Interview de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, à "Radio Classique" le 28 février 2005, sur la recherche-développement au Japon, sur les exportations en Chine, sur l'implantation du réacteur ITER en France, sur le déficit du commerce extérieur dû en partie au dollar faible.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- A. Fleury : Nous recevons ce matin le ministre délégué au Commerce extérieur F. Loos qui est en ligne depuis Strasbourg. Bonjour monsieur le ministre.
R- Bonjour.
Q- Votre bureau est à Bercy, vous aurez un nouveau collègue ou patron, officiellement, ce midi, en la personne de T. Breton, après la passation de pouvoir avec H. Gaymard. Dans quel état d'esprit accueillez-vous le nouveau ministre de l'Economie ?
R- Ecoutez, je suis un peu le vétéran de Bercy puisque j'y suis depuis le début et j'ai travaillé avec F. Mer, N. Sarkozy, H. Gaymard.
Q- A. Fleury : Donc ça en fait 4.
R- Les problèmes du commerce extérieur sont restés les mêmes et donc je suis sûr que T. Breton va m'aider.
Q- A. Fleury : Le mélange de la politique et de la société civile, on peut toujours y croire après l'épisode F. Mer ?
R- T. Breton a une expérience politique réelle. Donc je pense que ça lui donnera un supplément par rapport à la vie d'industriel qu'il a connue également.
Q- A. Fleury : Expérience politique en l'occurrence en Poitou Charente aux cotés de J.-P. Raffarin.
R- Je pense qu'il n'y a pas de miracle. Il faut connaître la vie parlementaire, il faut connaître ce que ça veut dire que de devenir élu. Il faut savoir ce que c'est lorsqu'on s'adresse aux autres élus.
Q- E. Chol : Monsieur le ministre vous rentrez du Japon, la 2ème économie mondiale, vous vous êtes intéressé à la recherche japonaise qui représente plus de 3 % du PIB de ce pays. Alors y a til des leçons à tirer pour la France au moment où on parle de "pôles de compétitivité" ?
R- Oui parce que les Japonais ont fait le même exercice que nous. Ils ont aussi rassemblé des clusters et ils les ont d'ailleurs rassemblés de façon différente mais le résultat revient au même. Ils ont des clusters industriels et des clusters de recherche. Ensuite ils se sont débrouillés pour que les clusters industriels correspondent aux clusters de recherche. Et les 3% qu'ils ont, c'est principalement avec de l'argent des industriels. Donc ils ont quelque part un peu d'avance dans la réflexion et dans l'action par rapport à nous. Mais d'un autre coté, on voit aussi l'avance dans les produits. Le Japon est un pays très innovant, les entreprises industrielles vous présentent sans arrêt des nouveaux produits, quelquefois on peut trouver que ce sont des gadgets mais quelquefois ce sont vraiment des innovations intéressantes. Et à tous les coups, les Japonais mènent une politique qui ressemble à la nôtre et qui, sous certains aspects, a peut-être de l'avance par rapport à la nôtre.
Q- E. Chol : Le Japon fait aussi partie avec l'Arabie Saoudite des rares pays qui affichent un excédent de leur commerce extérieur vis-à-vis de la Chine. La France à l'inverse voit son déficit grandir chaque année, vis-à-vis de Pékin. Est-ce une fatalité ?
R- Pour le Japon, la situation est très différente, c'est-à-dire que beaucoup d'équipements sont forcément pris chez le voisin. L'investisseur japonais est très important, donc ils ont une proximité que nous n'avons pas. Ce n'est pas tellement comparable. Par contre la fatalité non. Nous avons fait des efforts en augmentant les exportations vers la Chine de 30 % en 2003, de 15 % en 2004. Nous devons continuer à un rythme plus élevé que ça, et pour cela nous faisons des manifestations en Chine auxquelles sont invitées un nombre très important de PME. Cette année, il y en a pour 1600 PME à Shanghai, à Pékin, à Canton, d'ailleurs avec l'aide des autorités chinoises qui souhaitent nous aider dans ce processus.
Q- A. Fleury : F. Loos, effectivement, la Chine et toute la région, véritable Eldorado aujourd'hui. Quels sont les secteurs particulièrement porteurs d'avenir dans cette région ?
R- Tous les secteurs de bien de consommation. Vous savez bien que la Chine a une élévation du niveau de vie et une grande partie de cette élévation provient de gens qui atteignent un niveau de vie élevé. D'un autre coté, ce qui est le cas d'un pays émergeant, c'est les biens d'équipement. Et dans les biens d'équipements, c'est là par exemple que nos collègues allemands font plus que nous. Mais nous avons dans tous les grands projets chinois, des propositions, que ce soit pour le nucléaire, pour le train, pour le TGV, que ce soit pour les centrales thermiques, que ce soit pour les barrages, pour les Airbus etc. Dans tous
les grands domaines d'investissement, nous avons des offres et, là, il y a un potentiel important, et il y a un potentiel très importation dans les biens de consommation.
Q- E. Chol : J. Chirac se rendra dans quelques semaines au Japon. Qu'attendez-vous de cette visite présidentielle et est-ce qu'elle permettra par exemple, de faire avancer le dossier ITER ?
R- Ecoutez curieusement les Japonais que j'ai rencontrés, dont par exemple l'équivalent de notre T. Breton maintenant, ne m'en a pas parlé. Et d'une certaine façon, les Japonais ont sans doute compris la forte volonté de l'Union européenne d'implanter ITER à Cadarache.
Q- A. Fleury : ITER, c'est le centre de recherche international hein ?
R- Oui. Il y a donc de la part des Japonais sans doute une espèce d'acceptation latente de la décision européenne. Mais enfin, ça reste à finaliser. En tous cas, ils ne m'ont pas rendu porteur de message là dessus.
Q- A. Fleury : Quels sont les ponts forts pour nous défendre, monsieur Loos, concernant le projet ITER ?
R- Ecoutez la détermination et la qualité du site par rapport au site japonais. Le site japonais est très loin de Tokyo et très loin de toutes activités équivalentes. Et ça correspondrait à une création ex nihilo d'un campus dans une zone qui, de plus, est sismique. Alors que chez nous, ITER s'inscrit dans un environnement scientifique qui correspond parfaitement au projet.
Q- A. Fleury : Le commerce extérieur, E. Chol, on en dit un mot ?
E. Chol : De façon plus générale, le commerce extérieur a enregistré en 2004 un déficit de 7,8 milliards d'euros, lié en grande partie aux importations de pétrole. Alors est-ce la seule raison qui explique cette mauvaise performance ?
R- Non, c'est aussi parce que nous avons de la croissance. Les 2,5% de croissance que nous avons en France sont comme les 2,9 ou quelque chose comme ça qu'a l'Angleterre et les 3,5 ou 3,8 qu'a l'Espagne. Ces 2 autres pays européens, ce sont eux qui ont les plus gros déficits commerciaux. C'est-à-dire que le fait d'avoir de la croissance augmente les importations. Et ce qui est bon, c'est qu'on ait de la croissance et donc que cette croissance se traduise par des importations supplémentaires, c'est normal. Et ce n'est pas grave parce que le déficit est grave s'il a un effet sur la valeur de la monnaie. Or notre monnaie, ce n'est plus le franc mais c'est l'euro, et même si ça avait un petit effet sur la valeur de l'euro, c'est-à-dire même si ça faisait baisser un peu la valeur de l'euro, ça ne nous dérangerait pas.
Q- A. Fleury : Alors qu'en est-il justement de l'impact de la parité actuelle euro/dollar ? Face au dollar ce matin, l'euro est à 1,3269. Est-ce que c'est une parité on dirait facile, pour commercer aujourd'hui avec l'international ?
R- Non. On peut dire que l'année dernière, la chute du dollar a eu pour effet de nous priver de 2 % d'exportation, c'est-à-dire 7 milliards d'exportation et d'augmenter nos importations de 2 milliards. Parce que les produits étant moins chers, cela joue et cela contribue négativement à notre balance. Cela contribue négativement aux performances et à la compétitivité de certaines des entreprises qui sont plus touchées par ce phénomène.
Q- A. Fleury : Là encore une fois, il y a des secteurs particulièrement plus touchés que d'autres ?
R- Bien sur. Si vous fabriquez beaucoup en dollars, et vous vendez beaucoup en euros, vous êtes gagnant. Donc il y a des secteurs pour lesquels la fabrication est en euro et la vente en dollar, et par contre ils sont perdants. Donc tout ça est très variable d'une entreprise à l'autre. Mais globalement, évidemment, c'est plutôt plus difficile. Et l'effet mesuré par les économistes, c'est plus 2 %, moins 2 %. Donc 7 milliards en plus, 7 milliards en moins, donc ça fait un écart de 14 milliards dans nos échanges. Ceci dit, aujourd'hui, ce qui compte c'est d'une part la stabilité du dollar et d'autre part, son niveau absolu. Alors son niveau absolu, nous aimerions bien qu'il soit un petit peu moins bas, un petit peu plus élevé, et sa stabilité est aussi importante. C'est-à-dire que pour faire des prévisions pour vendre quelque chose que vous allez vendre que dans 6 mois, il faut savoir si vous pouvez compter sur la valeur actuelle. Donc il y a à la fois à rechercher de la stabilité et à rechercher un niveau qui soit celui de l'équivalence des parités et du pouvoir d'achat.
Q- E. Chol : Monsieur le ministre vous avez écrit il y a quelques jours au commissaire européen, P. Mandelson, pour lui faire part de vos inquiétudes concernant le textile européen. Alors quel est l'objet exact de vos préoccupations, et à quoi serviraient des mesures prises par
Bruxelles ?
R- En ce moment, l'année dernière, nous avons construit une espèce de zone de préférence communautaire avec les pays de l'euro Méditerranée, cela va de la Turquie au Maroc, en passant par la Jordanie et l'Egypte. Donc vous voyez tout le pourtour méditerranéen est associé à L'Union européenne, et c'est ça que nous essayons de faire fonctionner convenablement. C'est-à-dire qu'il y a quelquefois de la création chez nous et de la sous-traitance et de la fabrication dans un de ces pays de l'euro-Med. Et nous avons une production intégrée dans ce secteur. Et ça fonctionne parce que nous donnons des préférences tarifaires. Ce qui veut dire pas de droit de douane à ce qui vient de Tunisie, de Turquie, du Maroc. Donc aujourd'hui si on donnait la même préférence à des pays qui sont plus loin, ça détruirait l'avantage que nous donnons à nos voisins. Et c'est ça qui se discute en ce moment puisqu'on discute des préférences que l'on veut donner à certains pays autour de l'Inde, et nous avons peur que le système que veut mettre en place Mandelson ne permette, en fait, à ces pays d'avoir soit le même soit presque le même niveau de préférence que euro Méditerranée Donc c'est très mauvais pour la construction euro-Méditerranéenne que nous venons de mettre en place l'année dernière.
Q- A. Fleury : Alors je ne sais pas si ce sont des oiseaux d'origine asiatique que l'on entend derrière vous, F. Loos. E. Chol a encore ...
E. Chol : A l'égard de la Chine, faut-il pour autant prendre des mesures, des sanctions ou des mesures de sauvegarde pour éviter les flux d'importations de textile ?
R- La Chine, c'est encore une autre histoire. La Chine a obtenu l'ouverture à partir du 1er janvier, qu'on paye les droits de douane de l'ordre de 12 %. Mais par rapport au prix chinois, ça ne les empêche pas d'augmenter leurs ventes et donc il y a une menace sérieuse de préjudice vis-à-vis de nos économies. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas exclu et nous avons dit à la profession que nous étions prêts à les soutenir, s'ils ont un préjudice, pour que des causes de sauvegarde soient mises en uvre, soient mises en place. Aujourd'hui, nous avons un instrument d'une politique commerciale qui nous permet de le faire. Le problème en Chine est aussi un problème chino-chinois si je puis me permettre parce que les Chinois eux-mêmes souhaitent que la concurrence entre leurs entreprises textiles ne soit pas aussi féroce, et qu'ils puissent pratiquer des prix plus raisonnables. Donc il y a d'un coté un travail à faire en Chine pour les Chinois qui souhaitent avoir une économie plus normale dans ce domaine, et il y a un problème à nos frontières pour lesquelles l'Union européenne doit prendre les mesures de sauvegarde, s'il y a des préjudices, ce que nous verrons dans les jours et dans les semaines à venir.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er mars 2005)