Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à la chaine de télévision autrichienne ORF le 6 mars 2000, sur le sens de la démission de M. Haïder de la direction du parti d'extrême-droite FPÖ, son ambition d'accéder au poste de Chancelier de l'Autriche, le poids des sanctions politiques prises par l'Union européenne dans sa décision et sur les valeurs communes à l'Europe et aux candidats à l'adhésion européenne.

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Média : ORF - Télévision

Texte intégral

Q - (Sur le caractère inattendu des " sanctions européennes " )
R - Vous me disiez tout à l'heure qu'il n'y avait pas eu de concertation avec l'Autriche. Ce n'est pas exact. M. Schüssel a été clairement averti par le président de la République française, M. Chirac, de sa préoccupation. M. Chirac est conservateur, M. Schussel est conservateur. Ils se sont parlés. On ne peut pas dire que l'Autriche ne savait pas ce qui allait arriver et j'y insiste, ce n'est pas venu par surprise. C'est vrai qu'on n'a pas fait de réunion formelle à quinze mais on sait très bien que s'il y avait eu une réunion formelle à quinze, ça n'aurait rien donné parce que, évidemment, l'Autriche aurait refusé toute politique de sanctions ou de réprobation contre elle.
Q - Pourquoi la France parle-t-elle d'un possible renforcement des sanctions et que faudrait-il pour qu'elles soient levées ?
R - La première des choses dont on doit prendre conscience en ce qui concerne l'Autriche c'est que les sanctions que nous avons prises ne sont pas des sanctions d'un jour, ce n'est pas une manifestation de mauvaise humeur. Ce sont des sanctions adaptées, ni trop fortes, encore une fois, ni insuffisantes, et ces sanctions ont été faites pour êtres appliquées dans la durée, c'est-à-dire pour durer aussi longtemps que la menace pour les valeurs européennes, représentée par cette coalition, durera. Alors, c'est vrai qu'il existe des possibilités juridiques de prendre des sanctions plus importantes : il y a l'article 6 qui affirme certaines valeurs, il y a l'article 7 du traité qui dit que éventuellement on peut aller jusqu'à la suspension du droit de vote. Ce n'est pas à cela que nous pensons. Mais les Autrichiens doivent bien prendre conscience que ce qui se passe actuellement leur fait courir un risque : c'est de les isoler dans cette Europe à laquelle ils tiennent.
Q - Considérez-vous la démission de M. Jörg Haider en tant que chef du parti FPÖ, comme le résultat des sanctions de l'Union européenne et est-ce que les démarches semblables pourraient changer votre jugement de la situation en Autriche ?
R - La démission de M. Haider me paraît plus -mais je suis loin de l'Autriche- une réaction tactique, très politicienne, qu'un mouvement de fond. Et tout ce que j'ai lu sur son attitude signifie qu'en fait il est candidat -plus que jamais- à la chancellerie. Et c'est ça d'ailleurs que je ne comprends pas très bien chez les conservateurs. Je connais bien M. Schüssel, c'est un dirigeant avec lequel j'ai eu les meilleurs rapports personnels, que j'estimais beaucoup. Je connais bien Mme Ferrero-Waldner, c'était ma partenaire en tant que ministre des Affaires européennes. Mais je pense qu'ils font non seulement un calcul qui est erroné sur le plan des valeurs mais qui est aussi politiquement injustifié, parce que M. Haider s'est mis en dehors, tout simplement pour croquer son partenaire conservateur et cela me paraît clair du point de vue politique : c'est ce que montrent, au fond, les sondages. Pour le reste, on a vu comment M. Haider s'était fait remplacer, il s'est fait remplacer par sa première lieutenante qui est vice-chancelier. Et puis, quand le ministre de la Justice a dû partir, il l'a fait remplacer par son avocat. Alors imaginez ce que ça donnerait, si chez nous, par exemple, l'avocat du chef d'un parti d'extrême droite devenait ministre de la Justice, c'est invraisemblable. Cela prouve bien que l'attitude de M. Haider n'a pas changé, que la personnalité de M. Haider n'a pas changé, d'ailleurs ses déclarations contre l'Europe se multiplient tous les jours. Il y a là une forme de provocation qui ne nous rassure pas.
Q - Des voix critiques en Autriche disent que l'Union européenne agit si fermement contre l'Autriche parce qu'il s'agit d'un petit pays, et d'un pays proche de l'Allemagne. Dans le cas de l'Italie et de M. Fini, l'Europe a réagi différemment ...
R - Moi, je n'ai pas d'indulgence ni de sympathie pour M. Fini. Le parti de M. Fini avait clairement rompu avec les valeurs fascistes. Ca n'était plus un parti néo-fasciste, c'était un parti ultra conservateur, qui fut néo-fasciste, mais ça n'était plus ça. Alors que je n'ai jamais entendu dans la bouche de M. Haider, finalement, une rupture claire avec ce qu'il avait pu déclarer, sur le respect qu'il avait pour les waffen SS ou sur l'admiration qu'il avait pour la politique de l'emploi du IIIè Reich. Pour moi, M. Haider, reste quelqu'un qui n'a pas encore fait la clarté, qui reste ambigu sur le passé nazi, qui est ce que nous avons vécu de pire dans l'histoire européenne ; parce qu'après tout, il existe encore une différence, même entre Mussolini et Hitler. Donc, la situation n'est pas la même. Ce n'est pas, et je le dis aux Autrichiens, parce que c'est un petit pays que nous avons pris ces sanctions là ; nous ne sommes pas dans les années 30. L'Autriche d'aujourd'hui n'est pas l'Autriche d'hier. M. Haider, je le dis aussi, qu'on soit clair, est xénophobe, populiste, provocateur, mais M. Haider n'est pas Hitler et nous ne prenons pas du tout les choses de la même façon. Nous ne considérons pas qu'il y a aujourd'hui ce genre de danger en Autriche. Nous considérons simplement qu'une ligne jaune a été franchie, nous voulons rappeler ce que sont les valeurs de l'Europe. Nous le rappelons aux Autrichiens, nous le rappelons à tous les peuples, y compris à l'intérieur de l'Europe. Et nous le rappelons aussi aux pays candidats à l'Union européenne. Adhérer à l'Union européenne, ce n'est pas n'importe quoi, ce n'est pas simplement accepter un marché, encore une fois. C'est accepter les valeurs européennes ; c'est refuser, au contraire, toute une série de menaces contre ces valeurs. Donc, je ne crains pas du tout de " bloc germanophone ". Je fais confiance à mes amis allemands et j'ajoute que je fais confiance à l'Autriche. Je fais confiance aux Autrichiens pour faire face à ce qui se produit actuellement, que nous regrettons, y compris par rapport aux conservateurs, avec lesquels encore une fois, nous avons bien travaillé dans le passé, quand ils étaient dans la coalition avec le SPÖ. Nous souhaitons que cet épisode, que cette parenthèse, se referme et nous tendons la main à ce qu'on appelle l'" autre Autriche "./.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, Le 9 mars 2000)