Conférence de presse de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la constitution d'alliances dans l'industrie européenne de défense, notamment en matière aéronautique et sur la difficulté de mettre en place une politique de défense commune, Le Bourget le 2 juin 1998.

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Circonstance : Inauguration du 15ème Salon international de l'armement "Eurosatory 98" au Bourget le 2 juin 1998

Texte intégral

Au sujet des restructurations, quel est pour vous l'échéancier : va-t-on directement au niveau européen, ou d'abord en franco-français ? Comment voyez-vous le scénario idéal ?
Alain RICHARD : Le message que j'ai voulu passer est plutôt un message de disponibilité et d'intention. En ce qui concerne les entreprises qui ont leur indépendance, qu'elles soient publiques ou privées, le petit signe que nous avons donné à l'occasion des projets de la SNPE en modifiant la loi pour rendre une alliance possible est une indication de la volonté du gouvernement et de la majorité du parlement de faciliter ces accords. Mais nous considérons que ce sont des marchés difficiles. Les entreprises, pour beaucoup, ont fait des efforts de modernisation et d'adaptation très importants. Il faut avoir une souplesse dans l'approche : c'est aux entreprises de définir les rapprochements les plus efficaces.
Où en est-on dans la consolidation de l'industrie de défense européenne ? Et deuxièmement, après les essais nucléaires du Pakistan et de l'Inde, il y a sans doute des craintes dans cette région et ailleurs d'une relance de la course à l'armement ?
Alain RICHARD : Sur ce second point, les autorités françaises ont insisté sur leur volonté de rechercher le dialogue pour rétablir un climat de stabilité et de limitation de la confrontation entre l'Inde et le Pakistan et plus largement dans la région, donc je me borne à cette prise de position politique.
En ce qui concerne la consolidation, la réalisation de l'alliance dans l'industrie européenne, je crois que l'année 1998 a déjà montré un certain nombre de mouvements et qu'elle continuera a en montrer. Il est clair que nous avons un décalage de temps par rapport au mouvement de concentration qui a été accompli par l'industrie américaine, mais cette concentration n'est pas nécessairement un mouvement totalement achevé puisque l'on a bien vu, par exemple, que l'intégration de certaines des composantes étaient discutée par les autorités Américaines au regard des principes de concurrence. Du côté européen nous faisons également très attention à ne pas limiter la concurrence plus qu'elle ne devrait l'être. Il est vrai que la constitution d'alliances entre des grands groupes qui ont des traditions de concurrence entre eux est un travail difficile. Vous ne m'entendrez jamais faire des prévisions optimistes en disant " on va arriver à telle chose avant telle date ". Je crois que les industriels ont maintenant la conscience, la conviction que ces rapprochements doivent être réalisés. Les gouvernements, comme vous le savez, travaillent à en faciliter le cadre légal. Il faut simplement s'en remettre à la responsabilité des industriels : ils savent au moins aussi bien que nous que le temps ne peut pas être utilisé abusivement.
Il semble que le programme de VBCI dont vous avez parlé comme d'un programme essentiel soit de nouveau un petit peu retardé, en Allemagne notamment, ne pensez-vous que cela risque, compte tenu des échéances électorales allemandes, de poser un problème ?
Alain RICHARD : Je n'ai pas cette information. Je ne crois pas qu'il y ait de changement significatif dans le calendrier du VBCI pour les trois pays qui sont participants au programme.
Sur l'industrie de défense européenne, comment pourriez-vous lier cette formation d'une industrie de défense européenne avec un pilier de défense européen ? C'est-à-dire lier les buts industriels avec les buts politiques et la défense ?
Alain RICHARD : Ce sont deux processus différents. La mise en oeuvre de partage de souveraineté en matière de défense résulte de choix politiques entre 15 démocraties qui ont des traditions de défense très différentes et c'est donc un processus d'accoutumance, de mise en commun d'objectifs qui est forcément lent. Je trouve toujours superficielles les nombreuses observations dans la presse et dans le monde politique qui consistent à s'étonner de cette lenteur. C'est rarissime dans l'histoire que des démocraties mettent en commun leurs choix politiques. C'est très difficile, donc je préfère parler des progrès qui se font : et ils se font ! Par ailleurs, en effet, nous avons pris l'option les uns et les autres de faciliter le rapprochement de nos industries de défense pour des raisons qui sont, me semble-t-il, admises par tout le monde. Il est vraisemblable à long terme, si je me plaçais en position d'observateur - ce qui n'est pas mon rôle - que la mise en commun réelle des moyens industriels de défense facilitera la prise de conscience que nos buts sont communs. C'est en tout cas ce que montre toute l'histoire de la construction Européenne.
Pensez-vous que le mécontentement turc à propos du vote sur le génocide arménien peut remettre en cause certains espoirs français de contrats d'armement en Turquie ?
Alain RICHARD : C'est aux autorités turques de se prononcer sur ce sujet, mais je crois que le gouvernement a démontré qu'il ne souhaitait pas que ce vote parlementaire puisse être interprété par nos partenaires turcs comme une volonté de distance politique entre nous. Les raisons pour lesquelles la France et la Turquie nourrissent des relations de coopération suivies et les raisons pour lesquelles nous faisons confiance à la Turquie pour être un élément stabilisateur et responsable dans la région troublée où elle se trouve, toutes ces raisons demeurent.
Quelles réflexions vous inspire le fait que les Emirats Arabes Unis aient choisi l'avion américain de Lockheed Martin ?
Alain RICHARD : Je n'ai aucune réflexion à faire sur ce point sinon que en tous les points du globe il y a une concurrence et que c'est l'autorité politique qui fait ce choix souverain et apprécie les éléments décisifs de la concurrence.
Pourriez-vous nous parler de l'opération concernant l'Aerospatiale et de la mise en bourse des actions, l'entrée dans le capital des partenaires industriels ?
Alain RICHARD : Je crois que les communiqués du gouvernement plus les quelques interventions que j'ai faites disent tout ce que nous avons à dire sur le sujet. Le seul point sur lequel j'aimerais revenir est que cette ouverture de capital est l'instrument d'une stratégie dont il serait utile que vous parliez. S'il n'y avait pas de stratégie d'alliance, de lancement de projet, d'ouverture de cette entreprise à des partenariats, il n'y aurait pas d'utilité à ouvrir son capital.
Ce partenariat comprend un rôle pour les Britanniques, les Allemands ?
Alain RICHARD : C'est différent. Avec les Britanniques, avec British Aerospace, et avec Dasa, nous discutons d'une alliance d'ensemble. Nous n'allons pas réaliser l'alliance d'ensemble en demandant à Dasa et British Aerospace de devenir actionnaires d'Aerospatiale, ça serait un peu trop simple. Pour prendre sa place et jouer un rôle efficace dans cette alliance, nous pensons qu'Aérospatiale doit nouer des partenariats avec ceux qui sont aujourd'hui ses alliés dans l'industrie française et éventuellement ouvrir son capital à des partenaires qui ne sont pas les deux plus grands.
Qu'est ce que vous pensez du projet évoqué par Dassault, sûrement appuyé par Aerospatiale et British Aerospace de se mettre ensemble pour étudier des avions de combat futurs ?
Alain RICHARD : Ca ne me paraît pas illogique par rapport aux objectifs qui sont ceux de tous les industriels européens et des gouvernements de mettre en commun nos capacités industrielles.
A propos de ce point, est ce que le gouvernement compte le doter d'une ligne budgétaire. Et est-ce que vous pensez que le gouvernement pourrait signifier une commande groupée à Dassault sur le Rafale ?
Alain RICHARD : Si vous me demandez si le gouvernement pourrait le faire, je répondrai par l'affirmative. Sur l'autre point, on ne va rejouer le scénario des années 80 . Si les industriels de l'aéronautique européenne pensent à mettre en commun leurs réflexions sur une génération à venir d'avions de combat, dont je rappelle que l'entrée en production n'a pas de motif avant 2015, il me paraît évident que les gouvernements potentiellement acheteurs à long terme doivent s'entendre. Pour prendre position sur ce sujet, ils ne doivent pas le faire en ordre dispersé.
Vous avez souligné la participation étrangère au salon du Bourget. Que pouvez-vous dire de la participation du Moyen-Orient et notamment des pays arabes ?
Alain RICHARD : La participation de pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient à ce salon démontre deux choses. D'une part, l'intensité des liens et des rapports de défense qu'il y a entre la France et ces pays en matière de mise en commun d'objectifs de défense et d'autre part les progrès qui ont été accomplis par plusieurs pays dans leur capacité industrielle et dans leur développement de produits originaux. C'est encourageant sur le plan politique et économique.
Etes vous satisfait du niveau de coopération ?
Alain RICHARD : Mais bien entendu. Je m'en vais de ce pas le dire à l'émir du Qatar !
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 septembre 2001)