Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les priorités de la construction européenne (croissance économique durable, emploi et politique de recherche renforcée), à Bruxelles le 17 mai 2005.

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Circonstance : Déplacement à Bruxelles (Belgique)-discours devant l'Institut supérieur du management public, le 17 mai 2005

Texte intégral

Je suis ravie de venir m'exprimer aujourd'hui devant les étudiants de l'Institut supérieur du Management public et politique (ISMAPP). En tant que ministre française des Affaires européennes, je me sens proche des Français de Bruxelles et j'ai eu à coeur de rencontrer toutes les composantes de la présence française lors de mes fréquentes visites ici. L'ISMAPP, parce qu'il est le seul établissement d'enseignement supérieur de droit français présent à Bruxelles, est un vecteur de la présence française. A sa manière, l'ISMAPP illustre aussi le savoir-faire français en matière d'enseignement du management public.
Je suis aussi venue vous rencontrer parce que je suis persuadée que les Français doivent "jouer collectif" à Bruxelles. On dit souvent que les Français sont en retard en terme d'influence. Je crois que ce diagnostic est excessivement pessimiste même s'il s'agit d'être vigilant et de savoir s'adapter à un environnement profondément modifié par l'élargissement de l'Union, la montée en puissance du Parlement européen et l'augmentation du nombre de compétences dévolues à l'Union européenne. Je suis convaincue que la France est en mesure de s'adapter à cette nouvelle donne qui nécessite d'être plus présent au Parlement européen, plus présent dans les sociétés de lobbying. D'ores et déjà, nous avons modifié nos méthodes pour mieux travailler avec le Parlement européen. Les commissaires européens ont eu à coeur de recruter un nombre important de nos compatriotes dans leurs cabinets. Nous prenons davantage en compte le rôle des think tanks européens et nous participons au débat d'idées à Bruxelles. J'étais ce midi devant la Fondation Madariaga pour parler de la Constitution.
Je pense qu'il faut aller au-delà en étant plus présent au niveau du lobbying. Vous êtes à ce titre des précurseurs et je souhaitais vous encourager à faire rayonner le savoir-faire français dans vos fonctions dès la sortie de l'école.
Dans le cadre de vos futures fonctions qui vous amèneront à défendre des intérêts spécifiques, je crois qu'il faudra conserver avec vous une ambition forte au service de l'Europe et de la construction européenne. Cette construction européenne ne va pas de soi. Elle demeure fragile. Elle se heurte à une série de défis, notamment dans le domaine social et économique, que je souhaiterais évoquer avec vous maintenant. Ces défis qui sont régulièrement évoqués au niveau du Conseil Compétitivité auquel je participe, vous les connaissez bien :
- un déficit de croissance y compris en terme de productivité : depuis 1996, la croissance annuelle moyenne de l'Union européenne accuse un retard de 0,4 % par rapport à celle des Etats-Unis.
- La concurrence internationale s'intensifie : la prédominance des Etats-Unis, qui comptent 74 % des 300 premières sociétés du secteur des technologies de l'information, et la montée en puissance de l'Asie avec notamment l'industrialisation à marche forcée de la Chine, et le développement de l'Inde, grand bénéficiaire de la délocalisation des services.
- La population européenne vieillit : on estime que la population en âge de travailler sera inférieure de 18 % à son niveau actuel en 2050, tandis que le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans aura augmenté de 60 %. Outre l'augmentation des dépenses liées aux retraites et à la santé, ce vieillissement aura, à lui seul, pour effet de baisser le taux de croissance potentiel de l'Union de 2 à 2,25 % actuellement à environ 1,25 % en 2040, selon des prévisions de la Commission européenne.
Pour relever ces défis, l'Union européenne s'est fixée en 2000 à Lisbonne un objectif ambitieux : faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde en 2010. L'objectif de cette stratégie de Lisbonne est de parvenir à créer une croissance économique durable et soutenable, fondée sur l'innovation et les nouvelles technologies, accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale.
L'examen à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne cette année a été l'occasion de faire le constat d'un bilan d'étape mitigé. Il apparaît en effet que l'écart avec les Etats-Unis s'est creusé et que beaucoup d'objectifs ne pourront pas être atteints comme l'objectif de porter le taux d'emploi à un niveau de 70 %, même si des progrès sensibles ont été réalisés sur ce plan, puisqu'il est passé de 62,5 % en 1999 à 64,3 % en 2003, ou encore celui de consacrer 3 % de notre PIB à la R D alors que l'Europe plafonne aujourd'hui à 2 %.
Des remèdes ont été proposés lors du dernier Conseil européen à travers un nécessaire recentrage de la stratégie de Lisbonne sur la croissance et l'emploi.
Les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé, lors du Conseil européen de printemps, de recentrer la stratégie de Lisbonne sur la croissance et l'emploi, tout en maintenant l'équilibre entre les trois piliers de la stratégie de Lisbonne que sont l'économie, le social et l'environnement. Ce recentrage autour de la croissance et de l'emploi se décompose autour de trois grands domaines :
- premier domaine, la croissance et l'innovation - moteurs d'une croissance durable. Je souhaite en particulier mettre l'accent sur les points suivants :
. la recherche, à laquelle, vous le savez, je reste très attachée en tant que médecin chercheur et ancienne ministre de la Recherche : je crois essentiel de promouvoir un véritable système européen d'excellence en matière de recherche, fondé sur la culture du résultat, de l'évaluation et de l'incitation. Plusieurs mesures clés doivent y contribuer, notamment le nouveau programme cadre européen pour la recherche et le développement (7ème PCRD), le développement d'incitations fiscales, un programme ambitieux visant à l'attractivité et à la mobilité des chercheurs, et la poursuite de grands projets scientifiques transnationaux comme Airbus, le Joint Europen Torus (JET), ou encore ITER ;
. le développement d'une politique spatiale ambitieuse avec de grands programmes comme le futur système européen de géo-positionnement Galileo, le programme d'exploration de la Terre GMES, ou encore la construction d'un pas de tir pour Soyouz à Kourou. Ces programmes présenteront des applications concrètes et des services associés dans de multiples domaines comme le suivi des marchandises, l'océanographie, le suivi des ressources naturelles ou la sécurité civile, pour n'en citer que quelques-uns uns ;
. une politique destinée à renforcer la base industrielle en Europe avec le développement de "Pôles d'excellence" et d'initiatives technologiques européennes ;
. les TIC, véritable facteur de croissance. Leur impact sur la compétitivité est important : les TIC seraient ainsi à l'origine de 40 % de l'augmentation de la productivité en Europe sur les dix dernières années, et de 60 % aux Etats-Unis.
- Deuxième domaine : l'attractivité de l'UE pour investir et travailler, et notamment :
. un marché intérieur performant et des conditions favorables à l'implantation des entreprises - avec notamment la simplification des procédures : guichets uniques, procédures électroniques - ;
. des services d'intérêt général de qualité ;
. la protection de l'environnement, notamment la lutte contre les changements climatiques.
- Enfin, le troisième domaine est celui de l'amélioration de l'emploi en quantité et en qualité au service de la cohésion sociale, avec notamment :
. une attention particulière aux jeunes et à l'éducation et à la formation tout au long de la vie. Le Conseil européen de printemps a adopté sur une initiative commune de la France, de l'Allemagne, de la Suède et de l'Espagne le "Pacte européen pour la jeunesse". Dans le contexte du vieillissement démographique européen, le Pacte traduit une mobilisation en faveur de la jeunesse autour de 3 axes : l'emploi et l'intégration sociale des jeunes ; l'éducation, la formation, la mobilité et la citoyenneté ; et enfin la conciliation de la vie professionnelle, personnelle et familiale.
De nouvelles formes d'organisation du travail, et une plus grande diversité des modalités contractuelles contribueront à l'adaptabilité des entreprises et à la sécurité des parcours professionnels, au service d'un objectif de plein emploi et de la promotion de l'inclusion sociale.
En conclusion, vous l'avez compris, l'Europe, comme la France au niveau national, est déterminée à relever les grands défis qui lui font face. Pour préserver et renforcer notre modèle de cohésion sociale et de développement durable, nous disposons d'une stratégie commune. Il nous faut aussi des femmes et des hommes entreprenants et motivés, désireux d'aller de l'avant ensemble pour faire progresser l'idée européenne. Pour cela, je sais que je peux compter sur vous. Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2005)