Tribune de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, dans "Le Figaro" du 29 avril 2005, en faveur de la constitution européenne, moteur de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Enthousiasme ! C'est un mot qu'on n'arrive plus à entendre dans ce concert d'arguments pour le oui ou pour le non, dressant plaidoyers ou réquisitoires qui, se voulant trop souvent rationnels, occultent la vraie dimension de ce qui reste une formidable aventure humaine, à la fois leçon d'histoire et promesse d'avenir, réunies autour des valeurs de liberté, de démocratie et de progrès. Comme si, tout à coup, nous devenions amnésiques de notre propre histoire ! Comme si, tout à coup, on n'osait plus faire le pari de l'avenir !
Alors c'est bien d'enthousiasme et de ferveur dont je veux parler ici car s'il n'y avait que deux raisons de voter oui pour ce projet de traité constitutionnel de l'Union européenne, je dirais que c'est d'abord un devoir de mémoire pour toutes les femmes et les hommes qui, au prix de leur vie, ont dit non aux guerres civiles européennes, au fascisme et au nazisme et ont forgé l'Europe de la paix, de la liberté et de la démocratie, l'Europe de l'Union, une Europe puissante et respectée par les autres parties du monde.
Et je dirais ensuite que c'est un devoir pour les générations futures, devoir de transformer cette incontestable puissance commerciale et économique en projet politique pour nos enfants.
Et tout à coup, au-delà de la bataille des articles, c'est un autre air qui se fait entendre devant la menace du non, un air grave, l'air des grands jours, l'air des instants solennels où l'on prend son destin en main, où l'on décide de peser sur l'histoire, où l'on ose dire oui, acte qui est toujours, surtout en France, beaucoup plus difficile que de dire non.
Car enfin, que nous est-il demandé le 29 mai prochain ? Tout simplement d'accepter que cette Europe en mouvement continue de se construire, elle qui s'est construite toujours sur l'égalité.
En tant que ministre de la Parité et de l'Égalité professionnelle, je peux l'affirmer avec force : depuis l'origine, dès le traité de Rome, dans tous les grands rendez-vous juridiques ou politiques, l'Europe a été le moteur de l'égalité entre les femmes et les hommes : pas moins de dix directives qui, dans le domaine de l'emploi, de la maternité, de l'accès aux services ont conforté les droits des femmes ; des politiques de coordination qui dans l'emploi, la lutte contre l'exclusion, la formation, ont toujours tiré vers le haut les exigences nationales ; des financements communautaires spécifiques pour promouvoir des actions en faveur des femmes, y compris pour la lutte contre les violences.
L'Europe a toujours été une chance pour les femmes, et ce projet de traité constitutionnel non seulement conforte ces droits mais les amplifie. Faire de l'égalité entre les hommes et les femmes une valeur de l'Union constitue une avancée considérable qui consolide un modèle social européen largement inspiré de la France mais qui nous incite à faire mieux encore. Ce à quoi nous invite également la charte des droits fondamentaux intégrée au socle constitutionnel.
Et que personne ne croie une seconde les contre-vérités assénées sur une fragilisation possible du droit à l'IVG, au divorce ou du principe de laïcité. Cette Constitution, tout autant que la Convention européenne des droits de l'homme qui a adopté des formulations quasiment identiques, réserve toute sa place au législateur national pour adapter ses lois aux moeurs de son pays.
Oui, l'Europe est forte de ses valeurs, forte de ses institutions qui progressent, même si l'effort est parfois jugé insuffisant, forte enfin du message qu'elle porte à travers le monde à toutes les femmes, message d'espoir à toutes celles qui ne connaissent pas la démocratie, message de solidarité à celles qui souffrent dans les conflits armés ou sont victimes de violence. Car partout dans le monde, on nous envie l'Europe ; on nous envie cet espace de stabilité politique et de progrès social ; on nous envie les formidables avancées que l'Europe porte en elle pour l'avenir.
Alors, oui, la vie quotidienne est difficile ; oui, il faut un emploi et il faut le garder, mais cette question primordiale pour les Français, liée au modèle de croissance des pays développés, ne peut que bénéficier, pour être résolue, de ce grand marché européen. La France y tient une position de premier plan ; elle inspire l'Europe contemporaine. Notre projet de loi sur l'égalité salariale en est un exemple parmi d'autres.
Ne donnons pas un coup d'arrêt à cette dynamique essentielle. Ne cassons pas ce pour quoi nous avons déployé tant d'efforts. Ne marginalisons pas la France dans cette histoire collective. Ne revenons pas à la portion congrue du traité de Nice dont nous aurions tant de mal à décoller à nouveau.
Nos sociétés modernes n'ont été ni pensées ni gérées par les femmes. Saluons l'Europe qui a contribué à accélérer l'histoire de notre modernité.
Oui, l'Europe est une chance pour les femmes, et les femmes veulent afficher les couleurs de l'Europe, le bleu du drapeau qui fait écho au nôtre et, le 29 avril prochain, elles se retrouveront pour le dire, au Trocadéro, soixante ans jour pour jour après le premier vote des femmes.

(Source http://www.u-m-p.org, le 2 mai 2005)