Texte intégral
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Laissez-moi tout d'abord vous remercier de votre participation à ce séminaire, qui, pour nous tous, a constitué un profond motif de satisfaction. Grâce à vous, grâce à la qualité des interventions, grâce à la richesse des thèmes abordés, cette journée a été riche d'enseignements. Ma gratitude s'adresse en particulier à tous ceux qui ont parfois effectué un très long trajet pour être parmi nous aujourd'hui.
Qu'il me soit également permis de remercier l'Agence française de développement, en la personne de son directeur général, M. Jean-Michel Severino, pour avoir pris en charge avec efficacité et précision l'organisation de ce séminaire. J'associe à ces remerciements le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, qui est notre hôte, et tout particulièrement la direction générale du Trésor et de la Politique économique. Je n'oublie pas, bien entendu, la direction générale de la Coopération internationale et du Développement du ministère des Affaires étrangères.
Il est toujours extrêmement difficile de prendre la parole après Jean-Pierre Landau, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer le financement du développement. Sur ce thème comme sur d'autres, ses analyses font autorité. Je vais toutefois m'y hasarder, en rappelant les grands enjeux de ces débats.
Il est tout d'abord assez singulier qu'il y ait débat. Je veux dire publiquement, au grand jour. Ce que je dis là semblera peut-être étonnant à ceux d'entre vous qui sont chercheurs ou enseignants. Pourtant, pour nous, responsables politiques, les questions dont vous avez débattu aujourd'hui sont longtemps restées taboues. Il y a quelques années, le consensus général m'aurait presque dissuadé de prendre la parole devant vous.
La question des taxes internationales en particulier, qui figure aujourd'hui en bonne place à l'ordre du jour de toutes les grandes réunions internationales, n'est sortie que récemment des débats d'experts où elle était prudemment cantonnée.
Qu'un communiqué du G7 finances évoque les sources de revenus analysées dans le rapport Landau, c'est déjà un progrès considérable !
Que le communiqué publié à l'issue des assemblées d'automne 2005 du FMI et de la Banque mondiale mentionne les mécanismes innovants de financement, c'est déjà une innovation ! J'ai pu personnellement mesurer les progrès accomplis : lors de ma première participation au Comité du développement au printemps 2004, cela avait été un thème essentiel de mon intervention. Mais c'est seulement à l'automne que nous avons obtenu que ces institutions travaillent sur la faisabilité technique et politique des taxes internationales.
Pourtant, vous l'avez dit mieux que je ne pourrais le faire, ces sources de revenus sont indispensables.
C'est la conviction qui anime les autorités françaises : des ressources stables et prévisibles sont nécessaires, car elles contribueront à rendre la mondialisation plus juste et, comme le dit souvent le président de la République, plus humaine.
Pour financer les secteurs sociaux de base, pour permettre aux pays en développement de conduire une politique efficace en matière de santé ou d'éducation, bref, pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au plus tôt, des ressources stables et prévisibles sont incontournables !
Pour aider les pays les plus fragiles, notamment ceux qui sortent d'un conflit, l'aide doit être apportée sur une longue période et seuls des efforts soutenus peuvent porter des fruits.
Pour permettre à la communauté internationale de répondre aux défis dont notre avenir commun dépend, pour rassembler les conditions d'un monde plus stable, plus sûr, plus solidaire, pour protéger efficacement le développement et financer tous les biens publics mondiaux, on en vient encore une fois à la nécessité de ressources stables et prévisibles !
Pourtant comme je vous le disais, ce n'est que très récemment que ces questions ont été enfin abordées par les responsables politiques avec sérénité, sans a priori idéologiques.
Comment avons-nous réussi à donner droit de cité aux sources innovantes de financement ?
Je le dis sans fausse modestie, c'est en partie grâce à la France et à ses partenaires brésiliens, chiliens, espagnols, et plus récemment allemands. Ces cinq pays, dont certains des représentants sont parmi nous aujourd'hui, ont rédigé, il y a maintenant un an, un rapport que vous connaissez probablement, et qui est assez proche du rapport Landau.
C'est sur la base de ce document que 110 pays ont soutenu la déclaration de New York, adoptée le 20 septembre 2004 à l'issue de la rencontre des chefs d'Etat et de gouvernement organisée par le président Lula.
Quelques semaines après cet événement qui a très certainement marqué les esprits et ébranlé les plus sceptiques, les institutions financières internationales, puis la Commission européenne recevaient le mandat de poursuivre les analyses de ces mécanismes innovants de financement.
Et maintenant, qu'en est-il ?
Nous continuons à enregistrer des progrès significatifs. La question est inscrite à l'ordre du jour du prochain sommet du G8, en juillet, à Gleneagles. Le Secrétaire général des Nations unies a évoqué dans son rapport du 21 mars les mécanismes de prélèvements internationaux et qualifié le groupe quadripartite d'importante initiative.
Dans quelques semaines, le FMI et la Banque mondiale tiendront leurs assemblées de printemps à Washington. Le lendemain, l'ECOSOC, lors de sa rencontre annuelle avec les institutions financières internationales et l'OMC, abordera de nouveau la question.
Peu après, la Commission européenne formulera ses propositions dans la perspective de sa contribution au sommet de septembre 2005 sur les OMD. Puis se tiendra la dialogue de haut niveau sur le financement du développement à New York les 27 et 28 juin 2005.
Enfin, à partir du 14 septembre 2005, aura lieu le sommet sur le suivi des Objectifs du Millénaire pour le Développement, qui constitue à notre sens l'occasion pour la communauté internationale de prendre conscience de l'urgence qui s'attache à ce que nous adoptions des mesures ambitieuses et complexes au bénéfice des pays en développement. C'est cette échéance qui nous mobilise à l'heure actuelle.
Mais comment convaincre nos partenaires du bien-fondé de notre approche, alors que certains d'entre eux continuent d'être réservés et que les taxes internationales restent très largement une idée neuve dans le monde ?
C'est, vous vous en doutez bien, une uvre de longue haleine. Dans chaque enceinte, à chaque fois que l'occasion se présente, les autorités françaises, de conserve avec nos partenaires du groupe quadripartite élargi, martèlent leur conviction et présentent notre menu d'option : incitation aux contributions volontaires, mécanismes de déboursement anticipé, taxes internationales.
Nous cherchons à recueillir le soutien le plus large, tout en gardant à l'esprit que certains des mécanismes que nous promouvons peuvent fonctionner sur une base non universelle, par exemple simplement européenne.
Pour convaincre, nous devons expliquer notre démarche, mais également rassurer nos partenaires en répondant à certaines de leurs inquiétudes.
Les forces du marché, bien que nécessaires, ne suffiront pas elles seules à sortir certains pays, enfermés dans une situation de "piège de pauvreté" où ils se consument, comme le rappelait le récent rapport Sachs.
Les sources innovantes ne se substituent pas à l'aide publique au développement. Les ressources qui seront levées s'ajouteront à l'APD traditionnelle, et je rappelle que le président de la République s'est engagé à porter notre effort à 0,7 % d'ici 2012.
Les taxes internationales ne portent pas atteinte au consentement à l'impôt. Elles doivent être appliquées au plan national et coordonnées au niveau international. Il ne s'agit en aucun cas de créer une nouvelle organisation, qui ne serait responsable devant aucune autorité légitime et qui recevrait le pouvoir de taxer ce que bon lui semblera. Nous souhaitons tout au plus mettre en oeuvre de façon coordonnée la souveraineté fiscale des Etats au bénéfice du développement.
Nous ne proposons pas de créer de nouvelles institutions, qui seraient autant de bureaucraties supplémentaires : les ressources additionnelles seraient utilisées dans le cadre des institutions existantes, à périmètre constant en quelque sorte. Bien entendu, un soin scrupuleux sera apporté à l'affectation des ressources afin de fournir toutes les garanties en termes d'efficacité et de transparence.
Nous souhaitons lever de nouvelles ressources en faveur du développement et des biens publics mondiaux, en aucun cas corriger les défaillances des marchés. Economiquement, nous souhaitons tendre vers la neutralité. C'est pourquoi nous recommandons de taxer à un taux faible de larges assiettes, afin de ne pas pénaliser la compétitivité des économies et de ne pas créer d'effets d'éviction.
Notre approche est équilibrée : nous sommes conscients que les pays en développement, comme cela a été reconnu dans le consensus de Monterrey, sont les premiers responsables de leur développement et doivent consentir des efforts en ce sens, notamment en termes de gouvernance ou encore de mobilisation des ressources internes.
En ayant à l'esprit ces grands principes, le président de la République a proposé à l'occasion du forum de Davos, en janvier dernier, d'envisager la taxation de plusieurs assiettes :
- une contribution à très faible taux sur une fraction des transactions financières internationales, reposant sur la coopération des grandes places financières internationales,
- un prélèvement sur les flux de capitaux à destination ou en provenance des pays pratiquant le secret bancaire,
- une contribution sur le carburant utilisé par le transport aérien et maritime, actuellement exonéré,
- un prélèvement sur les billets d'avion.
Par ailleurs, avec le soutien de l'Allemagne et de la Suède, nous avons proposé le lancement à titre expérimental d'un prélèvement sur le transport aérien : sur le kérosène par exemple, sur les billets d'avion ou encore sur les couloirs aériens. Une taxe pilote nous permettra de prouver concrètement la faisabilité de nos propositions, ainsi que le gain que la communauté internationale peut en retirer.
Ces idées progressent, merci de nous avoir aidés à les faire avancer encore un peu aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2005)