Discours de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur la mobilisation du parti socialiste en faveur du oui au référendum pour la Constitution européenne, à Paris le 12 mars 2005.

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Circonstance : Réunion des comités départementaux du oui du parti socialiste à Paris le 12 mars 2005

Texte intégral

Chers Camarades,
Votre présence à cette réunion est le signe même que les socialistes sont mobilisés, dans ce moment précis de notre vie politique. Ils sont d'abord mobilisés dans l'opposition au gouvernement, à la droite et ils l'ont montré à travers leur présence dans les manifestations, à travers leur volonté de faire céder le gouvernement. Je ne sais où il en est exactement ; je ne sais d'ailleurs pas si lui-même sait où il en est. C'est pour cela qu'il a besoin d'être éclairé par nous.
Mais, il n'y a qu'une issue au mécontentement qui, lui-même, s'est intensifié ces derniers jours : c'est d'ouvrir dans le secteur privé comme dans le secteur public des négociations sur le pouvoir d'achat. Je sens bien qu'il est sur le point d'y venir ; il faut donc aussi que notre rassemblement d'aujourd'hui soit un élément de plus pour conduire l'Etat à montrer l'exemple, notamment dans la négociation des salaires dans la fonction publique.
Ce sera une manière, non pas de préparer le référendum -car je considère que les Français sont suffisamment lucides pour faire la distinction entre ce qui les mobilise dans l'opposition au gouvernement et ce qui doit les conduire à la fin du mois de mai à faire le choix de l'Europe, mais d'apaiser une situation qu'il a lui-même contribué à provoquer, à durcir.
Nous sommes dans l'opposition. Mais, cela ne nous empêche pas de prendre nos responsabilités. Nous allons le démontrer dans notre Conseil national du 20 mars prochain où nous examinerons, à travers le travail de J. Lang, M. Aubry et D. Strauss-Kahn, les premiers éléments de notre projet, c'est-à-dire le diagnostic de la société française, pour montrer à tous ceux qui attendent l'alternance que nous sommes en train de la préparer. Elle se fera en 2007, pas en 2005. Car, en 2005, nous ne sommes pas dans un rendez-vous d'alternance, mais de choix pour l'Europe. Mais, le moment de l'alternance viendra, il est inscrit en 2007. Il nous faudra faire la vraie proposition permettant de donner un espoir au pays.
Nous sommes donc mobilisés car, on le sait, il n'y aura pas d'espoir à gauche pour une alternance si c'est une autre réponse que celle proposée par le Parti socialiste qui l'emporte.
Voilà pourquoi, j'ai confiance dans la campagne qui s'ouvre, parce que je sais que les Français -contrairement à bien des idées reçues- répondent toujours à la question qui leur est posée dans un référendum. C'était d'ailleurs vrai pour les socialistes. Et c'est aussi vrai dans l'histoire du référendum sous la Vè République. On nous dit souvent : " En 1969, les Français ont répondu non pour renvoyer le Général De Gaulle ! ". Bien sûr, puisqu'il avait lui-même placé cet enjeu dans le cur même de l'élection.
Et si Jacques Chirac n'a pas fait cette proposition, c'est qu'il sait qu'alors la réponse serait forcément différente ; et que l'on répondrait nous aussi à cette question-là. Tous les référendums de la Vè République -de l'autodétermination de l'Algérie, son indépendance jusqu'au Quinquennat, Traité de Maastricht ou élargissement de l'Europe- ont reçu une réponse des Français. Et ce sera vrai aujourd'hui.
J'ai confiance aussi parce que je pense qu'il n'y a de victoire possible que si, pour des socialistes, on s'adresse à l'intelligence et à la lucidité des citoyens. Nous ne pouvons pas utiliser les peurs, les inquiétudes, les appréhensions, les angoisses pour forger un résultat électoral, quel qu'il soit. Cela vaut pour un référendum, mais cela vaudra aussi pour le rendez-vous de 2007. Nous ne pouvons pas être les candidats de la peur, les candidats du repli, de l'appréhension de l'avenir. Nous sommes forcément, parce que socialistes, ceux qui argumentent par rapport à l'intelligence, à la lucidité et à la clairvoyance.
La campagne pour le " oui " se dégage de ces deux convictions. Cette campagne doit d'abord être une campagne d'information. Je sais bien que nous avons tous le sentiment de faire un deuxième tour de campagne, le sentiment qu'il faut s'adresser aux Français -non plus aux socialistes- avec les mêmes arguments, les mêmes éléments que ceux que nous avons déployés pendant la campagne interne. Nous avions peut-être eu le sentiment, les uns les autres, d'avoir fait l'essentiel du travail le 1er décembre. Et bien, non. Tous les Français ne sont pas tous des socialistes. Malgré la campagne des adhérents du projet que nous avons lancée, nous ne sommes pas encore 60 millions !
Nous avons à faire ce travail d'information. C'est un devoir car, aujourd'hui, quels que soient les sondages, la grande majorité des Français est indécise, et c'est normal. Combien de nos concitoyens ont lu véritablement le traité ? Combien savent les points essentiels de la Constitution européenne ? Ils attendent donc de nous que nous donnions -et ce sera l'objet de tous les tracts, documents que nous allons distribuer- les éléments de compréhension du sujet. C'est un devoir citoyen. Et, c'est le respect que l'on doit aussi à la démocratie.
Nous devons donc éviter les arguments d'autorité : " il faut voter oui, parce qu'on vous dit de voter oui " ; " il faut voter oui, parce que c'est bien de voter oui " ; " il faut voter oui, parce que l'on a toujours dit oui "... En quoi ces éléments pourraient emporter la conviction ? Il faut voter oui, parce que c'est l'intérêt de l'Europe, c'est l'intérêt de la France et parce que c'est l'intérêt de la gauche. C'est à nous de faire cette démonstration et pas simplement de dire " faites nous confiance une nouvelle fois ".Ce n'est à nous que les Français doivent dire oui, c'est à eux-mêmes ; c'est à leur avenir ; c'est à l'Europe telle qu'elle doit être, telle qu'ils l'imaginent, comme un élément de force, de démocratie et de paix.
Après avoir donné l'information, et seulement après, il faut donner nos arguments de conviction, et ils sont nombreux. Ce sont des arguments pour l'Europe, parce que nous savons bien que ce Traité constitutionnel est une étape nouvelle et que s'il n'est pas adopté, ce n'est pas la crise salvatrice -que certains annoncent pour se sauver eux-mêmes, ce n'est pas la crise destructrice ; l'Europe ne va pas s'effondrer d'un seul coup. D'ailleurs aucun de ceux qui appellent à voter non disent qu'ils vont sortir de l'euro, abandonner le marché commun ou faire en sorte de ne plus épouser les directives. Ils sont peut-être contre l'Europe sans oser le dire (sauf les souverainistes et l'extrême droite).
Il n'y a pas à utiliser l'argument de la crise comme un argument, là encore, d'autorité. Il y a simplement à dire, parce que c'est la vérité, que si le Traité constitutionnel est repoussé, il n'y aura pas de Constitution en Europe, que l'on en restera au grand marché, que ce sera une grande victoire pour les libéraux, pour les anglo-saxons et, si l'on veut regarder plus loin, aussi pour ceux qui ne veulent pas d'une Europe politique dans le monde. Voilà le sujet tel qu'il doit être posé. Donc, c'est un intérêt pour l'Europe que nous devons défendre.
Un intérêt pour la France aussi, parce que si nous disons " non " en France, cela veut dire qu'il n'y aura pas de Traité constitutionnel à cause de la France, et que nul -même le Président de la République- ne pourra utiliser le " non " de la France pour négocier un meilleur traité. Qui peut imaginer d'ailleurs qu'avec les gouvernants actuels, on puisse faire un traité plus social, plus politique, avec plus de fédéralisme ? Ce serait précisément la victoire des souverainistes, alors pourquoi voudriez-vous que l'Europe devienne plus fédérale avec un " non " français ! Nous serions perdus ; je ne parle pas du Président de la République, son avenir est derrière lui ; ce n'est pas un problème de personne qui est en cause. C'est nous-mêmes qui serions mis dans la difficulté, car en 2007 nous reviendrons, de négocier l'avenir de l'Europe. C'est enfin notre intérêt de socialistes qu'il faut exprimer, parce que tous les socialistes européens ont adhéré à ce Traité. En tant que socialistes français, nous sommes dans une campagne socialiste en Europe.
On nous reproche le fait que c'est le même bulletin pour le oui ! Et oui, sur le bulletin oui, il n'y aura pas de sigle PS ou UMP... C'est le même. J'indique d'ailleurs que c'est vrai aussi pour le bulletin non. Ce sera le même. L'argument sans cesse répéter qui consiste à dire que l'on va voter comme d'autres est un piège auquel il faut prendre garde car ceux qui l'utilisent prennent le risque du retour de boomerang. Car il est terrible de penser qu'ils voteront avec ceux qui ont toujours été nos adversaires, en France, en Europe, les adversaires de la République.
Notre bulletin aura une signification particulière, et nous devons l'annoncer dans notre campagne. Pour nous, la construction européenne ne s'arrête pas avec le Traité constitutionnel. Ce que nous devons ouvrir comme perspective -parce que nous sommes la gauche en France, parce que nous sommes la gauche en Europe- c'est de savoir ce que nous ferons après, ce que nous ferons avec le Traité constitutionnel pour construire l'Europe sociale, l'Europe politique, parce que nous n'en avons jamais terminé avec l'aventure européenne. Parce que c'est une affaire de génération -sans doute- à chaque étape, et les générations qui viennent auront aussi à parfaire cette construction de l'Europe. Je vous appelle là aussi à montrer que cette histoire de l'Europe est une histoire qui se prolongera longtemps et qui est une histoire non pas seulement pour un continent, non pas simplement pour les Européens. Ce que nous faisons ici, en Europe, vaut pour le monde. Notre ambition d'Européens est de peser sur le destin du monde. Pas simplement pour nous protéger, pas simplement pour nous isoler par rapport au désordre extérieur. Et s'il faut être internationaliste, c'est maintenant. N'ayons pas peur que des pays autres que l'Europe se développent, ne soyons pas simplement craintifs de voir des puissances nouvelles émerger ; cela voudrait dire que nous souhaiterions qu'elles soient toujours dans le sous-développement, toujours dans la misère, la dictature !
Si nous sommes Européens, c'est parce que nous voulons construire un monde à notre image. Pas forcément avec toutes nos valeurs (celles de la démocratie, oui, car elles n'appartiennent pas à l'Europe, mais à tout le monde). C'est la raison pour laquelle nous voulons une Europe de la paix. Pas simplement de la paix entre nous. Il n'y a d'ailleurs pas de risque majeur. Mais de la paix dans le monde, car nous voulons porter ce message en dehors de nos frontières.
Il faut lutter contre tous les amalgames, contre toutes les caricatures, et elles sont nombreuses. Je suis frappé par le fait que tous ceux qui sont contre le traité constitutionnel ne parlent jamais du traité constitutionnel. Parce que c'est impossible de parler des reculs du traité constitutionnel. Donc, la construction européenne devient une espèce de fantasme où on lui attribue tout ce qu'il n'y a pas dans le texte et tout ce que l'on reproche au contexte. On en fait un prétexte, car c'est bien de cela dont il s'agit, en disant " on ne vous parle pas de l'Europe, on ne vous parle pas de la Constitution européenne, mais on va vous parler de la directive Bolkestein ". Mais qui est donc ce Monsieur Bolkestein dont on en fait des figures d'épouvantes ? Je rappelle tout de même que les premiers à avoir pris position contre la directive Bolkestein sont les socialistes européens ; les premiers qui ont lancé une mobilisation contre la directive Bolkestein sont les socialistes Belges, toujours à l'avant-garde du mouvement ouvrier. On ne va donc pas nous faire croire, aujourd'hui, que ce serait la menace la plus grande, quand ce sont les socialistes européens qui ont d'ailleurs déjà largement déchiré ce projet de directive Bolkestein.
On veut aussi nous parler du libéralisme en Europe, comme si la Constitution était l'intégration du libéralisme en Europe ! Non. Le mal libéral, c'est le mal des gouvernements libéraux en Europe. Et si on veut changer l'orientation de l'Europe, il faudra d'abord changer les gouvernements en Europe, à commencer par le nôtre.
L'unité des socialistes, c'est d'abord le respect du vote, de leurs votes. Parce que si nous sommes une grande formation politique démocratique, c'est que nous avons toujours conçu le vote comme le principe devant être respecté par tous, que ce soit pour la désignation de nos candidats, de nos orientations de Congrès ou pour le choix -sur une question aussi essentielle- du traité constitutionnel. L'unité des socialistes doit être fondée sur des règles et des principes : le respect du vote.
Il n'y a pas de justification possible, pas d'excuse valable au manquement à la règle. Après, on est obligé -pour ceux qui veulent s'en éloigner- d'évoquer des cas de conscience ou des rappels à l'Histoire. Dans un parti démocratique, dans un parti qui fait prévaloir le vote, on ne peut pas sortir du jugement majoritaire des militants et des adhérents. C'est bien la raison pour laquelle, nous devons d'abord infliger une sanction politique et morale à ceux qui s'en détournent et ne pas entrer dans je ne sais quel processus disciplinaire, dans je ne sais quelle procédure de conflit interne. La meilleure façon de ramener chacun à la règle collective, de ramener chacun au respect du vote des militants, c'est de montrer que l'orientation qui a été la nôtre va gagner devant les Français.
Je ne vous dis pas qu'il n'y aura pas de rendez-vous après, parce que le vote des militants va avoir l'occasion de s'exprimer. D'abord dans les congrès du Parti socialiste, ensuite dans la désignation des candidats pour toutes les élections. Je rappelle donc à chacun et à chacune ces rendez-vous. On n'en a pas fini avec les militants. On les retrouve toujours à un moment sur notre route. Ils auront rendez-vous avec les militants. Qu'ils s'en souviennent dès à présent. Cela les ramènera un peu à l'équilibre.
Mais, comme Premier secrétaire, je ne ferai pas de surenchère, de polémique, de lutte interne. Nous avons mieux à faire. Aujourd'hui, ce que nous avons à faire, c'est de faire gagner le oui dans notre pays et je ne m'en détournerai pas. Car c'est le seul objectif qui nous permettra d'atteindre les autres.
Je vous appelle à être attentifs dans vos fédérations à cette unité du Parti. On nous dira que nous sommes peut-être oublieux des contraintes que nous avions posées. J'entends cet argument. Mais je veux ici être unitaire pour tous, parce qu'il y aura aussi un après référendum dans le Parti socialiste. Et notre rôle, en tout cas celui des responsables qui sont ici, sera de faire en sorte qu'au lendemain de ce référendum victorieux, nous puissions nous retrouver tous, fiers de nos règles communes, fiers du résultat obtenu. Car, de notre unité dépend le reste et dépend notamment le rassemblement de la gauche.
J'entends ce qui se dit, je lis ce qui s'écrit. L'Europe a toujours été un sujet de controverse à gauche -et même au Parti socialiste. Souvenons-nous de 1992. Nous savons que l'Europe a toujours traversé le Parti socialiste et la gauche, y compris lorsque François Mitterrand -devenant Premier secrétaire après Epinay- signe le programme commun avec le Parti communiste. Pensez-vous qu'il a été simple de mettre au cur du rassemblement qui s'opérait la question européenne ? Et même dans le Parti socialiste, il a fait un congrès extraordinaire pour imposer la ligne européenne qui était la sienne et qui est la nôtre encore aujourd'hui. Pour autant, cela n'a jamais empêché l'unité des socialistes ni le rassemblement de la gauche !
Par conséquent, encore aujourd'hui, le clivage européen n'est pas le clivage principal. Le clivage principal, c'est le clivage entre la droite et la gauche. Et l'oublier, ce serait à ce moment-là exonérer la droite, le pouvoir, de sa propre responsabilité.
L'Europe n'empêche pas le rassemblement de la gauche ; c'est souvent le rassemblement de la gauche qui fait avancer l'Europe. Paradoxe ; car c'est avec les victoires de la gauche -celles de Mitterrand, puis celles de Lionel Jospin- que la gauche a su faire avancer l'Europe.
Voilà pourquoi, en ce moment du mois de mars, a, à peine trois mois du référendum du 29 mai, nous sommes rassemblés ici, conscients d'être fidèles à l'identité du Parti socialiste à travers ses engagements européens, conscients du sens de l'unité qui doit être la nôtre, de la perspective du rassemblement de la gauche. Tout ceci constitue les marqueurs de notre identité et ce seront les conditions de nos victoires futures.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 17 mars 2005)