Interview de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, à France inter le 27 février 2004, sur la politique gouvernementale en faveur de la recherche, en réponse à l'inquiétude des chercheurs.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli-. Alors qu'approche l'échéance du 9 mars, date à laquelle de nombreux chercheurs menacent de démissionner pour protester contre ce qu'ils estiment être la faiblesse des moyens de la recherche, les propos de J. Chirac, demandant que la recherche et l'innovation soient encouragées et l'annonce d'un dégel des crédits, suffiront-ils à les rasséréner ? A moins que les propos de P. Devedjian, ministre délégué aux Libertés locales, souhaitant que les chercheurs français soient plus présents sur les listes des Prix Nobel que sur les pétitions, n'aient été une douche froide ?
Q - La spationaute, le médecin, la chercheuse que vous êtes, spécialiste de neuroscience, comment a-t-elle vécu cette phrase de P. Devedjian ? Je la cite parce que peut-être qu'elle explique un peu l'incompréhension qui règne aujourd'hui entre la sphère politique et les chercheurs.
R - "Evidement, les chercheurs, tous ceux qui participent de ces activités, demandent à avoir une reconnaissance de leur engagement et c'est bien le propos effectivement de toute cette crise actuellement, et c'est pour cela qu'elles expriment inquiétude et préoccupation. Cela va, bien sûr, sur des éléments conjoncturels, actuels, où le Gouvernement apporte des réponses, mais plus profondément, de façon structurelle, la place du chercheur dans la société, non seulement vis-à-vis du politique mais également vis-à-vis de chaque citoyen qui a besoin qu'à un moment donné, on lui restitue un petit peu les progrès. Donc, cette reconnaissance, cette légitimité du chercheur, sont importantes et j'y adhère complètement."
Q- Bien sûr, mais ne croyez-vous pas que les chercheurs seraient peut-être plus souvent sur les listes des Nobel, s'ils avaient à leur disposition plus de moyens ? Il y a des choses que l'on comprend mal. Vous aviez demandé, en janvier dernier, un rapport d'expertise contradictoire pour savoir ce qu'il en était réellement, des moyens donnés à la recherche. Là où l'on ne comprend pas - et les syndicats reconnaissent la qualité du travail qui a été fait -, que les crédits soient en hausse assez importante depuis 1997 et que l'on se trouve aujourd'hui dans la situation où nous sommes, où des chercheurs qui doivent savoir de quoi ils parlent menacent de partir. Que s'est-il passé ?
R- "Je crois qu'il y a plusieurs éléments là aussi. Vous l'avez vu, ce rapport qui a été présenté hier et qui est un excellent travail effectivement, montre la difficulté de bien comprendre l'organisation, la gestion comptable au sein des organismes. C'est un travail que l'on va devoir prendre en compte parce qu'il y a effectivement des sommes d'argent notifiées à la direction des organismes, ensuite, ce que reçoit chacun des directeurs d'équipe, des directeurs de laboratoire, et ce n'est pas si simple que cela, chacun l'a reconnu au vu du rapport. Mais l'on constate avec ce rapport, qu'il y a une stabilisation des dépenses et que les laboratoires ont pu fonctionner avec des dépenses à un niveau correct. Mais cependant, il n'empêche qu'effectivement il y a une forme de décrochage de notre recherche en France et en Europe par rapport à un monde très compétitif, et en particulier nos partenaires américaines qui, dans le domaine des sciences du vivant, qui est un petit peu ce qui a fait éclore encore plus les préoccupations et cette réaction de la communauté scientifique, ont mis des moyens tout à fait considérables."
Q- Deux fois plus que l' Europe.
R- "L'Europe doit effectivement s'engager avec beaucoup plus d'ambition sur le chemin d'une recherche qui soit prioritaire avec les moyens dont elle doit disposer. Et la France, bien sûr, participe à cet effort. C'est pour cela qu'il y a un engagement fort, un rappel par le Premier ministre, par le président de la République, que nous devons aller plus loin dans l'effort et l'objectif d'ambition d'une recherche qui a toute la légitimité. Parce qu'elle a un potentiel extraordinaire, des très bons résultats, mais qui, par rapport à d'autres compétiteurs, est un petit peu en inquiétude et en souci d'y avoir sa place réelle. C'est cet engagement que nous prenons."
Q- Mais concrètement, que proposez-vous aux chercheurs ? La date et l'échéance approchent, et certains menacent de démissionner.
R- "Les chercheurs qui se sont mobilisés avaient trois questions essentiellement. Une première question était effectivement de remettre des moyens à disposition dans les laboratoires et nous nous y engageons, avec le dégel de certains crédits qui étaient, en 2002, non mis en place dans les laboratoires. Donc, ce dégel pour une somme importante est mis en place et va arriver dans les laboratoires pour leur fonctionnement."
Q- Mais cela va-t-il compenser ? Parce que, puisqu'ils avaient "tapé" dans leur cagnotte les laboratoires, ce que vous leur rendez va, d'abord non seulement leur donner des moyens supplémentaires, mais même simplement rembourser ce qu'ils ont déjà dépensé ?
R- "A la lecture du rapport qui nous a été remis et discuté avec les organisations syndicales, et le collectif des chercheurs, on voit qu'avec l'augmentation des moyens 2004, prévus en loi de Finances, avec la remise à niveau par ce dégel des crédits, les laboratoires ne devraient pas souffrir et avoir des dotations reconstituées. Je crois que c'était une gestion responsable que d'utiliser d'une meilleure façon et même si l'optimum n'est pas atteint, ces reports considérables qui avaient été mis en place par les laboratoires. Des reports, expliqués par effectivement des à-coups dans l'arrivée des crédits, la difficulté de répartir des financements. Donc, tout cela on doit y travailler. La recherche nécessite des perspectives sur le long terme. Donc, en termes financiers, par exemple, on est en train d'essayer de travailler à l'élaboration d'une voie d'orientation et de programmation. "Programmation", cela veut dire justement, programmation des moyens financiers, programmation de l'emploi scientifique sur le long terme, de façon à éviter ces à-coups qui ne sont le temps de la recherche. La recherche a un temps long et il faut le prendre en compte. Et c'est ce à quoi l'on répondra et que l'on va organiser avec le troisième point qui était dans la pétition des chercheurs : l'organisation de grandes assises, une grande réflexion. Parce que notre système de recherche doit évoluer, 20 ans après une précédente loi d'orientation. Et tout le monde a envie de se donner effectivement les moyens d'avoir une recherche plus performante."
Q- Mais vous allez le faire avec les chercheurs ! Ils continuent de se plaindre, en disant : on n'arrête pas de demander à être associés à cette réflexion et on ne l'est pas vraiment.
R- "J'ai vu les représentants du collectif des chercheurs encore hier après-midi. Je voudrais aborder la deuxième réponse que le Gouvernement fait à cette demande : c'étaient des perspectives pour les jeunes chercheurs de pouvoir s'engager sur des carrières scientifiques. Nous répondons, là aussi, à cette demande, parce qu'effectivement, la recherche c'est bien sûr des moyens, mais c'est surtout ceux qui font la recherche et des jeunes qui doivent avoir des perspectives pour s'engager. Savez-vous que l'on a plutôt une désaffection des jeunes à s'engager vers les carrières scientifiques, alors que l'on a besoin d'un potentiel humain de qualité pour faire cette recherche et avoir cette place importante dans la compétition internationale. Donc, deux mesures essentielles seront proposées : pour les jeunes doctorants, ceux qui préparent leur thèse, on sait à quel point il est important qu'ils aient une rémunération, des allocations de recherche pour faire leur activité de recherche. C'est souvent d'ailleurs, parce qu'il n'y en a pas en nombre suffisant, les parents qui sont associés alors que ce sont des jeunes gens qui sont déjà bac + 8, bac + 10. Donc, là, on ajoute des allocations de recherche pour que ces jeunes puissent travailler correctement en préparant leur thèse."
Q- Mais seront-ils mieux payés ? Parce qu'un post-Doc aujourd'hui gagne 1800 euros net. Le double aux Etats-Unis.
R- "Pour les jeunes en cours de thèse, nous avons entrepris une revalorisation qui va atteindre 15 % et c'est une des mesures que je vais annoncer. On va essayer d'aller plus vite, la mettre en place plus rapidement que ce qui était prévu. C'est une prise en compte. Le deuxième élément : les chercheurs qui ont leur thèse, les post-doctorants ou les chercheurs qui veulent s'engager, effectivement, il y en a de nombreux, brillants, qui ont déjà consacré beaucoup de temps à leur préparation, et nous allons donc augmenter le nombre de postes mis au recrutement - c'était une des demandes des chercheurs - et proposer donc plus de postes de recrutement, dès cette année 2004."
Q- Pardon, mais vraiment, parce que les chiffres sont édifiants quand même : il y avait cette année 7 700 candidats pour 360 postes au CNRS en 2004 !
R- "Mais vous savez que la recherche c'est une recherche où les meilleurs, l'excellence est très très important : être associée à la recherche. Donc, effectivement, il y a une sélection mais cela les chercheurs le savent dès qu'ils s'engagent dans cette carrière. Et ce n'est pas quelque chose de nouveau, cela a toujours été dans ce sens-là. La recherche, ce n'est pas que la recherche publique, c'est aussi la recherche en entreprise. Ce que l'on doit s'efforcer de proposer à ces jeunes, c'est un spectre large d'activités. Recherche publique, c'est-à-dire, les organismes de recherche - CNRS, INSERM -; les universités, bien sûr ; les enseignants-chercheurs ; toute la recherche en entreprise. Donc, là aussi, permettre que le titre de "Docteur", cette formation, soit valorisé à son jute titre par rapport à des entreprises qui doivent investir en recherche et développement pour être compétitives. Vous avez parlé tout à l'heure d'attractivité de ce qui était proposé à ces jeunes pour s'engager. Savez-vous, par exemple, que nous avons mis en place cette année, en complément des postes statutaires qui sont le socle, la base, et qui resteront le socle et la base du travail de la recherche qui nécessite du temps long, des formes d'accueil de chercheurs sur projets par des contrats. Et c'est vrai qu'il est important que ces contrats soient suffisamment attractifs par rapport à ce qui est proposé dans d'autres pays européens et en particulier aux Etats-Unis. Donc, une des mesures proposées également aujourd'hui par le Gouvernement, en réponse à cette demande d'attractivité qui est bien normale, qui est bien légitime, la reconnaissance financière quand on prend un risque, quand on s'engage, il faut y être attentif. Et nous allons donc revaloriser ces formes contractuelles d'emplois à + de 30 % de ce qui est l'entrée dans le système statutaire habituel."
Q- Et les formations, et les grandes universités que nous n'avons pas ! Pourquoi faut-il, par exemple, aller en Belgique, tenez, pour trouver des universités de réputation et de niveau mondial ?
R- "Troisième point très important, et j'était très heureuse de le sentir dans la mobilisation de chacun de ces chercheurs et ingénieurs, c'était de dire : notre système est perfectible, il a beaucoup d'atouts mais il a aussi des faiblesses. Il a des faiblesses dans un monde où l'on constitue un espace européen de la recherche et dans le monde à l'international. Donc, cette réflexion va se faire avec l'ensemble des partenaires pour améliorer, pour proposer des éléments dans une loi d'orientation. J'étais la semaine dernière auprès des universités, et effectivement, au niveau de l'université, il y a des modifications à entreprendre. Tout particulièrement, parce que de plus en plus, les unités de savoir vont se situer au niveau des régions. Donc il faut bien organiser nos grands organismes de recherche nationaux, nos universités, puissantes, bien structurées, visibles au niveau européen. Et puis tous les partenaires, aussi bien les partenaires locaux, régionaux, que les entreprises et qui doivent mieux organiser cette activité pour justement avoir sa place au niveau européen et donner à chacun la possibilité de s'épanouir. Alors, cette concertation, qui doit pouvoir nous donner des éléments d'élaboration, de l'évolution du système de recherche et d'innovation, est absolument indispensable, et elle doit se faire avec chacun. Alors, bien évidemment, la communauté scientifique au plus large, et je l'ai rappelé hier à M. Trautmann, avec qui j'ai passé du temps pour discuter justement de ces mesures, il faut que tout le monde puisse participer mais en organisant une concertation qui puisse de façon concrète et pragmatique donner des éléments d'évolution. Tous les autres partenaires, on a évoqué l'université, les organismes, les partenaires sociaux, les partenaires économiques, les organisations syndicales et le politique. C'est vrai que la recherche doit être mise en plein coeur de la politique et c'est un peu ce que je retiens de ce mouvement de mobilisation, c'est que cette recherche-priorité, non seulement c'est un concept mais on en parle, on la porte, et on fait avancer. Et c'est vrai que l'on demandait au Gouvernement, en fait, de reculer sur certaines positions. Ce que je veux dire aujourd'hui, c'est que le Gouvernement avance pour la recherche parce que c'est une priorité et avec les chercheurs."
Q- Une dernière chose et là, je ne m'adresse pas à la femme politique que vous êtes, mais à la chercheuse que vous êtes : ne craignez-vous pas qu'aujourd'hui, la recherche soit engagée plus comme une bataille économique que comme une réflexion collective pour le mieux-être de l'humanité ?
R- "La recherche c'est ce qui est merveilleux et passionnant, c'est que l'on ne sait jamais vraiment à quel moment elle va aboutir. Vous savez que je me bats beaucoup depuis quelques mois non seulement en France et en Europe aussi pour que justement cette recherche publique - bien publique, d'intérêt général, à visée collective, avec tout ce qui est par exemple la beauté de la recherche fondamentale, et tout ce qui est cette acquisition de connaissances - soit reconnue non seulement au niveau de chacune des nations et comme une politique de l'Union européenne. J'étais à Dublin il y a encore quelque temps pour proposer une Agence européenne de la science qui soit justement avec cette préoccupation essentielle de la recherche fondamentale parce que c'est le socle de tout le reste. Ensuite il y aura des innovations par les découvertes qui seront proposées. A quel terme, à quel temps ? C'est dans ce continuum lointain, un cercle qui se nourrit d'une recherche très fondamentale, vers une recherche appliquée, finalisée, des progrès technologiques qui vont permettre d'envisager un autre type de recherche, c'est là où se situe l'enjeu. Mais bien évidemment, il faut ensuite la restituer à chacun, parce que chacun attend. Et vous aurez remarqué qu'à côté de la pétition des chercheurs, il y a une pétition signée par des citoyens où il y a plus de 60 000 citoyens qui disent : oui, bien sûr la recherche c'est important. Et là aussi on a des responsabilités vis-à-vis d'eux de restituer à chacun, le politique doit restituer, le chercheur et la communauté scientifique doivent restituer à chaque citoyen qui a envie de mieux comprendre, de mieux découvrir. Je suis un peu triste que Rosetta ne soit pas parti aujourd'hui, mais ça aussi, c'est une belle recherche qui permet de mieux comprendre notre univers et notre société. Chacune des sciences, chacun des secteurs y a sa place et c'est cette mobilisation-là que je voudrais pouvoir partager avec l'ensemble de la communauté pour qu'on avance et qu'on se mobilise."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mars 2004)