Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
En tout premier lieu, je tiens à m'excuser auprès de vous.
Je devais vous rejoindre dès hier, afin de participer à la table ronde consacrée au rôle du 8 mai 1945 dans la fin de la guerre froide et le processus d'unification européenne.
Malheureusement, j'ai du y renoncer en raison d'une manifestation féminine consacrée à l'Europe et à la place des femmes dans la vie publique. Hier était en effet le 60ème anniversaire de la première élection ouverte aux femmes en France, après la décision du général de Gaulle de leur donner le droit de vote.
Notre manifestation sur la place du Trocadéro à Paris a été également l'occasion de formuler un certain nombre de vux, notamment celui de dire "oui" à la constitution. Comme l'a rappelé Mme Simone Veil, "il s'agit d'un engagement pour la paix, pour la réconciliation, pour un monde plus humain".
Je sais, Monsieur le président Von Weizsäcker, que vous acquiescerez à cette évocation du lien direct entre les femmes et l'avenir de l'Europe.
Dans votre discours du 8 mai 1985, qui sera le "fil rouge" de mon intervention, vous rappeliez le tribut particulier que les femmes ont payé à la Seconde Guerre mondiale.
Mais si vous évoquiez, "leurs souffrances, leur renoncement, et leur force silencieuse", vous leur donniez aussi un rôle capital : celui d'avoir empêché, "dans les années les plus sombres, la lumière de l'humanité de s'éteindre".
Vous disiez également qu'elles avaient montré la voie dans l'après-guerre, soutenant les peuples pour éviter qu'ils s'effondrent moralement après toutes les atrocités vécues Je souhaite pour ma part de tout cur que, par leur vote, elles soutiennent aujourd'hui massivement la consolidation d'une Europe plus sûre et plus fraternelle.
La construction européenne, nous le savons, doit beaucoup à ce que l'on a coutume d'appeler le "couple" franco-allemand. Ou devrais-je dire "les" couples franco-allemands : Adenauer-de Gaulle ; Helmut Schmidt-Valery Giscard d'Estaing ; Helmut Kohl-François Mitterrand ; Gerhard Schröder-Jacques Chirac.
Mais ces couples ne sont pas exclusifs ! Et je pense d'évidence aux concertations que nous menons sur de grands dossiers avec d'autres partenaires, telle la Pologne, dans le cadre notamment du "Triangle de Weimar".
A chaque pas en avant, c'est le spectre de la Deuxième Guerre mondiale qui recule, c'est l'affirmation d'une Europe de la paix, celle qui "donne à l'impératif de l'entente, la primauté sur les revendications en conflit."
En relisant votre discours, je me disais combien il était à la fois d'un autre temps : celui d'avant la réunification de l'Allemagne, mais aussi combien il est actuel.
Près de 20 ans ont passé depuis que vous avez prononcé ces paroles remarquées, mais les mots résonnent encore d'une intensité particulière et terriblement actuelle.
La mémoire, c'est la sève des nations ; c'est ce qui permet de nourrir toute une société, tout un peuple, et pour l'Europe, tout un continent.
Se souvenir, c'est se regarder en face avec ses forces et ses faiblesses, ses bonheurs et ses malheurs.
Se rappeler et témoigner, c'est encore le gage de ne pas reproduire les erreurs du passé. Vous le disiez en 1985, Monsieur le Président : "Quiconque refuse de se souvenir de la barbarie se retrouve exposé à de nouveaux risques de contagion".
Et ces risques existent à l'heure actuelle.
La plupart des pays européens sont aujourd'hui confrontés à une hausse inquiétante des violences racistes et antisémites. L'intolérance et la haine refont insidieusement surface, camouflés derrière le masque de la bêtise.
Nous avons le devoir d'apporter des réponses à ces phénomènes.
Le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme mis en place en France par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin - et dont je préconise la création dans les autres pays d'Europe afin de tisser un véritable réseau de coopération - est une piste de travail.
Les ministres allemands et français de la Justice ont déjà décidé, lors du 5ème Conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu le 26 avril 2005, d'inscrire la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur la feuille de route des deux ministères et d'échanger régulièrement sur les actions publiques entreprises de part et d'autre de la frontière.
Les ministres de l'Intérieur se sont aussi entendus pour étudier une possibilité d'institutionnaliser des réunions germano-françaises dans notre région frontalière. Elles permettraient aux autorités allemandes et françaises de comparer, d'échanger et d'analyser mutuellement les informations collectées sur les rassemblements de mouvements extrémistes.
Ces actions ne pourraient aller que dans le sens d'un renforcement avec l'adoption du Traité constitutionnel : la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice est le deuxième objectif de l'Union (art. I-3), juste après celui de la promotion de la paix, des valeurs et du bien-être des peuples.
La promotion de la paix, justement, passe aussi par l'éducation. L'apprentissage de notre histoire commune, de notre mémoire commune, est un pré-requis pour une véritable identification européenne. C'est ainsi que devrait voir le jour, au courant de l'année scolaire 2006/2007, un manuel d'histoire identique en Allemagne et en France.
Le premier volume à paraître a été conçu pour la classe de terminale et est consacré à l'histoire contemporaine à partir de 1945. Il sera suivi de deux autres volumes portant sur la période allant du XIXème siècle à 1945, et à celle qui s'étend de l'Antiquité au Romantisme.
La grande portée de l'ouvrage ne se limite pas au domaine éducatif, car son effet psychologique est tout aussi important. Les jeunes Allemands et les jeunes Français apprendront, à partir du même ouvrage, l'histoire de leur pays ainsi que l'histoire européenne commune.
Je suis persuadée que ce manuel peut permettre de rapprocher dans la conscience de nos enfants la transmission et la représentation du passé dans une Europe en construction. Il me semble indispensable de consolider ce socle éducatif commun, si important pour gommer les fausses différences, sans nier les identités et les cultures de chacun.
En conclusion de votre discours de 1985, vous exhortiez les jeunes générations à apprendre à coexister au lieu de se dresser les unes contre les autres.
Je crois fermement en la valeur de l'éducation pour favoriser cet apprentissage de la coexistence, qui peut avoir un autre nom: la fraternité.
Vous parliez également du 8 mai comme d'une journée de souvenir en hommage aux victimes. Ce devoir de mémoire, en tant que secrétaire d'Etat aux Droits des victimes, il me revient pour partie Ce que l'on doit aux victimes, à tous ceux qui sont tombés pour rétablir la paix, c'est sans doute simplement ceci : donner leur nom à chacune des pierres dont nous nous servons pour construire une Europe meilleure et plus solidaire.
Il faut sans cesse se rappeler qu'à travers leur sacrifice, ils nous demandent aujourd'hui une Europe forte et unie.
Les passerelles, Monsieur le président de la République, entre votre discours du 8 mai 1985 et l'actualité de l'Europe sont nombreuses. Je pourrais passer, sans doute, encore plus de temps à vous dire combien, en le lisant aujourd'hui, il m'a touchée, autant que si je vous avais effectivement entendu le prononcer à l'occasion du 40ème anniversaire de l'armistice.
Si la mémoire n'est pas l'unique socle de notre construction européenne, elle n'en reste pas moins un élément primordial qui contribue à l'essence même de notre "vivre ensemble" européen. Nietzsche a pu dire que le "futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire".
A nous de faire en sorte que le futur appartienne résolument aux Européens, à tous les Européens, en entretenant cette mémoire, 60 ans après le 8 mai 1945.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2005)
En tout premier lieu, je tiens à m'excuser auprès de vous.
Je devais vous rejoindre dès hier, afin de participer à la table ronde consacrée au rôle du 8 mai 1945 dans la fin de la guerre froide et le processus d'unification européenne.
Malheureusement, j'ai du y renoncer en raison d'une manifestation féminine consacrée à l'Europe et à la place des femmes dans la vie publique. Hier était en effet le 60ème anniversaire de la première élection ouverte aux femmes en France, après la décision du général de Gaulle de leur donner le droit de vote.
Notre manifestation sur la place du Trocadéro à Paris a été également l'occasion de formuler un certain nombre de vux, notamment celui de dire "oui" à la constitution. Comme l'a rappelé Mme Simone Veil, "il s'agit d'un engagement pour la paix, pour la réconciliation, pour un monde plus humain".
Je sais, Monsieur le président Von Weizsäcker, que vous acquiescerez à cette évocation du lien direct entre les femmes et l'avenir de l'Europe.
Dans votre discours du 8 mai 1985, qui sera le "fil rouge" de mon intervention, vous rappeliez le tribut particulier que les femmes ont payé à la Seconde Guerre mondiale.
Mais si vous évoquiez, "leurs souffrances, leur renoncement, et leur force silencieuse", vous leur donniez aussi un rôle capital : celui d'avoir empêché, "dans les années les plus sombres, la lumière de l'humanité de s'éteindre".
Vous disiez également qu'elles avaient montré la voie dans l'après-guerre, soutenant les peuples pour éviter qu'ils s'effondrent moralement après toutes les atrocités vécues Je souhaite pour ma part de tout cur que, par leur vote, elles soutiennent aujourd'hui massivement la consolidation d'une Europe plus sûre et plus fraternelle.
La construction européenne, nous le savons, doit beaucoup à ce que l'on a coutume d'appeler le "couple" franco-allemand. Ou devrais-je dire "les" couples franco-allemands : Adenauer-de Gaulle ; Helmut Schmidt-Valery Giscard d'Estaing ; Helmut Kohl-François Mitterrand ; Gerhard Schröder-Jacques Chirac.
Mais ces couples ne sont pas exclusifs ! Et je pense d'évidence aux concertations que nous menons sur de grands dossiers avec d'autres partenaires, telle la Pologne, dans le cadre notamment du "Triangle de Weimar".
A chaque pas en avant, c'est le spectre de la Deuxième Guerre mondiale qui recule, c'est l'affirmation d'une Europe de la paix, celle qui "donne à l'impératif de l'entente, la primauté sur les revendications en conflit."
En relisant votre discours, je me disais combien il était à la fois d'un autre temps : celui d'avant la réunification de l'Allemagne, mais aussi combien il est actuel.
Près de 20 ans ont passé depuis que vous avez prononcé ces paroles remarquées, mais les mots résonnent encore d'une intensité particulière et terriblement actuelle.
La mémoire, c'est la sève des nations ; c'est ce qui permet de nourrir toute une société, tout un peuple, et pour l'Europe, tout un continent.
Se souvenir, c'est se regarder en face avec ses forces et ses faiblesses, ses bonheurs et ses malheurs.
Se rappeler et témoigner, c'est encore le gage de ne pas reproduire les erreurs du passé. Vous le disiez en 1985, Monsieur le Président : "Quiconque refuse de se souvenir de la barbarie se retrouve exposé à de nouveaux risques de contagion".
Et ces risques existent à l'heure actuelle.
La plupart des pays européens sont aujourd'hui confrontés à une hausse inquiétante des violences racistes et antisémites. L'intolérance et la haine refont insidieusement surface, camouflés derrière le masque de la bêtise.
Nous avons le devoir d'apporter des réponses à ces phénomènes.
Le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme mis en place en France par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin - et dont je préconise la création dans les autres pays d'Europe afin de tisser un véritable réseau de coopération - est une piste de travail.
Les ministres allemands et français de la Justice ont déjà décidé, lors du 5ème Conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu le 26 avril 2005, d'inscrire la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur la feuille de route des deux ministères et d'échanger régulièrement sur les actions publiques entreprises de part et d'autre de la frontière.
Les ministres de l'Intérieur se sont aussi entendus pour étudier une possibilité d'institutionnaliser des réunions germano-françaises dans notre région frontalière. Elles permettraient aux autorités allemandes et françaises de comparer, d'échanger et d'analyser mutuellement les informations collectées sur les rassemblements de mouvements extrémistes.
Ces actions ne pourraient aller que dans le sens d'un renforcement avec l'adoption du Traité constitutionnel : la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice est le deuxième objectif de l'Union (art. I-3), juste après celui de la promotion de la paix, des valeurs et du bien-être des peuples.
La promotion de la paix, justement, passe aussi par l'éducation. L'apprentissage de notre histoire commune, de notre mémoire commune, est un pré-requis pour une véritable identification européenne. C'est ainsi que devrait voir le jour, au courant de l'année scolaire 2006/2007, un manuel d'histoire identique en Allemagne et en France.
Le premier volume à paraître a été conçu pour la classe de terminale et est consacré à l'histoire contemporaine à partir de 1945. Il sera suivi de deux autres volumes portant sur la période allant du XIXème siècle à 1945, et à celle qui s'étend de l'Antiquité au Romantisme.
La grande portée de l'ouvrage ne se limite pas au domaine éducatif, car son effet psychologique est tout aussi important. Les jeunes Allemands et les jeunes Français apprendront, à partir du même ouvrage, l'histoire de leur pays ainsi que l'histoire européenne commune.
Je suis persuadée que ce manuel peut permettre de rapprocher dans la conscience de nos enfants la transmission et la représentation du passé dans une Europe en construction. Il me semble indispensable de consolider ce socle éducatif commun, si important pour gommer les fausses différences, sans nier les identités et les cultures de chacun.
En conclusion de votre discours de 1985, vous exhortiez les jeunes générations à apprendre à coexister au lieu de se dresser les unes contre les autres.
Je crois fermement en la valeur de l'éducation pour favoriser cet apprentissage de la coexistence, qui peut avoir un autre nom: la fraternité.
Vous parliez également du 8 mai comme d'une journée de souvenir en hommage aux victimes. Ce devoir de mémoire, en tant que secrétaire d'Etat aux Droits des victimes, il me revient pour partie Ce que l'on doit aux victimes, à tous ceux qui sont tombés pour rétablir la paix, c'est sans doute simplement ceci : donner leur nom à chacune des pierres dont nous nous servons pour construire une Europe meilleure et plus solidaire.
Il faut sans cesse se rappeler qu'à travers leur sacrifice, ils nous demandent aujourd'hui une Europe forte et unie.
Les passerelles, Monsieur le président de la République, entre votre discours du 8 mai 1985 et l'actualité de l'Europe sont nombreuses. Je pourrais passer, sans doute, encore plus de temps à vous dire combien, en le lisant aujourd'hui, il m'a touchée, autant que si je vous avais effectivement entendu le prononcer à l'occasion du 40ème anniversaire de l'armistice.
Si la mémoire n'est pas l'unique socle de notre construction européenne, elle n'en reste pas moins un élément primordial qui contribue à l'essence même de notre "vivre ensemble" européen. Nietzsche a pu dire que le "futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire".
A nous de faire en sorte que le futur appartienne résolument aux Européens, à tous les Européens, en entretenant cette mémoire, 60 ans après le 8 mai 1945.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2005)