du côté de J. Chirac, c'était un peu ronflant. Loin de me convaincre, il a changé mon vote, je voterai "non". Il est décidément trop coupé de la réalité quotidienne des Français". Vous êtes d'accord ou pas J.-P. Chevènement ?
R- J.-P. Chevènement : Je suis d'accord, car J. Chirac nous a donné une description de la France moisie, les salariés qui ont peur des délocalisations, qui des paysans qui s'inquiètent à tort pour la Politique agricole commune, dont chacun sait que les jours sont comptés. Bref, cette description des Français comme si, ils étaient des gens limités, mal informés, peureux. D'ailleurs, mal informés, par la faute de qui ? Par la faute de ceux qui n'ont pas fait encore transmettre par la voie postale le texte de la Constitution. On en parle quand même déjà depuis quelques semaines, il serait temps qu'il arrive ! Mais je voudrais faire un autre commentaire, c'est que le président de la République s'est placé dans une contradiction, une contradiction insoutenable : il a refusé de mettre son mandat en jeu, mais en dramatisant la victoire du "non". La France deviendrait "le mouton noir" qui bloquerait tout en Europe. Mais si la France ne devait plus compter, je suis persuadé que J. Chirac aurait engagé ses responsabilités, je n'imagine pas l'inverse. Or il ne l'a pas fait. C'est donc qu'il ne croit pas vraiment ce qu'il dit.
R- F. Fillon : Je trouve que cette émission elle a eu beaucoup de mérite. D'abord, on avait dit que ce serait des jeunes qui poseraient des questions bien élevées et qu'au fond, on manquerait de vrais journalistes connaissant le sujet ; en réalité, cela a été beaucoup plus dur pour le président de la République qu'un débat avec des journalistes. Et cela pose d'ailleurs la question de la façon dont on peut délivrer un message pédagogique sur un texte aussi difficile avec autant d'interlocuteurs. Deuxièmement, je trouve que le Président a été convaincant sur sa conviction personnelle s'agissant de l'Union européenne et de sa construction. Enfin, je trouve qu'il a clarifié le débat - et là, je suis en désaccord profond avec J.-P. Chevènement - en montrant bien qu'il y a la question qui est posée sur la Constitution, et puis il y les rythmes normaux de la démocratie dans notre pays. Si à chaque fois, par exemple, qu'un nouveau pays entre dans l'Union européenne - il y aura un référendum désormais en France -, le président de la République met son mandat en jeu pour le résultat de ce référendum, cela n'a pas de sens. Non, la question qui est posée c'est, est-ce qu'il ne faudra pas... J'y réponds d'ailleurs tout de suite : il faudra sans doute d'autres émissions pour permettre notamment au président un exposé plus pédagogique de ce qu'est la Constitution, car là, le nombre d'intervenants rendaient les choses parfois difficiles à suivre.
Q- Et à la réponse sur la vie quotidienne des Français, est-ce qu'il n'y a pas, autour de cette Constitution européenne, un faux débat ? Est-ce qu'elle doit répondre à la vie ? C'est une question que se posent les Français...
R- F. Fillon : Mais bien sûr que non ! C'est d'ailleurs ce que le président de la République a dit plusieurs fois hier. Il y a des sujets sur lesquels l'Europe peut améliorer la vie quotidienne des Français. J'ai entendu hier soir et j'ai encore entendu ce matin Christophe parler du problème des délocalisations, c'est un vrai sujet. La question qui est posée, c'est de savoir si on lutte mieux contre les autres pays en étant tout seul ou en étant rassemblés C'est une question dont on peut parler, mais la Constitution donne un certain nombre d'instruments pour permettre au pays de mieux se coordonner. Et puis après, vous aurez des gens qui seront des politiques, il y aura des majorités qui seront élues, de gauche, de droite, les politiques changeront et c'est ces politiques là qui apportent des réponses. La Constitution de la Vème République, elle a permis aux gaullistes et puis ensuite aux libéraux et puis après aux socialistes de gouverner le pays ; c'est toujours la même Constitution.
R- J.-P. Chevènement : La Constitution de la Vème République, oui, mais la Constitution européenne qui consacre 325 articles sur 448 à définir dans le détail toutes les politiques, qui a une philosophie, la concurrence, encore la concurrence, rien que la concurrence, elle règle beaucoup de choses. Et le problème des délocalisations, il a quelque chose à voir avec l'indépendance de la Banque centrale, avec un euro trop fort, asphyxiant pour notre économie. Donc, je pense que le président de la République a proféré quand même pas mal de contrevérités. Par exemple, nous expliquant que le service public de la santé reste de la compétence nationale, mais il y a actuellement un rapport, qui vient d'être voté par le Parlement européen, qui prévoit l'ouverture d'appel d'offres, même au niveau de services publics locaux. Mon ami Zuccarelli a dit, "c'est la "cliniquisation"de notre système hospitalier". Il est évident que la philosophie de l'Europe, telle qu'elle se fait, est une philosophie ultralibérale. On ne peut pas dire des choses qui sont contraires au texte. Par exemple, le mot d' "exception culturelle" ne figure plus. Il faut que la France fasse la preuve qu'il y a atteinte au principe de la diversité culturelle. Mais on a renversé la charge de la preuve, comme l'a constaté le commissaire Lamy. Et par conséquent, il faudra obtenir une majorité qualifiée pour qu'on dise qu'il y a atteinte à la diversité culturelle. Je crois que beaucoup de choses ne sont pas exactes. Notre diplomatie ne conservera pas sa liberté de mouvement. Les valeurs de la France ne se retrouvent pas dans la Charte. Le droit de travailler n'est pas le droit au travail, et quand il y a 10 % de chômeurs, qu'est-ce que cela veut dire ? Je pourrais poursuivre l'énumération mais je ne voudrais pas vous lasser.
Q- Quelle réponse à ces arguments F. Fillon ?
R- F. Fillon : Je crois que J.-P. Chevènement le sait bien, il y a dans ce texte, pour moi qui ai voté comme lui "non" à Maastricht, un certain nombre d'améliorations qui sont sensibles, justement par rapport aux questions qu'il vient d'évoquer. Nous disions, au moment de Maastricht, c'est vraiment mettre la charrue avant les bufs que de faire une monnaie sans donner à l'Europe une politique économique et sociale ; c'est ce qu'on fait dans cette Constitution. Et surtout, nous disions au moment de Maastricht, il n'y a pas d'institutions politiques qui permettent au pouvoir démocratique, c'est-à-dire aux représentants des États et au Parlement de contrôler l'activité des technocrates de Bruxelles ; eh bien, cette Constitution donne, cette fois-ci, vraiment le pouvoir au Conseil et au Parlement. Elle n'est pas parfaite parce que c'est le résultat d'un compromis entre vingt-cinq pays. Mais on a vraiment, nous les Français, tout fait pour mettre dans la Constitution ce à quoi on croit : une Europe plus sociale, un contrôle plus politique de la Commission. Et si aujourd'hui on dit "non", le président de la République a raison de dire qu'alors, ce pays qui menait, pour une part, la politique européenne qu'est la France, sera regardé comme un pays qui a longtemps défendu des thèses que les autres ne partageaient pas.
Q- Je voudrais quand même revenir sur un point essentiel, qui m'a marqué en regardant l'émission hier soir : j'ai entendu J. Chirac dire : "Je ne comprends pas le pessimisme " Mais où vit-il ? Il n'entend rien de ce qui se passe dans la rue, dans les ateliers, les universités ou dans les familles, franchement ?
R- F. Fillon : Mais je comprends ce que voulait dire le président de la République, ce que voulait dire le Président de la République, c'est que malgré les difficultés que l'on rencontre, on est un des pays du monde où on vit le mieux, on est un des pays au monde où, en termes de santé, en termes de protection sociale, en termes de qualité d'éducation, on a les meilleurs services. Alors il y a des discussions, il y a des difficultés, il y a des choses à changer, mais enfin, il faut se comparer aux autres. Et c'est vrai qu'on a parfois l'impression - et on avait cette impression hier - d'être, au contraire, dans un pays au bord du collapsus.
Q- Est-ce que les Français attendent trop de réponses de la Constitution européenne ?
R- F. Fillon : Oui, incontestablement, ils attendent trop de réponses de la Constitution européenne, et parfois ils attendent aussi trop de l'Europe. Il faut aussi que nous, nous décarcassions. Le haro sur la concurrence que j'entendais à l'instant avec J. -P. Chevènement, il faut quand même regarder qu'il y a des secteurs - pas la santé naturellement - où la concurrence nous a fait faire des bonds considérables. Regardez aujourd'hui la situation de la France en matière de technologie de l'information : on était les derniers de la classe en ce qui concernait le téléphone portable, l'accès à l'Internet. La concurrence, la privatisation de France Télécom, l'ouverture du marché, ont complètement changé les choses. Imaginez-vous aujourd'hui, la presse, les médias télévisés et radio qui soient en situation de non-concurrence ? Il y a des tas de secteurs où la concurrence est extrêmement favorable. Il y en a d'autres, naturellement, s'agissant de la santé, par exemple, où il n'est pas question de l'introduire.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 avril 2005)