Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les apports de la Constitution européenne à la construction de l'Europe, à Moscou le 8 avril 2005.

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Circonstance : Déplacement à Moscou (Russie), rencontre avec la communauté française le 8 avril 2005

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur,
Madame le Proviseur,
Mesdames, Messieurs
Chers Amis
Avant d'entamer avec vous ce dialogue sur l'Europe et la Constitution européenne, je souhaiterais remercier Madame le Proviseur et Monsieur l'Ambassadeur pour m'avoir permis d'être avec vous ici aujourd'hui. Vous savez que le débat sur le projet de Constitution européenne bat son plein en France. Je souhaitais que ce déplacement à Moscou fut aussi l'occasion pour moi d'aller à la rencontre des Français de l'étranger et d'échanger avec vous sur cet enjeu historique, non seulement du point de vue de la France, mais de l'Europe dans son ensemble, et qui est également suivi de près par nos voisins russes.
Je voudrais tout d'abord rappeler brièvement le chemin qui nous a conduit jusqu'à cette étape essentielle dans la marche de l'Europe qu'est le traité constitutionnel. En cinquante ans, le projet européen a changé de nature. Dans les décombres de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a été inventée pour en finir avec le passé, celui des guerres. Elle est devenue, aujourd'hui, un projet pour construire l'avenir. Ce moment délicat de transition entre deux projets, c'est celui que nous vivons aujourd'hui.
L'année dernière, l'élargissement à dix pays d'Europe centrale et orientale a marqué l'accomplissement de la mission de paix que s'était donnée l'Europe, en mettant fin à la division de l'Europe héritée de la guerre froide. Aujourd'hui, la paix, cet équilibre pourtant si fragile comme l'actualité nous l'enseigne chaque jour, est devenue une évidence pour les jeunes Européens. Une évidence comme la liberté de circuler partout en Europe, comme la prospérité retrouvée, malgré les crises.
Et c'est toute la difficulté : au moment où le projet devient réalité, il s'efface inévitablement des mémoires de ceux-là mêmes qui en bénéficient. C'est alors que renaissent les divisions, comme la crise irakienne l'a si bien montré en 2004. L'Europe ne peut donc continuer d'avancer que si elle se réinvente sans cesse, et la France, en tant qu'Etat fondateur - on pourrait même dire Etat initiateur du projet européen avec la déclaration prononcée par Robert Schuman le 9 mai 1950 - a une responsabilité particulière à cet égard.
Or, lorsque je rencontre mes homologues de l'Union européenne, mais aussi mes interlocuteurs d'autres pays, comme ce fut le cas avec le ministre des Affaires étrangères russe, M. Lavrov, aujourd'hui, la première question qu'ils me posent est : que se passe-t-il en France autour de ce référendum ? Ils me disent : cette Constitution européenne, la France l'a voulue, elle en a eu l'idée, c'est un ancien président français qui a dirigé sa rédaction. Elle a été adoptée alors que plusieurs pays européens n'en voulaient pas. Et voici que la France est le seul pays, avec le Royaume-Uni eurosceptique, où les sondages donnent la Constitution perdante.
Je ne peux que leur donner raison. Car cette Constitution européenne est bien la réalisation d'une idée française. A chaque nouvel élargissement, la France a fait en sorte que l'Europe resserre ses liens politiques pour gagner en cohésion. Avec l'Allemagne, nous avons poursuivi le même objectif : créer une Europe forte, réunie autour de valeurs communes et capable de les promouvoir dans le monde. Ce fut la création du Conseil européen, l'Acte unique, le Traité de Maastricht. Chaque étape a été une lutte, parce que beaucoup de nos partenaires se seraient contentés d'une zone de libre-échange sous le parapluie de l'OTAN. Et, qu'on ne s'y trompe pas, cette lutte continue : il y a aujourd'hui dans l'Union plusieurs Etats membres qui ne seraient pas malheureux d'un échec de la Constitution.
Car, précisément, cette Constitution marque l'avènement de cette Europe politique que la France a toujours voulue.
La communauté de valeurs, ce sont les objectifs et les valeurs qui figurent en tête de la Constitution et dans la Charte des droits fondamentaux. C'est la liberté, la tolérance, le respect de la diversité. C'est une vision exigeante de la solidarité.
La capacité à promouvoir ces valeurs dans le monde, et plus particulièrement sur notre continent, c'est l'idée à laquelle la France est plus attachée, peut-être que beaucoup d'autres Etats membres, d'une Europe puissance. L'Union a fait des progrès spectaculaires depuis dix ans, en particulier dans le domaine de la défense et du maintien de la paix, par exemple avec le lancement de l'opération Althéa qui a déployé 7000 hommes et pris le relais de l'OTAN en Bosnie-Herzégovine. La France y est pour beaucoup. La Constitution permet d'aller plus loin encore en engageant les Etats membres à se défendre mutuellement en cas d'agression militaire et en créant une Agence européenne de défense. Mais surtout, elle permettra à l'Europe de parler enfin d'une seule voix, celle du futur ministre européen des Affaires étrangères.
Enfin, qui dit Europe politique dit contrôle démocratique. Dans ce domaine, l'Union a pris du retard. Elle est trop éloignée du citoyen. La Constitution comble largement ce déficit. Parce qu'elle fait du Parlement européen, élu au suffrage universel, un vrai législateur. Parce qu'elle lui donne un contrôle politique sur le choix du président de la Commission. Parce qu'elle permet pour la première fois aux citoyens européens de participer directement au processus de décision en invitant la Commission à faire des propositions de loi dans tel ou tel domaine. C'est une avancée majeure, qui n'existe pas dans la plupart des Etats-membres.
En d'autres termes, mon sentiment est que ce traité, sans être parfait, a le grand mérite de rendre l'Union européenne plus forte tout en la soumettant, dans un même mouvement, à un plus grand contrôle des citoyens et de leurs représentants, qu'ils soient nationaux ou Européens.
"Nous n'avons que le choix entre les changements dans lesquels nous serons entraînés et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir". C'est ce que disait Jean Monnet, qui ne connaissait pas encore la mondialisation. Cinquante et un ans plus tard, l'enjeu n'a pas changé. Mais entre-temps, l'Europe s'est construite et le monde entier nous l'envie. Ne la laissons pas continuer sans nous. Ne la laissez pas continuer sans vous.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2005)