Texte intégral
France culture le 12/05/2005 :
Gilles Hervé : Vous allez nous expliquer votre position sur le traité constitutionnel, position originale, puisque vous êtes pour le non, votre syndicat est pour le oui. Mais auparavant peut-être un mot sur ce, entre guillemets, malaise des cadres.
Jean-Luc Cazettes : Le malaise des cadres il est évident, je voudrais quand même rectifier un propos qui vient d'être tenu. Il ne faut pas mélanger le résultat des élections prud'homales et les élections professionnelles. Dans les élections prud'homales, il n'y a pas de collège cadres, il y a un collège encadrement dont on a exclu une partie des cadres pour les mettre chez les chefs d'entreprises et qu'on a comblé avec des populations qui ne sont pas cadres... On a changé le mode de calcul, on n'est plus un collège cadres, on est un collège encadrement. C'est-à-dire qu'on a enlevé des cadres pour les mettre chez les employeurs et on a rajouté des populations non-cadres. Si on prend les élections dans les comités d'entreprises du seul collège cadres, on a totalement maintenu nos positions. On est toujours première organisation syndicale et de très loin, donc, il ne faut pas mélanger les deux dossiers. Ceci étant, sur le moral des cadres, vous avez raison, tous les sondages le montrent, nous on réalise trois fois par an un sondage avec Opinion Way sur une population cadre et que l'on compare avec le même sondage, les mêmes questions sur une population de nos adhérents, de façon à vérifier s'il y a bien adéquation dans les deux. La confiance dans les dirigeants des entreprises baisse, l'optimisme macro économique baisse, l'optimisme sur la situation sociale dans l'entreprise baisse. La reconnaissance des efforts est de moins en moins acquise dans les entreprises et en revanche les charges de travail et le rythme de travail augmente. Avec tout ça, vous ne pouvez pas forcément avoir un enthousiasme flagrant de la part des cadres et un moral extraordinaire. Donc on est effectivement devant un phénomène un peu de ras le bol. Et puis, il y a surtout l'émergence d'une nouvelle génération qui n'est plus, je dirai comme ma génération, toute entreprise qui a envie de réussir sa vie professionnelle, mais également sa vie personnelle. Qui a envie d'un engagement dans une ONG ou dans le secteur associatif. Et tout ça cela introduit des modifications dont je n'ai pas l'impression que les chefs d'entreprises aient parfaitement conscience.
GH : Je voudrais votre sentiment sur le débat sur les délocalisations, peut-être à partir de l'exemple du textile, débat qui prend l'importance que l'on sait dans cette campagne du référendum. Pourquoi est-ce que cela vous amène, pour être plus précis à militer pour le non, à voter non ?
JLC : Ce n'est pas tellement les délocalisations, parce que ça c'est un phénomène plus ancien et je ne suis pas persuadé que le oui ou le non va changer grand chose au problème. On est là dans un vrai débat qui est le coût du travail chargé en France. Alors on est dans un cercle vicieux, on a de plus en plus de chômage, on vient de rappeler les chiffres, plus de 10 % de chômage. Donc, on a moins de recettes pour nos régimes sociaux, donc, comme on a moins de recettes, on augmente les taux, donc on surcharge le coût du travail - donc les entreprises perdent des marchés et ainsi de suite, c'est "le chien qui se mord la queue". Nous, nous proposons que l'on supprime les charges sur les salaires et qu'on les transfère sur une cotisation sur la consommation, de façon à ramener le coût des produits fabriqués en France à un certain équilibre qui permette effectivement de tenir le choc par rapport aux pays extérieurs et qui permette de faire payer également aux importations une partie de notre protection sociale - ce qui est parfaitement conforme avec les règles européennes, puisque, le Danemark fait ça actuellement.
GH : Mais ce que vous venez de dire à l'instant, c'est que l'on vote oui ou que l'on vote non à ce traité constitutionnel, cela ne changera rien en ce qui concerne les délocalisations ? C'est pourtant, quand même le principal débat économique de cette campagne du référendum.
JLC : En ce qui concerne les délocalisations, cela ne changera rien, tout au moins dans un premier temps. Parce que, s'il y a un vote oui, la Constitution ne change rien sur les délocalisations. S'il y a un vote non, on revient au traité de Nice, donc, il faudra rediscuter, renégocier, mais dans un premier temps cela ne changera rien. C'est pour cela que je dis, dans l'immédiat, le oui ou le non, malheureusement n'empêcheront pas nos entreprises de filer, de s'installer, en Inde, en Chine ou dans n'importe quel autre pays.
GH : Alors qu'est-ce qu'il faudrait faire pour s'y opposer ?
JLC : Pour s'y opposer, d'abord il faudrait qu'il y ait une prise de conscience générale. Il faudrait éviter, parce que, ce qui est dramatique dans ce projet de traité, c'est que jusqu'à présent, on avait, effectivement cette opposition, ce risque de délocalisation, ce dumping social avec les pays extérieurs, les pays d'Extrême Orient, les pays du Maghreb etc. Là, on introduit le même dumping social à l'intérieur des frontières, des nouvelles frontières de l'Union européenne. Donc on aggrave finalement la situation et on le voit bien avec quelques exemples, un peu médiatiques récents.
GH : Oui, il y a un autre thème important dans cette campagne du référendum, c'est cette levée de boucliers quasi-générale dans les milieux catholiques ou laïques et dans la Fonction publique, dans les entreprises aussi, contre la suppression du jour férié, le jour de la Pentecôte. Alors quelle est votre position là-dessus ?
JLC : Nous on a décidé de faire de ce jour du lundi 16, un jour de revendications dans les entreprises. C'est-à-dire que soit, en intersyndicale, soit tout seul, cela sera soit des arrêts de travail, soit la remise d'un cahier de doléances, mais ce sera une journée de revendications dans les entreprises.
GH : Lorsque vous appelez à voter non sur ce thème là, vous appelez à voter non à Raffarin, non au gouvernement actuel ou vous appelez à voter non à l'Europe ?
JLC : Ni l'un, ni l'autre, c'est un non sur ce projet de Constitution, parce que nous estimons que ce projet de Constitution est un recul. Ce n'est ni un vote sanction contre le gouvernement, il ne faut pas mélanger les échéances, ni un vote contre l'Europe, parce que j'ai le sentiment d'être aussi européen que la plupart des tenants du oui, de la même façon que Laurent Fabius est certainement aussi européen que la plupart des partisans du oui. Non, il y a là dedans, des choses qui n'amènent rien et des choses qui bloquent. Le fait que là, on rentre dans un processus qui ne pourra être modifié qu'à l'unanimité. Cela veut bien dire que Malte par exemple, 0,08 % de la population européenne va pourquoi bloquer toute évolution des règles de l'Europe. On n'a pas là, la possibilité d'une harmonie fiscale, c'est-à-dire qu'on va continuer le dumping fiscal qui permettra à certains états de faire un taux d'imposition zéro sur les entreprises et donc de récupérer les sièges et les activités des entreprises, tout en venant frapper à la porte par ailleurs pour demander des aides de l'Europe pour leur développement.
GH : Justement, vous n'êtes pas sensible aux arguments sur la perte d'influence de la France en cas de victoire du non ?
JLC : La perte d'influence elle est évidente dans la mesure où au Parlement européen on passe à 6 membres pour chaque état minimum. C'est-à-dire que, je reprends Malte, mais c'est Chypre, c'est l'Estonie etc. auront 6 élus au Parlement et qu'on ne change pas le chiffre global des élus. Ce qui veut dire que ces 6 élus supplémentaires, on va les piquer sur les grands pays, c'est-à-dire sur la France, sur l'Allemagne et donc notre poids au niveau du Parlement va baisser mathématiquement.
GH : On ne peut pas vous soupçonner de rouler pour l'Extrême gauche, ni pour l'Extrême droite. Alors quels sont selon vous les courants ou les hommes politiques qui vont "tirer les marrons du feu" si le non l'emporte ?
JLC : Moi je pense que si le non l'emporte, bien évidemment, il y a déjà ceux qui vont perdre au niveau de la majorité actuelle, puisque la quasitotalité de l'UMP est engagée sur le oui. Et qu'au niveau du Parti socialiste, c'est vrai que Laurent Fabius se positionnera forcément sur les élections de 2007.
GH : Vous roulez pour Laurent Fabius ?
JLC : Pas du tout ! Je ne roule pour personne, j'ai des convictions et j'essaye de les faire partager.
(Source http://www.cfecgc.org, le 18 mai 2005)
Radio classique le 18/05/2005
Emmanuel Cugny : S'il est un syndicat qui détone quelque peu dans la campagne pour le référendum du 29 mai, c'est bien la CFE-CGC, la Confédération générale des cadres, dont le président appelle à voter "non". Vous avez écouté Jean-Pierre Raffarin hier soir ? Qu'est-ce que vous avez retenu de son intervention ?
Jean-Luc Cazettes : J'ai retenu sur le référendum c'est toujours la peur que l'on met en avant pour essayer de persuader les derniers indécis. Sur le jour férié du lundi de Pentecôte j'ai senti quand même quelques ouvertures de façon à rouvrir des discussions et sans remettre en cause la solidarité, aboutir quand même à quelque chose qui soit accepté par l'ensemble des salariés et qui ne perturbe pas le fonctionnement des entreprises et des administrations.
EC : Alors ce " non ", pour lequel vous appelez à voter le 29 mai lors du référendum sur la constitution, c'est un "non" personnel ou vous engagez clairement votre syndicat ?
JLC : Non non, c'est un "non" personnel. Par principe et par définition la Confédération française de l'encadrement CGC ne s'engage jamais dans les consultations de nature politique et ne donne jamais de consignes de vote, donc on ne déroge pas à cette règle, simplement je suis un citoyen comme un autre, j'ai donc le droit d'avoir mes opinions, de les défendre et d'essayer de les promouvoir, c'est ce que je fais à titre personnel.
EC : Mais vous n'allez pas contre vos troupes, contre la base, donc est-ce à dire que cette base, les cadres de la CFE-CGC, que vous fédérez donc, sont pour le "non" ?
JLC : Ils sont relativement partagés, je pense qu'il y a une majorité d'entre eux qui sont pour le "non", mais ils sont très partagés. Vous savez, on a fait, nous, beaucoup d'informations à partir des arguments des partisans du "no " et des partisans du "ou " de façon à ne pas influencer nos structures professionnelles et territoriales, et on a fait plancher devant l'ensemble de nos présidents de fédérations et de notre exécutif, par exemple Laurent Fabius qui expliquait pourquoi il votait "non" et Roselyne Bachelot qui expliquait pourquoi il fallait voter "oui", et donc tout ça a été ensuite retranscrit dans les courriers qui ont été envoyés à l'ensemble de nos adhérents de façon à leur permettre de se faire leur propre opinion et de voter en toute liberté d'esprit.
EC : La démocratie s'exprime à la CFE-CGC, mais quand même, pourquoi vous à titre personnel vous dites "non" à la constitution européenne ? Qu'est-ce que vous lui reprochez finalement ?
JLC : Je reproche à cette constitution d'être beaucoup trop libérale et pas assez sociale. On y a bien intégré effectivement la charte sociale, mais c'est un catalogue de bonnes intentions, sans objectifs, sans moyens de coercitions, sans contraintes. Alors on dit par exemple dans les premiers articles que l'objectif c'est le plein emploi, oui, sauf que ça fait 20 ans en France qu'on nous dit l'objectif c'est le plein emploi, et ça fait 20 ans qu'on voit le chômage augmenter en permanence, alors retranscrire au niveau de l'Europe, pour l'instant, tant qu'il n'y a pas davantage de précisions, je ne vois pas pourquoi ça serait plus crédible que ce qu'on a tous eu comme résultats, quelle que soit la couleur politique des gouvernements qui se sont succédés depuis 20 ans.
EC : Vous contestez donc ce qu'a dit Jacques Chirac à savoir que la constitution était fille de 1789 ?
JLC : Je trouve que la constitution telle qu'elle est rédigée elle est plutôt fille de monsieur Blair et de monsieur Bush, et pas du constitutionnel de 1789. Je prends un exemple. On dit que le droit à la vie etc, que la peine de mort est abolie sauf en cas d'insurrection. Dans les principes de la déclaration des droits de l'homme de 1792 il était bien dit que l'insurrection est un droit sacré du peuple lorsqu'il estime que ses intérêts sont menacés. Vous voyez bien qu'on n'est pas tout à fait dans la ligne de 1789.
EC : Une constitution moins démocratique, moins humaniste aussi ?
JLC : Je pense que c'est une constitution qui organise une forme de chaos et une forme de compétition entre le président de la Commission, le président du Conseil des ministres, le président du Parlement, dont les pouvoirs ne sont jamais bien définis, on lit par exemple que le président du Conseil des ministres a un pouvoir de coordination, et que le président du Parlement a un pouvoir de coordination, donc j'estime qu'il va falloir créer un troisième président pour coordonner les deux premiers.
EC : Quid de l'alternative : qu'est-ce que vous attendez maintenant ? Il faut revisiter, il faut renégocier cette constitution ?
JLC : Il faut dépoussiérer et revoir cette constitution, il y a des articles dans cette constitution qui sont totalement insupportables et inadmissibles, il y a d'autres choses qui ne sont pas mauvaises, c'est un ensemble qu'il va falloir rediscuter. Je crois qu'au lieu d'agiter en permanence le spectre du chaos au cas où le "non" l'emporterait, on ferait bien mieux de se préparer à rediscuter, parce que de toutes les façons le "non" est passé dans les têtes, il passera maintenant dans les urnes.
(Source http://www.cfecgc.org, le 20 mai 2005)
Gilles Hervé : Vous allez nous expliquer votre position sur le traité constitutionnel, position originale, puisque vous êtes pour le non, votre syndicat est pour le oui. Mais auparavant peut-être un mot sur ce, entre guillemets, malaise des cadres.
Jean-Luc Cazettes : Le malaise des cadres il est évident, je voudrais quand même rectifier un propos qui vient d'être tenu. Il ne faut pas mélanger le résultat des élections prud'homales et les élections professionnelles. Dans les élections prud'homales, il n'y a pas de collège cadres, il y a un collège encadrement dont on a exclu une partie des cadres pour les mettre chez les chefs d'entreprises et qu'on a comblé avec des populations qui ne sont pas cadres... On a changé le mode de calcul, on n'est plus un collège cadres, on est un collège encadrement. C'est-à-dire qu'on a enlevé des cadres pour les mettre chez les employeurs et on a rajouté des populations non-cadres. Si on prend les élections dans les comités d'entreprises du seul collège cadres, on a totalement maintenu nos positions. On est toujours première organisation syndicale et de très loin, donc, il ne faut pas mélanger les deux dossiers. Ceci étant, sur le moral des cadres, vous avez raison, tous les sondages le montrent, nous on réalise trois fois par an un sondage avec Opinion Way sur une population cadre et que l'on compare avec le même sondage, les mêmes questions sur une population de nos adhérents, de façon à vérifier s'il y a bien adéquation dans les deux. La confiance dans les dirigeants des entreprises baisse, l'optimisme macro économique baisse, l'optimisme sur la situation sociale dans l'entreprise baisse. La reconnaissance des efforts est de moins en moins acquise dans les entreprises et en revanche les charges de travail et le rythme de travail augmente. Avec tout ça, vous ne pouvez pas forcément avoir un enthousiasme flagrant de la part des cadres et un moral extraordinaire. Donc on est effectivement devant un phénomène un peu de ras le bol. Et puis, il y a surtout l'émergence d'une nouvelle génération qui n'est plus, je dirai comme ma génération, toute entreprise qui a envie de réussir sa vie professionnelle, mais également sa vie personnelle. Qui a envie d'un engagement dans une ONG ou dans le secteur associatif. Et tout ça cela introduit des modifications dont je n'ai pas l'impression que les chefs d'entreprises aient parfaitement conscience.
GH : Je voudrais votre sentiment sur le débat sur les délocalisations, peut-être à partir de l'exemple du textile, débat qui prend l'importance que l'on sait dans cette campagne du référendum. Pourquoi est-ce que cela vous amène, pour être plus précis à militer pour le non, à voter non ?
JLC : Ce n'est pas tellement les délocalisations, parce que ça c'est un phénomène plus ancien et je ne suis pas persuadé que le oui ou le non va changer grand chose au problème. On est là dans un vrai débat qui est le coût du travail chargé en France. Alors on est dans un cercle vicieux, on a de plus en plus de chômage, on vient de rappeler les chiffres, plus de 10 % de chômage. Donc, on a moins de recettes pour nos régimes sociaux, donc, comme on a moins de recettes, on augmente les taux, donc on surcharge le coût du travail - donc les entreprises perdent des marchés et ainsi de suite, c'est "le chien qui se mord la queue". Nous, nous proposons que l'on supprime les charges sur les salaires et qu'on les transfère sur une cotisation sur la consommation, de façon à ramener le coût des produits fabriqués en France à un certain équilibre qui permette effectivement de tenir le choc par rapport aux pays extérieurs et qui permette de faire payer également aux importations une partie de notre protection sociale - ce qui est parfaitement conforme avec les règles européennes, puisque, le Danemark fait ça actuellement.
GH : Mais ce que vous venez de dire à l'instant, c'est que l'on vote oui ou que l'on vote non à ce traité constitutionnel, cela ne changera rien en ce qui concerne les délocalisations ? C'est pourtant, quand même le principal débat économique de cette campagne du référendum.
JLC : En ce qui concerne les délocalisations, cela ne changera rien, tout au moins dans un premier temps. Parce que, s'il y a un vote oui, la Constitution ne change rien sur les délocalisations. S'il y a un vote non, on revient au traité de Nice, donc, il faudra rediscuter, renégocier, mais dans un premier temps cela ne changera rien. C'est pour cela que je dis, dans l'immédiat, le oui ou le non, malheureusement n'empêcheront pas nos entreprises de filer, de s'installer, en Inde, en Chine ou dans n'importe quel autre pays.
GH : Alors qu'est-ce qu'il faudrait faire pour s'y opposer ?
JLC : Pour s'y opposer, d'abord il faudrait qu'il y ait une prise de conscience générale. Il faudrait éviter, parce que, ce qui est dramatique dans ce projet de traité, c'est que jusqu'à présent, on avait, effectivement cette opposition, ce risque de délocalisation, ce dumping social avec les pays extérieurs, les pays d'Extrême Orient, les pays du Maghreb etc. Là, on introduit le même dumping social à l'intérieur des frontières, des nouvelles frontières de l'Union européenne. Donc on aggrave finalement la situation et on le voit bien avec quelques exemples, un peu médiatiques récents.
GH : Oui, il y a un autre thème important dans cette campagne du référendum, c'est cette levée de boucliers quasi-générale dans les milieux catholiques ou laïques et dans la Fonction publique, dans les entreprises aussi, contre la suppression du jour férié, le jour de la Pentecôte. Alors quelle est votre position là-dessus ?
JLC : Nous on a décidé de faire de ce jour du lundi 16, un jour de revendications dans les entreprises. C'est-à-dire que soit, en intersyndicale, soit tout seul, cela sera soit des arrêts de travail, soit la remise d'un cahier de doléances, mais ce sera une journée de revendications dans les entreprises.
GH : Lorsque vous appelez à voter non sur ce thème là, vous appelez à voter non à Raffarin, non au gouvernement actuel ou vous appelez à voter non à l'Europe ?
JLC : Ni l'un, ni l'autre, c'est un non sur ce projet de Constitution, parce que nous estimons que ce projet de Constitution est un recul. Ce n'est ni un vote sanction contre le gouvernement, il ne faut pas mélanger les échéances, ni un vote contre l'Europe, parce que j'ai le sentiment d'être aussi européen que la plupart des tenants du oui, de la même façon que Laurent Fabius est certainement aussi européen que la plupart des partisans du oui. Non, il y a là dedans, des choses qui n'amènent rien et des choses qui bloquent. Le fait que là, on rentre dans un processus qui ne pourra être modifié qu'à l'unanimité. Cela veut bien dire que Malte par exemple, 0,08 % de la population européenne va pourquoi bloquer toute évolution des règles de l'Europe. On n'a pas là, la possibilité d'une harmonie fiscale, c'est-à-dire qu'on va continuer le dumping fiscal qui permettra à certains états de faire un taux d'imposition zéro sur les entreprises et donc de récupérer les sièges et les activités des entreprises, tout en venant frapper à la porte par ailleurs pour demander des aides de l'Europe pour leur développement.
GH : Justement, vous n'êtes pas sensible aux arguments sur la perte d'influence de la France en cas de victoire du non ?
JLC : La perte d'influence elle est évidente dans la mesure où au Parlement européen on passe à 6 membres pour chaque état minimum. C'est-à-dire que, je reprends Malte, mais c'est Chypre, c'est l'Estonie etc. auront 6 élus au Parlement et qu'on ne change pas le chiffre global des élus. Ce qui veut dire que ces 6 élus supplémentaires, on va les piquer sur les grands pays, c'est-à-dire sur la France, sur l'Allemagne et donc notre poids au niveau du Parlement va baisser mathématiquement.
GH : On ne peut pas vous soupçonner de rouler pour l'Extrême gauche, ni pour l'Extrême droite. Alors quels sont selon vous les courants ou les hommes politiques qui vont "tirer les marrons du feu" si le non l'emporte ?
JLC : Moi je pense que si le non l'emporte, bien évidemment, il y a déjà ceux qui vont perdre au niveau de la majorité actuelle, puisque la quasitotalité de l'UMP est engagée sur le oui. Et qu'au niveau du Parti socialiste, c'est vrai que Laurent Fabius se positionnera forcément sur les élections de 2007.
GH : Vous roulez pour Laurent Fabius ?
JLC : Pas du tout ! Je ne roule pour personne, j'ai des convictions et j'essaye de les faire partager.
(Source http://www.cfecgc.org, le 18 mai 2005)
Radio classique le 18/05/2005
Emmanuel Cugny : S'il est un syndicat qui détone quelque peu dans la campagne pour le référendum du 29 mai, c'est bien la CFE-CGC, la Confédération générale des cadres, dont le président appelle à voter "non". Vous avez écouté Jean-Pierre Raffarin hier soir ? Qu'est-ce que vous avez retenu de son intervention ?
Jean-Luc Cazettes : J'ai retenu sur le référendum c'est toujours la peur que l'on met en avant pour essayer de persuader les derniers indécis. Sur le jour férié du lundi de Pentecôte j'ai senti quand même quelques ouvertures de façon à rouvrir des discussions et sans remettre en cause la solidarité, aboutir quand même à quelque chose qui soit accepté par l'ensemble des salariés et qui ne perturbe pas le fonctionnement des entreprises et des administrations.
EC : Alors ce " non ", pour lequel vous appelez à voter le 29 mai lors du référendum sur la constitution, c'est un "non" personnel ou vous engagez clairement votre syndicat ?
JLC : Non non, c'est un "non" personnel. Par principe et par définition la Confédération française de l'encadrement CGC ne s'engage jamais dans les consultations de nature politique et ne donne jamais de consignes de vote, donc on ne déroge pas à cette règle, simplement je suis un citoyen comme un autre, j'ai donc le droit d'avoir mes opinions, de les défendre et d'essayer de les promouvoir, c'est ce que je fais à titre personnel.
EC : Mais vous n'allez pas contre vos troupes, contre la base, donc est-ce à dire que cette base, les cadres de la CFE-CGC, que vous fédérez donc, sont pour le "non" ?
JLC : Ils sont relativement partagés, je pense qu'il y a une majorité d'entre eux qui sont pour le "non", mais ils sont très partagés. Vous savez, on a fait, nous, beaucoup d'informations à partir des arguments des partisans du "no " et des partisans du "ou " de façon à ne pas influencer nos structures professionnelles et territoriales, et on a fait plancher devant l'ensemble de nos présidents de fédérations et de notre exécutif, par exemple Laurent Fabius qui expliquait pourquoi il votait "non" et Roselyne Bachelot qui expliquait pourquoi il fallait voter "oui", et donc tout ça a été ensuite retranscrit dans les courriers qui ont été envoyés à l'ensemble de nos adhérents de façon à leur permettre de se faire leur propre opinion et de voter en toute liberté d'esprit.
EC : La démocratie s'exprime à la CFE-CGC, mais quand même, pourquoi vous à titre personnel vous dites "non" à la constitution européenne ? Qu'est-ce que vous lui reprochez finalement ?
JLC : Je reproche à cette constitution d'être beaucoup trop libérale et pas assez sociale. On y a bien intégré effectivement la charte sociale, mais c'est un catalogue de bonnes intentions, sans objectifs, sans moyens de coercitions, sans contraintes. Alors on dit par exemple dans les premiers articles que l'objectif c'est le plein emploi, oui, sauf que ça fait 20 ans en France qu'on nous dit l'objectif c'est le plein emploi, et ça fait 20 ans qu'on voit le chômage augmenter en permanence, alors retranscrire au niveau de l'Europe, pour l'instant, tant qu'il n'y a pas davantage de précisions, je ne vois pas pourquoi ça serait plus crédible que ce qu'on a tous eu comme résultats, quelle que soit la couleur politique des gouvernements qui se sont succédés depuis 20 ans.
EC : Vous contestez donc ce qu'a dit Jacques Chirac à savoir que la constitution était fille de 1789 ?
JLC : Je trouve que la constitution telle qu'elle est rédigée elle est plutôt fille de monsieur Blair et de monsieur Bush, et pas du constitutionnel de 1789. Je prends un exemple. On dit que le droit à la vie etc, que la peine de mort est abolie sauf en cas d'insurrection. Dans les principes de la déclaration des droits de l'homme de 1792 il était bien dit que l'insurrection est un droit sacré du peuple lorsqu'il estime que ses intérêts sont menacés. Vous voyez bien qu'on n'est pas tout à fait dans la ligne de 1789.
EC : Une constitution moins démocratique, moins humaniste aussi ?
JLC : Je pense que c'est une constitution qui organise une forme de chaos et une forme de compétition entre le président de la Commission, le président du Conseil des ministres, le président du Parlement, dont les pouvoirs ne sont jamais bien définis, on lit par exemple que le président du Conseil des ministres a un pouvoir de coordination, et que le président du Parlement a un pouvoir de coordination, donc j'estime qu'il va falloir créer un troisième président pour coordonner les deux premiers.
EC : Quid de l'alternative : qu'est-ce que vous attendez maintenant ? Il faut revisiter, il faut renégocier cette constitution ?
JLC : Il faut dépoussiérer et revoir cette constitution, il y a des articles dans cette constitution qui sont totalement insupportables et inadmissibles, il y a d'autres choses qui ne sont pas mauvaises, c'est un ensemble qu'il va falloir rediscuter. Je crois qu'au lieu d'agiter en permanence le spectre du chaos au cas où le "non" l'emporterait, on ferait bien mieux de se préparer à rediscuter, parce que de toutes les façons le "non" est passé dans les têtes, il passera maintenant dans les urnes.
(Source http://www.cfecgc.org, le 20 mai 2005)