Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à RTL le 15 février 2005, sur la position de la CGT sur le référendum sur la constitution européenne et l'interférence entre le débat politique et le débat syndical.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour B. Thibault. On a eu un peu de mal à comprendre ces jours-ci ce que voulait la CGT. Alors la question est simple ce matin, B. Thibault : la CGT appelle-t-elle les électeurs du prochain référendum à voter non au traité constitutionnel sur l'Europe ?
R- La CGT, par ses instances, le comité confédéral national, a adopté un texte qui permet à une majorité, une grande majorité des organisations qui composent la confédération, c'est-à-dire les fédérations professionnelles et les unions départementales, qui précisent qu'elles rejettent majoritairement les termes du traité. Il n'y a pas un appel formel au vote, mais ça sous-entend un rejet de ce projet de traité. Avec un texte qui précise - mais ça je dirais que c'est naturel, c'est logique - que de toute façon, il reviendra à chaque électeur de se déterminer, que chacun est libre de son suffrage.
Q- Alors l'électeur B. Thibault, il fera quoi au moment du référendum ?
R- L'électeur B. Thibault, il fera comme les autres citoyens : il s'exprimera dans le secret de l'isoloir.
Q- Ah, formidable ! Vous ne voulez pas dire ce que vous allez voter au référendum.
R- Je sais que certains commentateurs, journalistes, ont cru pouvoir décrypter ce qu'allait être mon choix. Je ne l'ai jamais indiqué, et je ne l'indiquerai pas, dans la mesure où je sais bien que s'agissant...
Q- Pour quelle raison ?
R- Pour une raison simple : c'est que je sais bien que ce que je pourrais dire sur ce sujet serait source d'exploitation. Ce n'est pas le suffrage de B. Thibault qui est intéressant, c'est éventuellement ce que pourrait déclarer, faire, le secrétaire général de la CGT.
Q- Évidemment.
R- Et dès lors que j'ai une conception de mon mandat au service de l'ensemble de nos adhérents, et plus largement de ceux que nous influençons, qui ont des différences d'appréciations entre eux, sur toute une série de sujets - qu'il s'agisse des choix politiques, des choix philosophiques, voire des choix religieux - j'essaye d'exercer un mandat qui respecte cette diversité de nos adhérents.
Q- Ça veut dire que, très majoritairement, les cadres, les responsables de la CGT appellent à voter "non" et vous, B. Thibault, qui êtes leur chef, vous ne voulez pas dire ce que vous allez faire.
R- Je ne suis le chef de personne.
Q- Si, vous êtes le chef de la CGT.
R- Je suis le secrétaire général de la CGT. C'est différent de "chef". Est-ce que vous pouvez continuer à diriger la CGT quand il y a visiblement sur une question aussi importante, quelque chose qui relève peut-être de la divergence de fond, et en tout cas de la divergence stratégique, que vous ne souhaitiez pas que la CGT donne une consigne de vote ?
R- Écoutez ! nous avons analysé ce qui s'est passé par une réunion de la commission exécutive. Il y a plusieurs éléments qui ont interféré dans notre débat. D'une part, la manière dont nous l'avons préparé - d'aucuns ont parlé d'autocritique, oui mais il faut savoir que dans une organisation, surtout lorsque nous avons les responsabilités que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire le syndicat en développement, une influence grandissante, voire des adhésions de plus en plus nombreuses, nous avons des responsabilités plus importantes que nous en avions hier. Donc nous ne pouvons pas décider ou préparer, je dirais un peu à la volée un certain nombre de résolutions, ou de prises de position, sans prendre davantage soin à la manière dont nous organisons nos débats. Et, de ce point de vue-là, le collectif est d'accord pour considérer que nous n'avons pas bien travaillé dans la phase préparatoire. Il y a aussi l'environnement qui a entouré notre réflexion syndicale. Et il est un fait que nous sommes dans un contexte politique, qui est très particulier, sur lequel nous ne pouvons pas sous-estimer les interférences qui peuvent exister entre les réalités politiques, les débats politiques.
Q- Qu'est-ce que vous voulez dire ? Je ne comprends pas, là.
R- Les interférences ?!
Q- Dites clairement les choses, je ne comprends pas. C'est quoi les interférences politiques ?
R- Ce que beaucoup ont relevé, à savoir qu'il pouvait y avoir tendance - et la CGT n'est pas le seul syndicat à être confronté à ce genre de phénomène - tendance à ce que le débat politique interfère avec le débat syndical. Autrement dit, d'importer dans les organisations syndicales des débats de nature politique.
Q- Qui est-ce qui en est responsable ? Les dirigeants communistes ? Les dirigeants socialistes ?
R- Il n'y a pas une responsabilité unique. Je crois qu'on est aussi dans un contexte politique où il y a quelques ambiguïtés quant à la vocation syndicale à notre mission syndicale. Donc, ça va être l'objet de la préparation et de la convocation du prochain congrès, justement que de parvenir à quelques clarifications sur notre démarche, sur nos objectifs, sur ce que nous sommes.
Q- Vous voulez couper le cordon ombilical avec le parti communiste. Vous y êtes cette fois-ci décidé, B. Thibault.
R- Il n'y a plus de cordon ombilical de la CGT avec quiconque, si tant est qu'il y en ait eu en d'autres périodes.
Q- Il y en eu ? Il y en a eu...
R- Mais ça ne veut pas dire pour autant que tout le monde partage de manière uniforme la place que nous devons occuper en tant que syndicat dans la société française, et en Europe dans le contexte d'aujourd'hui.
Q- Vous demanderez le renouvellement de votre mandat au prochain congrès début 2006 ?
R- Dès lors qu'il y a un congrès de convoqué, la question de la direction de l'organisation sera posée normalement parmi les questions qui seront à l'ordre du jour d'un congrès.
Q- Serez-vous candidat à votre propre succession Bernard Thibault ?
R- Nous verrons ça le moment venu.
Q- Vous ne voulez même pas dire ça ! Eh ben dites donc ! Vous n'êtes pas .... Ce matin, c'est ...
R- Je travaille sur les échéances telles qu'elles se présentent. Nous sommes déjà, parmi les premiers rendez-vous que nous avons organisés les suites des manifestations du 5 février. Et je pense que dans les 24 heures nous aurons un peu de nouveau, compte tenu de ce que sont les conversations avec mes homologues syndicaux et j'espère que nous pourrons conclure à un appel de nouveau unitaire à la mobilisation, parce que c'est ça qui est prioritaire, pour faire en sorte que sur les questions de salaires, d'emploi, de droit du travail, nous ne soyons pas confrontés aux mêmes réponses, c'est-à-dire à l'absence de réponses aux revendications, du Gouvernement. Considérez aussi que dans les priorités qui sont les miennes, celles-là comptent parmi beaucoup d'autres.
Q- C'est enregistré, prenons-en acte, prenons acte aussi du fait que vous ne voulez pas dire ce matin si vous demanderez le renouvellement de votre mandat de secrétaire général lors du prochain congrès de la CGT.
R- Mais on ne décide pas de ce genre de chose à une émission du matin ! Nous avons aussi des procédures internes et des débats collectifs à avoir, s'agissant de la direction, des orientations et tous les points qui figureront à l'ordre du jour d'un congrès.
Q- M.-G. Buffet : "c'est formidable la décision de la CGT". J.-L. Mélenchon : "c'est un renfort considérable"... Ces récupérations vous agacent, B. Thibault ?
R- C'est dans la logique des choses. Les responsables politiques défendent leur point de vue sur la Constitution. Nous avons nous aussi précisé à nos organisations que le texte que nous avons adopté, de nature syndicale, devait être utilisé dans un cadre syndical. Et nous avons d'ailleurs alerté nos responsables pour qu'ils soient attentifs sur le fait d'éviter, autant que faire se peut, les exploitations politiques qui dénatureraient le sens de notre message syndical.
Q- Et si certains responsables de la CGT participent, je ne sais pas à des meetings, des réunions. Vous allez les gronder un peu ?
R- Les responsables de la CGT, les adhérents de la CGT sont par ailleurs des citoyens, ce ne sont pas des bêtes à part les adhérents de la CGT. Et il est tout à fait normal, dans la logique des choses - ça ne pose pas de problème, en interne - que nous ayons des adhérents qui soient, soit adhérents d'un parti politique, soit veulent militer en tant que citoyens pour défendre une position particulière à l'occasion d'un référendum.
Q- Vous avez conscience, B. Thibault, que votre intervention de ce matin sur RTL sera commentée comme l'expression d'un doute sur votre propre position.
R- Écoutez ! c'est bien que la CGT fasse l'objet de commentaires, ça veut dire que c'est une organisation vivante et qui intéresse. Le pire serait que nous restions dans la confidentialité et l'indifférence générale, ça n'est pas le cas, et je m'en félicite !
Eh bien, B. Thibault, ce matin, est sorti de la confidentialité. C'était
sur RTL. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 février 2005)