Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur l'intercommunalité dans le domaine culturel, notamment la culture comme facteur de développement local, Loos en Gohelle le 27 octobre 2000.

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Circonstance : Déplacement au centre "Culture commune" de Loos en Gohelle (Pas de Calais) le 27 octobre 2000

Texte intégral

Messieurs les élus,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui.
D'une part, parce que j'ai beaucoup entendu parler de Culture Commune, j'avais rencontré Chantal Lamarre peu après ma prise de fonctions et je lui avais dit que je viendrai.
D'autre part, et la visite que je viens d'effectuer me le confirme, je me trouve là dans ce bassin minier du Pas de Calais au cur des problématiques qui sont pour moi essentielles.
Intercommunalité dans le domaine culturel, culture et monde du travail, développement culturel mais aussi culture facteur de développement local, art et société, pluridisciplinarité, place de l'artiste dans la Cité, éducation populaire, patrimoine industriel, décentralisation culturelle, partenariat, démocratie culturelle, autant de mots, d'expressions, de concepts qui peuvent paraître abstraits, voire " jargonneux " dans d'autres lieux et qui ici sont incarnés dans l'action et y prennent tout leur sens.
Votre implantation dans un espace - ô combien symbolique, témoignage d'une grande histoire de ce pays, est l'aboutissement d'une (déjà) longue marche.
Lorsqu'à la fin des années 80, une jeune stagiaire de l'ANFIAC avait décidé de travailler aux rapports entre la culture et l'intercommunalité, l'appliquant à cette partie du bassin minier qu'elle connaissait particulièrement bien, savait-elle qu'un jour, elle occuperait le 11/19, le transformant en lieu de productions artistiques, de formation, de monstration aussi et que ce chevalement serait en quelque sorte le phare d'une scène nationale atypique, très souvent invoquée et citée en France et même au-delà ?
Je crois qu'elle le savait, tant, chère Chantal Lamarre, votre force de persuasion, votre volonté, votre ténacité, sont quelque peu hors-normes.
Cela dit, un tel projet ne se fait pas seul et sans les élus qui ont fait - avec vous - le choix commun de la culture, qui se sont fédérés autour de propositions exigeantes, (qui par ailleurs ne les déchargeaient pas de leurs responsabilités), sans ces élus et leur courage [j'imagine aisément ce que représentaient de tels choix alors que la crise industrielle obligeait à penser d'abord " l'économique et le social "], c'est une évidence - Culture Commune n'existerait pas et je tiens à les saluer avec admiration.
Mais on doit le souligner aussi, l'Etat - dès l'origine - a joué un rôle essentiel de soutien et d'accompagnement qui ne s'est jamais relâché.
" Culture Commune ", comme projet politique et culturel illustre parfaitement, je crois, l'efficacité du couple déconcentration-décentralisation. C'est bien la préoccupation première du territoire, le dialogue permanent entretenu par les responsables publics - qu'ils appartiennent à l'Etat ou aux collectivités, - l'exigence en termes de qualité artistique et de médiation, le souci d'inscrire la présence des créateurs dans la Cité qui composent aujourd'hui ce que l'on doit considérer comme une réussite.
Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, " Culture Commune " est née d'une double ambition : expérimenter une véritable intercommunalité de projet à l'échelle du bassin minier mais aussi inventer un projet culturel et artistique pluridisciplinaire et moteur de la restauration d'un tissu social traumatisé par la fermeture des mines.
Aujourd'hui, cette double ambition est partagée par de nombreux élus et opérateurs culturels sur l'ensemble du territoire, mais il y a dix ans, vous étiez des pionniers en quelque sorte. En effet, votre conviction que l'art peut être partout et ainsi intégrer un espace social plus vaste, une histoire qui n'est pas seulement la sienne avait rencontré de nombreuses résistances.
Aujourd'hui, tout vous donne raison. Cette question du lien entre art et société fait l'objet de nombreux débats. Vous avez su saisir ce que la démarche artistique apporte au sensible préexistant. Il s'agit bien du partage du sensible au sens que lui donne Jacques Rancière dans son dernier ouvrage et je voudrais seulement vous en citer une phrase qui, me semble-t-il, trouve un écho ici, jusque dans le très joli nom que vous vous êtes donné : " J'appelle partage du sensible ce système d'évidences sensibles qui donne à voir en même temps l'existence d'un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives ".
Quant à la pluridisciplinarité, que vous avez revendiquée très tôt, comprenant que l'art contemporain est trop pluraliste, dans son intention aussi bien que dans sa réalisation, pour pouvoir être saisi par une seule dimension, elle trouve ici un formidable champ d'application.
C'est pourquoi il nous faut aujourd'hui repenser les politiques culturelles et expérimenter d'autres formes d'intervention. C'est l'esprit qui m'anime dans les chantiers que j'ai engagés.
D'une part mettre les institutions à portée de mains des citoyens : c'est pour moi le fil rouge d'un nouveau souffle de la décentralisation. Cela passe par la clarification et le partage des responsabilités des différents niveaux de collectivités publiques. C'est aussi une invitation à tisser de nouvelles solidarités, de nouvelles coopérations entre les collectivités elles-mêmes. C'est le sens des protocoles de décentralisation qui seront mis en place dans les mois qui viennent.
D'autre part, je souhaite que le ministère de la culture accompagne mieux les initiatives comme la votre qui se multiplient sur l'ensemble du territoire. Elles posent de manière originale et singulière la question des conditions de production et donc de réception de l'acte artistique. Installées dans des lieux réutilisant le patrimoine industriel, comme ici, ou choisissant l'itinérance, ces " espaces intermédiaires " nourrissent la réflexion sur la place de l'artiste dans la Cité et sur une action culturelle qui cherche également au sein de l'institution à trouver de nouveaux développements.
Mais ce n'est pas dans ce lieu que je vais aujourd'hui prolonger ma réflexion, alors que depuis des années c'est ici que les familles d'atypiques, les créateurs de prototypes, les frontaliers de toutes sortes ont pris l'habitude de se retrouver, de confronter leurs expériences, de réfléchir, de débattre, et même... de revendiquer. Je veux seulement vous annoncer que j'ai demandé à une personnalité extérieure au ministère, Fabrice Lextrait, qui a été administrateur de la friche " Belle de Mai " à Marseille, d'analyser ces projets et de rendre plus explicite les fondements communs de ces initiatives singulières.
Comme vous le voyez, " Culture Commune " pourrait être emblématique de ces chantiers et nous aurons l'occasion de faire appel à votre expérience pour nourrir notre réflexion.
Je sais quel laboratoire permanent vous constituez, sachez que nous le solliciterons très souvent.
Merci de votre attention.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 30 octobre 2000)