Interview de M. Charles Pasqua, président du Rassemblement pour la France, à France 2 le 26 avril 2005, sur la position des pays européens sur l'importation de textiles chinois et sur le vote "non" sur la Constitution européenne comme sanction contre le gouvernement.

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Texte intégral

Q- Il y a un nouvel événement qui vient de s'inviter dans la campagne du référendum, c'est l'affaire des importations de textiles chinois en Europe, qui envahissent le marché européen. Le Gouvernement français a demandé à Bruxelles d'intervenir très vite pour limiter ces importations. Est-ce un argument que vous allez utiliser, vous, les partisans du "non" ?
R- Je crois qu'effectivement, c'est une situation difficile. Je constate simplement que le gouvernement français a mis un certain temps avant de réagir. Parce que cette situation, on la connaît depuis le début de 'année. Et je crois que le président des industries textiles avait déjà alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur cette situation. D'ailleurs, J. Chirac, le 14 avril, dans son émission, avait indiqué que la France allait demander effectivement la clause de sauvegarde. Mais depuis, le Gouvernement n'a rien fait. Et aujourd'hui, pour l'instant, à la minute où nous parlons, il n'y a toujours pas de demande du Gouvernement français, on nous a dit qu'elle va être faite aujourd'hui.
Q- Cette demande, disait P. Devedjian, le ministre de l'Industrie, hier, va être faite aujourd'hui. Et finalement, le Gouvernement est en train de dire, un argument qui peut porter, lui, pour le "oui", c'est que si l'Europe intervient - et il dit qu'elle va intervenir à la demande de la France -, cela va montrer qu'à 25 on est beaucoup plus forts que tout seul, parce que tout seul, on ne pourrait pas faire grand-chose contre la Chine.
R- C'est vrai, on ne pourrait pas faire grand-chose, mais je crains que l'on ne puisse pas faire grand-chose non plus. Parce que la clause de sauvegarde, pour être appliquée, doit bénéficier de l'accord de l'ensemble des pays concernés. Or, sur les 25 membres actuels de l'Union, une douzaine est tout à fait hostile à quelque mesure que ce soit concernant les importations de la Chine. Ce sont des pays, en partant de l'Angleterre pour arriver aux pays de l'Est, qui sont les plus acquis au libéralisme.
Q- Il a aussi beaucoup de pays qui nous soutiennent...
R- Oui, heureusement, quand même ! Mais ce qui est assez amusant - c'est une façon de parler -, ce qui est assez plutôt consternant, c'est qu'il a fallu que nous ayons le nez dessus pour que l'on s'aperçoive des conséquences de l'entrée de la Chine à l'OMC, que nous avons favorisée, ce qui est normal. Et puis, il ne faut pas s'étonner non plus que les Chinois aujourd'hui se montrent très hostiles à tout contrôle que ce soit. Je dois dire à ce propos que, décidément, M. Raffarin n'a pas de chance, parce qu'il est allé en Chine...
Q- Il a quand même vendu des Airbus.
R- Il a vendu des Airbus, oui, et tout se passait bien et puis il nous a indiqué, d'après les informations qu'il avait, que les Chinois allaient autoréguler les exportations ; c'est raté !
Q- Un sondage vient de tomber ce matin ; il montre que le "non" est encore en tête, à 52 %, il qui baisse. Mais ce qui intéressant dans ce sondage, me semble-t-il, c'est que l'on s'aperçoit que le "non" est un "non" de gauche. Il y a 79 % des électeurs de droite qui s'apprêteraient à voter "oui". On a l'impression que vos arguments, à droite, ne portent pas.
R- Nous verrons cela. Ce qui est sûr, c'est comme nous l'avons déjà expérimenté lors du référendum de Maastricht, il y a une politisation. Et naturellement, l'opposition se rassemble, et du même coup, l'électorat de la majorité a tendance à le faire aussi. Mais avant, avant de tirer des conclusions hâtives de ce sondage, je dirais qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, et un sondage non plus ne fait pas l'opinion. Alors attendons de voir d'autres sondages et nous verrons si la tendance est la même, et si elle annonce une remontée du "oui". Mais il y a encore un mois devant nous, nous aurons à nouveau ce type d'événement, des remontées, des baisses ; nous verrons bien.
Q- Mais ce que vous dites, confirme finalement que le vote du "non" serait plutôt un vote sanction contre le Gouvernement qu'un vote contre la Constitution ?
R- Mais c'est un vote sanction, indiscutablement.
Q- Or, on vote sur la Constitution en principe...
R- Oui, mais on vote sur la Constitution... Je crois qu'en réalité, les Français, dans leur ensemble, votent sur les conséquences sur leur vie de l'appartenance à l'Union européenne et de son fonctionnement tel qu'il est aujourd'hui. Nous ne sommes plus dans la situation de Maastricht, où on nous promettait Noël toutes les semaines. Là, nous sommes en mesure de porter un jugement sur les conséquences. Et les Français voient bien que le cumul des conséquences du Pacte de stabilité, du comportement de la Banque centrale, etc., est défavorable.
Q- Mais tout cela, ce n'est pas nouveau dans la Constitution, cela existait.
R- Non, bien entendu. Mais dans la Constitution, cela va être sacralisé, puisque le Pacte de stabilité, on l'inscrit dans la Constitution ; la Banque centrale, on l'inscrit dans la Constitution également. Ce qui veut dire qu'en définitive, ce sera beaucoup plus difficile de modifier les choses demain qu'aujourd'hui.
Q- Il y a deux pays qui, hier, ont signé leur adhésion à l'Union, c'est la Bulgarie et la Roumanie ;ils entreront en 2007. Quelle est votre position là-dessus ?
R- Je crois que, de toute façon, on savait qu'il était prévu que ces deux pays rentrent dans l'Union européenne. Mais on est dans un système que l'on connaît bien, qui est celui de la fuite en avant, n'est-ce pas. On va être 27, avec la Croatie on sera 28, il n'y a pas de raison que cela s'arrête.
Q- Vous pensez que l'élargissement est allé trop vite ?
R- Je pense, oui. J'étais de l'avis, à l'époque, de F. Mitterrand : je pensais qu'il fallait se montrer beaucoup plus ouvert envers les pays de l'Est, les accueillir politiquement, mais prendre le temps sur le plan économique. Je crois que là, on est allé très vite.
Q- L'un des arguments des partisans du "oui", c'est que, si le "non" l'emporte, la France va se retrouver sur un strapontin, elle sera marginalisée, elle ne pourra plus défendre ses arguments. N'y a-t-il pas une part de vérité là-dedans ?
R- Je voudrais que les représentants du Gouvernement fassent preuve d'un peu d'honnêteté intellectuelle. Ils ont des arguments, qu'ils les présentent.
Q- Mais ça, c'est un argument !
R- Mais ils n'ont pas besoin de dire des contre-vérités. Premièrement...
Q- Pourquoi est-ce que ce n'est pas vrai ?
R- Parce que, premièrement, à l'heure actuelle, personne ne peut dire que la France "serait" - parlons au conditionnel - éventuellement la seule à refuser cette Constitution. Si nous regardons ce qui se passe en Hollande, nous voyons...
Q- Elle serait la première, en tout cas.
R- Elle serait la première, mais sur les dix ou douze pays dans lesquels il y aura une procédure référendaire, il est probable que la majorité de ces pays rejettera la Constitution.
Q- On verra, on ne sait pas...
R- Oui, mais alors on ne peut pas dire non plus que la France sera seule ; elle ne sera pas seule. J'ajouterais autre chose : quand je dis que le Gouvernement devrait faire preuve d'un peu plus d'honnêteté intellectuelle, on nous annonce, on nous dit : "si la Constitution est rejetée, c'est épouvantable, il n'y aura plus aucune discussion possible"... Ce n'est pas vrai !
Q- Les pays ne voudront pas discuter avec nous. Cela nous a pris quatre ans pour arriver à cela.
R- La question est simple : dans le projet de Constitution, il y a deux choses qui sont prévues : d'une part, la révision de la Constitution, si elle est adoptée, il y a une procédure qui est intitulée "Procédure de révision ordinaire"...
Q- Vous trouvez des plus à la Constitution maintenant ?
R- Non. Et il y a également un article pour dire que, "si quatre cinquièmes des pays ont adopté la Constitution, mais que certains pays ne l'ont pas adoptée, le Conseil européen s'en saisit". Cela veut dire quoi ? Qu'il examinera la question, c'est bien ce qui est indiqué.
Q- Et pour vous, il y aura une solution, "un plan B" comme on le dit ?
R- Le problème n'est pas qu'il y ait un "plan B", mais je pense que les autres pays européens seront pragmatiques, comme nous le sommes nous-mêmes, il n'y a aucun problème. Mais il faudra remettre les choses à plat, voir les points qui accrochent. Ce n'est pas seulement la France qui conteste certains éléments de ce Traité, d'autres pays aussi.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 avril 2005)