Texte intégral
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien j'apprécie votre invitation à venir m'exprimer ici devant les étudiants du MGIMO. En effet le MGIMO attache une importance spéciale aux relations avec l'Union européenne, à la fois par le développement d'échanges universitaires, et par la mise en place de programmes consacrés aux questions européennes. J'attache pour ma part un intérêt tout particulier à nos relations avec la Russie, à la fois au titre de mes fonctions de ministre déléguée aux Affaires européennes et du fait des nombreuses années que j'ai pu passer en Russie en tant que cosmonaute.
Ces relations revêtent indéniablement un caractère stratégique pour la France et pour l'Europe, elles sont le grand axe autour duquel nous pouvons stabiliser le continent sur le plan politique et assurer son essor économique, elles sont aussi un élément clé de la structuration des relations internationales dans leur ensemble au XXIème siècle.
Alors que nous nous préparons à tenir le 15ème Sommet UE-Russie à Moscou le 10 mai prochain, l'enjeu des relations UE-Russie n'est plus le même qu'il y a dix ans lorsque l'Accord de Partenariat et de Coopération (APC) a été signé :
- L'Union européenne a depuis lors connu deux vagues d'élargissement à 15 puis 25, deux réformes institutionnelles avec le Traité d'Amsterdam, puis celui de Nice, et elle s'apprête à se donner une Constitution.
- La Russie a, pour sa part, entamé un important processus de réformes, elle a connu un essor économique vigoureux ces dernières années, et elle poursuit son chemin d'intégration dans les grandes instances internationales, notamment le G8, où la France a soutenu activement sa candidature.
- Le contexte international a été l'objet de bouleversements profonds : attentats terroristes à New York, Madrid et Beslan, conflits en Afghanistan et en Irak, émergence de nouveaux acteurs globaux tels que l'Inde ou le Brésil.
- Enfin, le lancement de l'élaboration de quatre espaces communs donne un nouvel horizon à notre coopération : espace économique commun, espace commun de liberté, de sécurité et de justice, espace de sécurité et de stabilité extérieure, espace commun de la recherche, de l'éducation et de la culture.
Sur quelles bases pouvons-nous, dans ce contexte, Russes et Européens, adapter et renforcer les instruments de notre partenariat stratégique ? Afin de répondre à cette question, il convient de revenir au cur de ce qui nous lie et qui doit guider ce partenariat. Autrement dit il convient de répondre à une autre question : Un partenariat stratégique, dans quel but ? La Russie et l'Union européenne doivent déterminer un programme commun tant en ce qui concerne l'évolution du continent que les relations internationales dans leur ensemble.
La stabilisation politique et le développement économique du continent forment le coeur de la relation UE-Russie. Les commémorations du 9 mai sont là pour nous rappeler le prix de la paix et de la démocratie sur notre continent. La communauté d'intérêt et l'interdépendance découlant de notre proximité ne peut que s'accroître dans les années à venir.
- L'Union européenne représente plus de 50 % des débouchés des exportations de la Russie, chiffre encore amené à s'accroître sous l'effet de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. L'Union européenne importe pour sa part 40 % de sa consommation d'énergie dont une part importante en provenance de Russie, part elle-même amenée à croître sensiblement sous l'effet du développement des infrastructures énergétiques russes ;
- La lutte contre le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic de drogue et la criminalité organisée imposent une coopération accrue pour faire face à ces fléaux touchant aussi bien la Russie que l'Union européenne et se jouant des frontières. Au-delà de la coopération sur le terrain, la création d'un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice implique le rapprochement des normes en matière de respect des Droits de l'Homme et d'Etat de droit ;
- La stabilité du continent ne se fera pas sans une coopération approfondie entre la Russie et l'Union européenne. L'Union européenne et la Russie sont au premier rang des acteurs de la stabilisation des Balkans occidentaux, notamment dans le cadre du groupe de contact et par l'envoi de troupes sur place. Elles ont une responsabilité partagée dans le maintien de la paix sur le continent, notamment pour gérer les crises qu'elles soient "chaudes" ou "gelées", qui sont une source de déstabilisation majeure pour le continent. Cette responsabilité ne pourra que s'accroître avec la réduction annoncée des contingents américains présents en Europe au titre de l'OTAN.
L'Union européenne et la Russie sont des acteurs globaux partageant la capacité et la responsabilité de promouvoir des causes communes au-delà du continent. Un certain nombre d'objectifs fondamentaux communs peuvent à cet égard être identifiés.
- L'Union européenne et la Russie poursuivent des approches complémentaires dans la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive, notamment vis-à-vis de l'Iran. Les négociations conduites par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne d'une part, et l'accord conclu entre Moscou et Téhéran sur la réimportation d'uranium traité, d'autre part, visent tous les deux une coopération nucléaire civile avec l'Iran assortie de garanties objectives que ce pays ne dispose pas d'une capacité nucléaire militaire.
- Le processus de paix au Proche-orient est un élément constant du dialogue euro-russe sur lequel nous sommes parvenus à une convergence de vues étroite. Ainsi par exemple, lors de la récente visite à Paris du président Poutine, une déclaration commune sur le Liban a-t-elle pu être adoptée, déclaration coïncidant avec les conclusions adoptées par la suite par le Conseil européen le 22 mars.
- La lutte contre le réchauffement climatique figure au nombre des objectifs communs. La ratification du protocole de Kyoto ouvre à ce sujet une nouvelle phase, avec la possibilité de transferts financiers et technologiques dans le cadre du mécanisme de mise en uvre conjointe et de vente de quotas d'émission. L'entrée en vigueur du protocole de Kyoto ouvre également la perspective de la définition de nouveaux objectifs pour la période post-2012.
- De manière générale, l'Union européenne et la Russie, en tant qu'acteurs globaux, partagent l'objectif d'un renouvellement et d'un renforcement des organisations multilatérales, au premier rang desquelles l'ONU. Le Sommet de septembre prochain devrait fournir l'occasion d'améliorer la capacité du système onusien de répondre aux défis du développement, de la sécurité et des Droits de l'Homme.
Par delà des structures de coopérations, le partenariat stratégique doit donc faire preuve de flexibilité, mais il doit aussi répondre en permanence à trois critères généraux : il doit être équilibré, approfondi et global.
Pourquoi mettre en avant la nécessité pour les relations d'être équilibrées ? Parce que c'est la clé de l'efficacité de la coopération et que, depuis le Congrès de Vienne, la Russie est un élément incontournable de l'équilibre dans le "concert européen".
- Le solde des flux commerciaux et d'investissements s'établit plutôt à l'avantage de la Russie sans que l'élargissement ait fondamentalement changé cette donnée. Les bons résultats économiques enregistrés par la Russie lui permettent par ailleurs de rembourser progressivement sa dette. Une croissance équilibrée de nos échanges suppose cependant une poursuite des réformes et l'établissement d'un climat de stabilité, de prévisibilité et de sécurité juridique et politique.
- Dans le domaine énergétique, des complémentarités évidentes entre les ressources importantes de la Russie, et les capacités européennes en matière d'exploration et d'exploitation devraient permettre d'aboutir à des situations "gagnant-gagnant" notamment sous la forme d'accords de partage de production. Le dialogue énergétique lancé à Paris en 2000, ainsi que la prochaine réunion des ministres de l'Energie à quatre (France, Allemagne, Espagne, Russie) comme annoncé à Paris lors de la rencontre au Sommet du 18 mars, devraient déboucher sur des actions concrètes.
- Une coopération équilibrée dans le cadre des activités de gestion de crise, suppose que l'Union européenne poursuive son effort de défense et mette en place les outils d'une politique européenne de sécurité et de défense afin d'aboutir à ce qu'on pourrait nommer un "partage du fardeau" entre l'Union européenne et la Russie. L'Union européenne s'est engagée sur cette voie, notamment avec le lancement de l'opération "Althéa" qui déploie 7.000 hommes en Bosnie-Herzégovine.
Le défi sans doute le plus difficile à relever mais aussi celui qui est potentiellement le plus prometteur est celui de l'approfondissement de la coopération UE-Russie. Face à deux acteurs en constante transformation, comment faire en sorte que chacun ne se replie pas sur sa dynamique interne ? Un début de solution consiste à concentrer les efforts de coopération sur des projets structurants dans des domaines clés.
- J'ai déjà évoqué le domaine de l'énergie. Le caractère essentiel de ce secteur pour l'ensemble de la relation est devenu une sorte de poncif de la relation UE-Russie. Et pourtant les moyens financiers et humains mis en oeuvre pour approfondir la coopération dans ce secteur n'ont jusqu'à présent pas été à la hauteur de l'enjeu. L'Union européenne souhaite par ailleurs que la Russie soit partie prenante au projet ITER dont la mise en oeuvre devrait être lancée dans les prochains mois sur le site de Cadarache.
- Deuxième domaine structurant, la coopération en matière aéronautique et spatiale. Nous devons travailler à la compatibilité et la complémentarité de Galileo et de Glonass et développer un véritable espace aérien ouvert, notamment en réglant la question des droits de survol transsibériens. De nouvelles étapes importantes ont récemment été franchies dans le domaine spatial avec la signature d'un accord pour le lancement de fusées Soyouz depuis le pas de tir de Kourou, ainsi que d'un accord relatif au développement d'un lanceur futur devant prendre la relève du lanceur lourd Ariane-5 ECA.
- L'espace commun de liberté, de sécurité et de justice doit réaliser l'équilibre difficile de créer un espace où Russes et Européens se sentent en sécurité tout en pouvant se déplacer, sans barrières inutiles et sans contraintes artificielles. Dans ce cadre, les négociations sur la facilitation des visas représentent un enjeu essentiel qui concernent directement les citoyens de l'Union européenne et ceux de Russie. Nous espérons que le Sommet de Moscou sera l'occasion de finaliser cette négociation entre la Russie et les pays de l'Union européenne. Mais ce ne doit être qu'une étape vers l'objectif de plus grande facilitation de circulation pour les citoyens. Je ne vous le cacherai pas, cet objectif de long terme nécessitera de part et d'autres d'importantes adaptations en ce qui concerne les exigences de visas mais aussi les contraintes liées à l'enregistrement.
- Enfin, la coopération scientifique peut mettre à profit toutes les synergies possibles entre nos capacités de recherche. Vous n'ignorez pas l'importance que représentent pour moi les questions scientifiques. La coopération dans le cadre du Centre international des Sciences et de la Technologie (CIST) de Moscou représente à cet égard un véritable succès qu'il faut amplifier en favorisant la mobilité des étudiants et des chercheurs. La Russie, qui a une réputation méritée d'excellence en matière de recherche peut apporter beaucoup aux chercheurs européens, et réciproquement. Le fait que la Russie ait rejoint le processus de Bologne est un pas important pour le développement des échanges et surtout une excellente nouvelle pour vous étudiants, qui pourrez plus facilement vous rendre dans une université européenne pour compléter ou diversifier votre formation. Alors que l'Union européenne donne une impulsion nouvelle à l'effort de recherche, il convient d'associer pleinement la Russie à l'ambition européenne en matière d'innovation et de compétitivité.
L'Union européenne, dont certains Etats membres siègent au Conseil de sécurité, et la Russie ont une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Comment aboutir à un partenariat stratégique qui prenne en compte la dimension d'acteurs globaux de l'Union européenne et de la Russie ?
- La première réponse consiste à développer des formats de dialogue et de coopération ad hoc tels que le "Quartet" pour le Proche-Orient, le "Groupe de contact" pour les Balkans occidentaux, ou le "Groupe de Minsk" sur le conflit du Haut-Karabakh ;
- En parallèle, il convient de développer les enceintes de consultation régulières propres à l'Union européenne et à la Russie sur les questions politiques et de sécurité, telles que le Conseil de partenariat permanent, et de déterminer les modalités d'une coopération opérationnelle dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense ;
- Enfin, il faut assurer une pleine participation des deux partenaires à l'ensemble des enceintes multilatérales : l'Union européenne soutien l'insertion progressive de la Russie dans les structures de l'OCDE, et elle a conclu en mai 2004 un accord bilatéral relatif à l'adhésion de la Russie à l'OMC, adhésion dont nous espérons qu'elle pourra se réaliser lors de la réunion ministérielle de Hong Kong à la fin de l'année. Pour sa part, l'Union européenne participe à toutes les organisations multilatérales soit directement, comme à l'OMC, soit par l'intermédiaire de ses membres, mais elle doit viser une plus grande visibilité, notamment à l'ONU.
Equilibre, approfondissement, globalité. C'est dans cet esprit que nous abordons le prochain Sommet UE-Russie qui aura lieu le 10 mai prochain à Moscou, et où, je l'espère, nous pourrons adopter les plans d'action couvrant les quatre grands espaces communs entre l'Union européenne et la Russie.
La France continuera d'être à la pointe du développement de la relation UE-Russie, en lançant des actions de coopération bilatérale exemplaires et en jouant un rôle de catalyseur au sein de l'Union européenne. La France a ainsi joué un rôle de facilitateur pour la question du transit de personnes en provenance et à destination de Kaliningrad, et elle a été à l'origine de l'idée des espaces communs.
Nous ne sommes donc qu'au commencement de la construction d'un partenariat stratégique. Pour paraphraser Robert Schuman dont nous fêterons, le 9 mai aussi, la déclaration qui a été un acte fondateur de l'Union européenne d'aujourd'hui, nous pouvons dire que le partenariat stratégique UE-Russie "ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant une solidarité de fait". Ses avancées seront, j'en suis certaine, porteuses de progrès inestimables pour les Russes et les Européens. Les étudiants du MGIMO que vous êtes sont les futurs acteurs de cette aventure.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2005)