Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la réforme hospitalière, la restructuration du système de soins, et les orientations du Haut Conseil de la réforme hospitalière, Paris le 16 juin 1995.

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Circonstance : Installation du Haut Conseil de la réforme hospitalière, Paris le 16 juin 1995

Texte intégral

Madame le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'installer ce matin le Haut Conseil de la Réforme Hospitalière. Il siègera, Mme le Ministre, auprès de vous, comme il est naturel, mais j'ai souhaité aujourd'hui vous dire personnellement et, pour ainsi dire, d'entrée de jeu, toute l'importance qui s'attache à la mission que vous avez acceptée.
La réforme hospitalière est en effet, pour notre pays, un enjeu essentiel.
Mieux que quiconque, vous connaissez les défis auxquels l'hôpital est aujourd'hui confronté. La tâche qui vous attend est de même ampleur que celle qui, il y a déjà près de quarante ans, incombait au "Comité Interministériel d'Études", présidé par le Professeur Robert DEBRÉ. Il s'agissait alors de construire l'hôpital moderne, il s'agit aujourd'hui de le rebâtir. Mais avec une même exigence, celle de l'excellence, de la qualité des soins, et de l'accès aux soins pour tous.
En effet, l'hôpital ne répond plus à ce qui a fait sa grandeur et qui doit demeurer son objectif principal : offrir à tous les bienfaits du progrès médical et la qualité des soins.
Aujourd'hui, l'hôpital est enferré dans une logique stérilisante, celle du budget global. Elle ne lui permet pas d'offrir une médecine d'excellence et de répondre aux besoins nouveaux de la population.
Le budget global a eu pour effet de figer les structures hospitalières, de créer des rentes de situation pour les établissements les moins performants, tout en perturbant le développement des plus efficaces.
Le résultat c'est trop souvent le découragement de l'ensemble des professionnels de l'hôpital. C'est la rigidité, l'opacité, l'absence de moyens pour l'innovation et le progrès. Pour autant, la dépense hospitalière atteint aujourd'hui plus de 350 milliards de francs et progresse actuellement près de trois plus vite que l'inflation sans que nos concitoyens soient mieux soignés qu'ailleurs, comme le montrent les indicateurs de santé publique qui nous placent seulement au 10ème rang mondial.
A continuer de la sorte, nous courons un double risque. Celui de la paupérisation non seulement de notre système hospitalier, mais aussi de l'ensemble du système de soin. Celui également de l'implosion du système d'assurance maladie.
Je refuse ce scénario de l'inacceptable qui mettrait en cause non seulement la santé de nos concitoyens, mais toute notre conception de la solidarité. C'est pourquoi il faut changer. Changer pour progresser. Pour améliorer. Et non pour rationner.
Cela veut dire un objectif et une méthode.
Un objectif : celui du progrès et de l'excellence dans la prise en charge et la qualité des soins.
Pour atteindre cet objectif, il faut changer notre vision du monde hospitalier trop souvent perçu comme un univers à part au sein de notre système de santé. Il est ainsi devenu indispensable d'intégrer l'hôpital dans une logique de chaîne de soins reposant sur un partenariat étroit avec la médecine de ville et les structures hospitalières privées.
Il n'est que temps en particulier de tirer toutes les conséquences des progrès thérapeutiques qui permettent de soigner chez eux ceux qui hier étaient pris en charge à l'hôpital à un coût très élevé. Il est impératif d'offrir beaucoup plus largement aux malades des services de soins et de soutien à domicile. Nous devons inventer, au-delà de l'hospitalisation à domicile, de nouveaux modes de prise en charge, alliant soins coordonnés et aides à la vie quotidienne. C'est là un enjeu important. Pas seulement pour les personnes âgées, pour lesquelles nous allons créer une prestation dépendance. Mais pour beaucoup de ceux qui souffrent d'affection de longue durée. Je pense en particulier aux malades du cancer comme aussi aux malades du sida.
Avant toute chose, il nous faut ainsi adopter une vision de l'hôpital centrée sur les besoins des malades. C'est-à-dire une vision médicale de l'hôpital.
C'est pourquoi la réforme de l'hôpital doit avoir pour objectifs, grâce à la mise en place d'une organisation plus performante, de renforcer la qualité et la sécurité, de répondre aux besoins de santé évolutifs de la population, de développer la prévention, les alternatives à l'hospitalisation et de donner une impulsion à l'enseignement et à la recherche.
Cet objectif définit une méthode. Nous ne changerons pas l'hôpital contre, mais avec. Avec d'abord les personnels hospitaliers, médecins, infirmières, aides soignantes, personnels administratifs, personnels de plateau technique...
Pour cela, il faut clarifier les missions de l'hôpital, simplifier et assouplir les procédures réglementaires, développer les complémentarités et associer tous les acteurs. Il faut enfin inventer des mécanismes d'autorégulation, plutôt que d'agir par la circulaire.
Cette méthode, proposée par le Président de la République, et que j'ai eu l'occasion de rappeler devant l'Assemblée nationale, c'est celle du contrat d'objectifs et de moyens, négocié avec les équipes hospitalières sur la base de critères avant tout médicaux.
Il faut que les équipes soignantes puissent être intéressées à la réalisation de ces objectifs.
Le renouvellement du contrat devra se faire à partir d'une évaluation à la fois qualitative et quantitative.
Pour que cette contractualisation soit efficace, il faut qu'elle s'inscrive dans une cohérence d'ensemble tout à la fois organisationnelle et financière que le niveau régional est sans doute le mieux à même de garantir, sous réserve qu'il associe véritablement l'ensemble des partenaires concernés.
C'est dire que l'hôpital ne doit pas seulement changer, en s'appuyant sur une dynamique contractuelle avec l'ensemble des professionnels hospitaliers. Il doit aussi savoir, en quelque sorte, changer avec et pour les usagers. Autrement dit, il s'agit de réfléchir en termes de continuité de prise en charge, de qualité des soins, de sécurité des patients, de diversification de l'offre de soins. Et de substituer à une approche administrative qui se focalise sur la notion de "lits" une approche là aussi médicale, concertée en profondeur avec tous les acteurs du système de soins.
C'est dans cette concertation et cette analyse des besoins et des modalités de prise en charge que s'établiront de nouveaux équilibres, et que sera pleinement intégrée la dimension essentielle, de l'aménagement du territoire. C'est dans cette concertation que se dégageront les marges de manuvre qui permettront à notre protection sociale de ne pas s'asphyxier, d'améliorer la qualité des soins, de diversifier les modes de prise en charge. Sans cette réforme structurelle en profondeur, de dérives en dérives, c'est la sécurité sociale elle-même qui finirait par être menacée.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les membres du Haut Conseil, les grandes orientations sur la base desquelles le Gouvernement souhaite que vos travaux s'engagent, et s'engagent très vite.
Avec, pour votre Haut Conseil, une triple mission : écouter, proposer, innover et cela tout au long du processus de réforme.
Vous aurez à auditionner toutes les personnalités que vous jugerez susceptibles d'enrichir vos réflexions.
Il vous appartiendra également de faire les propositions nécessaires à la réussite de la réforme à partir des principes d'action que vos travaux auront contribué à dégager. Je souhaite pouvoir disposer de vos premières conclusions pour octobre.
Enfin, je compte sur vous pour nous aider à innover. Je souhaite, en particulier, que vos premières réflexions soient consacrées à définir les voies et moyens d'une première expérimentation sur plusieurs établissements d'une même région. Celle-ci devra être lancée dès le mois de septembre prochain de telle façon que vos analyses et propositions puissent en continu s'enrichir des observations et remontées "du terrain".
Je sais la lourdeur de vos tâches. Je sais ce que leur ajoute la mission que vous venez d'accepter. Permettez-moi de vous exprimer toute ma reconnaissance pour nous aider à relever ce défi essentiel de la modernisation hospitalière. Un défi qui dépasse l'hôpital pour concerner l'ensemble du système de soins. Un défi qui ne concerne pas seulement les professionnels de l'hôpital mais chacun de nos concitoyens.
Grâce à votre concours déterminant, j'ai confiance que nous pourrons ensemble construire l'hôpital du XXle siècle dans la fidélité aux principes qui l'ont fondé et qui en ont fait une des plus belles réalisations de la Cinquième République. Soyez en remerciés.