Texte intégral
Le Parisien - Les députés auront voté l'assouplissement des 35 heures quand les syndicats manifesteront samedi. Cette mobilisation n'intervient-elle pas trop tard ?
François Chérèque - Non ! Il n'est pas trop tard car nous ne sommes qu'au milieu du débat parlementaire. Après l'Assemblée, la proposition de loi ira au Sénat, avant de revenir à l'Assemblée en deuxième lecture. Le texte peut être revu à ces occasions.
Pourquoi vouloir absolument revoir ce qui ne concerne que des " assouplissements " des 35 heures largement partagés par l'opinion publique ?
Il ne s'agit pas de simples " assouplissements " des 35 heures. Sans le dire clairement, les députés sont en train de modifier en profondeur l'organisation du temps de travail.
Comment cela ?
Le texte s'attaque aussi aux repos compensateurs des salariés et à leurs congés payés. Avec la réforme du compte épargne temps, non seulement les RTT pourront être échangées contre du salaire, mais aussi des jours de congé, la cinquième semaine par exemple, et les repos compensateurs. Quant à la nouvelle organisation des heures supplémentaires, c'est tout sauf le temps choisi dont on nous rebat les oreilles. " Avec ce projet, le gouvernement va augmenter les inégalités entre les salariés "
C'est-à-dire ?
Le contingent d'heures supplémentaires a été relevé à 220 heures par an. Un salarié pourra donc faire 40 heures par semaine sans avoir la possibilité de le refuser. Le " libre choix " ne s'exerce qu'après la quarantième heure, pour aller jusqu'à 48 heures ! Toutes ces atteintes aux temps de repos risquent d'accentuer la pénibilité du travail, en particulier dans les métiers difficiles. Il n'est pas étonnant que 77 % des salariés soient opposés à cette réforme.
Vous dressez un tableau assez inquiétant alors que de nombreuses entreprises ont indiqué qu'elles ne reviendraient pas sur les 35 heures. N'exagérez-vous pas ?
Hélas non. Avec ce projet, le gouvernement va augmenter les inégalités entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites entreprises. Les premiers pourront garder leurs RTT et auront la possibilité de négocier une augmentation de leur pouvoir d'achat. Les seconds, qui pour certains n'ont pas encore vu la couleur des 35 heures, n'auront d'autre choix que de travailler plus pour gagner plus.
Donc, d'après ce que vous dites, il devrait y avoir foule samedi aux manifestations contre les assouplissements ?
Je pense que c'est en tout cas une nécessité.
Mais pourquoi avoir choisi un samedi, jour de repos ?
Pour mobiliser le plus possible dans le privé, il fallait éviter aux gens de perdre une journée de travail, voilà pourquoi le samedi a été choisi.
À partir de combien de manifestants serez-vous satisfait le 5 février ?
Pour que ce soit un succès, il faut que ce soit une manifestation aussi importante que celle des fonctionnaires le 20 janvier, soit quelque 300 000 personnes.
En cas de succès, quelles améliorations comptez-vous obtenir du gouvernement ?
D'abord, nous refusons le gré à gré entre l'employeur et le salarié, parce que, dans ce cas, c'est toujours le salarié qui est en position de faiblesse. Dans les entreprises où il n'y a pas de syndicat et dans les PME de moins de 20 salariés, les salariés courent ce risque. Tout doit passer par la négociation. Quand il n'y a pas de représentation syndicale, nous demandons la possibilité de désigner un mandaté syndical pour représenter les salariés, comme ce fut le cas pour négocier la RTT. Il faut que le mandatement soit inscrit spécifiquement dans la loi pour négocier dans les entreprises, quelle que soit leur taille. Nous demandons aussi un calendrier précis pour le passage officiel aux 35 heures dans les petites entreprises de moins de 20 salariés.
Et les mesures d'assouplissement du compte épargne temps, y êtes-vous favorable ?
Je l'ai déjà indiqué, nous refusons la monétarisation des repos compensateurs et des congés payés, sujets qui n'ont rien à voir avec d'éventuels assouplissements des 35 heures. En cas de transformation du compte épargne temps en salaire, comme c'est prévu dans la loi, ce complément de rémunération doit être soumis à charges sociales, comme tous les revenus salariaux. Sinon les salariés seraient lésés dans le calcul de leur retraite. Enfin nous demandons aussi que le compte épargne temps en salaire permette le rachat des années d'études pour pouvoir partir à la retraite plus tôt. " C'est un marché de dupes de faire croire qu'on pourra travailler plus pour gagner plus "
Si le gouvernement lâche sur ces quatre points, serez-vous satisfait ?
Nous serons toujours opposés à cette loi. Mais nous utiliserons tous les outils à notre disposition dans la négociation pour protéger les salariés et empêcher la remise en cause des 35 heures.
Mais si une partie des salariés veut effectivement travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher ?
C'est un vrai marché de dupes de faire croire aux salariés qu'ils pourront travailler plus pour gagner plus. Tous les travailleurs à temps partiel subi, qui voudraient bien travailler plus, ne gagneront rien avec cette loi. Quant aux salariés concernés par ces assouplissements, leur marge de choix est très restreinte. C'est l'employeur qui décide des heures supplémentaires.
Pourquoi dites-vous que le gouvernement fait une opération politique dans cette affaire des 35 heures ?
Ce texte vise ni plus ni moins une démarche idéologique. Je crois que la finalité de tout ce remue-ménage, c'est de préparer l'opinion publique à franchir une nouvelle étape, plus tard, qui sera de faire sauter la durée légale des 35 heures pour ne garder qu'une seule référence : les 48 heures par semaine. C'est ce que commence déjà à expliquer Hervé Novelli, un des quatre députés à l'origine de ce texte. Une partie de la majorité compte aller plus loin.n
(Source http://www.cfdt.fr, le 10 février 2005)
François Chérèque - Non ! Il n'est pas trop tard car nous ne sommes qu'au milieu du débat parlementaire. Après l'Assemblée, la proposition de loi ira au Sénat, avant de revenir à l'Assemblée en deuxième lecture. Le texte peut être revu à ces occasions.
Pourquoi vouloir absolument revoir ce qui ne concerne que des " assouplissements " des 35 heures largement partagés par l'opinion publique ?
Il ne s'agit pas de simples " assouplissements " des 35 heures. Sans le dire clairement, les députés sont en train de modifier en profondeur l'organisation du temps de travail.
Comment cela ?
Le texte s'attaque aussi aux repos compensateurs des salariés et à leurs congés payés. Avec la réforme du compte épargne temps, non seulement les RTT pourront être échangées contre du salaire, mais aussi des jours de congé, la cinquième semaine par exemple, et les repos compensateurs. Quant à la nouvelle organisation des heures supplémentaires, c'est tout sauf le temps choisi dont on nous rebat les oreilles. " Avec ce projet, le gouvernement va augmenter les inégalités entre les salariés "
C'est-à-dire ?
Le contingent d'heures supplémentaires a été relevé à 220 heures par an. Un salarié pourra donc faire 40 heures par semaine sans avoir la possibilité de le refuser. Le " libre choix " ne s'exerce qu'après la quarantième heure, pour aller jusqu'à 48 heures ! Toutes ces atteintes aux temps de repos risquent d'accentuer la pénibilité du travail, en particulier dans les métiers difficiles. Il n'est pas étonnant que 77 % des salariés soient opposés à cette réforme.
Vous dressez un tableau assez inquiétant alors que de nombreuses entreprises ont indiqué qu'elles ne reviendraient pas sur les 35 heures. N'exagérez-vous pas ?
Hélas non. Avec ce projet, le gouvernement va augmenter les inégalités entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites entreprises. Les premiers pourront garder leurs RTT et auront la possibilité de négocier une augmentation de leur pouvoir d'achat. Les seconds, qui pour certains n'ont pas encore vu la couleur des 35 heures, n'auront d'autre choix que de travailler plus pour gagner plus.
Donc, d'après ce que vous dites, il devrait y avoir foule samedi aux manifestations contre les assouplissements ?
Je pense que c'est en tout cas une nécessité.
Mais pourquoi avoir choisi un samedi, jour de repos ?
Pour mobiliser le plus possible dans le privé, il fallait éviter aux gens de perdre une journée de travail, voilà pourquoi le samedi a été choisi.
À partir de combien de manifestants serez-vous satisfait le 5 février ?
Pour que ce soit un succès, il faut que ce soit une manifestation aussi importante que celle des fonctionnaires le 20 janvier, soit quelque 300 000 personnes.
En cas de succès, quelles améliorations comptez-vous obtenir du gouvernement ?
D'abord, nous refusons le gré à gré entre l'employeur et le salarié, parce que, dans ce cas, c'est toujours le salarié qui est en position de faiblesse. Dans les entreprises où il n'y a pas de syndicat et dans les PME de moins de 20 salariés, les salariés courent ce risque. Tout doit passer par la négociation. Quand il n'y a pas de représentation syndicale, nous demandons la possibilité de désigner un mandaté syndical pour représenter les salariés, comme ce fut le cas pour négocier la RTT. Il faut que le mandatement soit inscrit spécifiquement dans la loi pour négocier dans les entreprises, quelle que soit leur taille. Nous demandons aussi un calendrier précis pour le passage officiel aux 35 heures dans les petites entreprises de moins de 20 salariés.
Et les mesures d'assouplissement du compte épargne temps, y êtes-vous favorable ?
Je l'ai déjà indiqué, nous refusons la monétarisation des repos compensateurs et des congés payés, sujets qui n'ont rien à voir avec d'éventuels assouplissements des 35 heures. En cas de transformation du compte épargne temps en salaire, comme c'est prévu dans la loi, ce complément de rémunération doit être soumis à charges sociales, comme tous les revenus salariaux. Sinon les salariés seraient lésés dans le calcul de leur retraite. Enfin nous demandons aussi que le compte épargne temps en salaire permette le rachat des années d'études pour pouvoir partir à la retraite plus tôt. " C'est un marché de dupes de faire croire qu'on pourra travailler plus pour gagner plus "
Si le gouvernement lâche sur ces quatre points, serez-vous satisfait ?
Nous serons toujours opposés à cette loi. Mais nous utiliserons tous les outils à notre disposition dans la négociation pour protéger les salariés et empêcher la remise en cause des 35 heures.
Mais si une partie des salariés veut effectivement travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher ?
C'est un vrai marché de dupes de faire croire aux salariés qu'ils pourront travailler plus pour gagner plus. Tous les travailleurs à temps partiel subi, qui voudraient bien travailler plus, ne gagneront rien avec cette loi. Quant aux salariés concernés par ces assouplissements, leur marge de choix est très restreinte. C'est l'employeur qui décide des heures supplémentaires.
Pourquoi dites-vous que le gouvernement fait une opération politique dans cette affaire des 35 heures ?
Ce texte vise ni plus ni moins une démarche idéologique. Je crois que la finalité de tout ce remue-ménage, c'est de préparer l'opinion publique à franchir une nouvelle étape, plus tard, qui sera de faire sauter la durée légale des 35 heures pour ne garder qu'une seule référence : les 48 heures par semaine. C'est ce que commence déjà à expliquer Hervé Novelli, un des quatre députés à l'origine de ce texte. Une partie de la majorité compte aller plus loin.n
(Source http://www.cfdt.fr, le 10 février 2005)