Texte intégral
Interview de J.-C. Mailly sur LCI le 10 mars 2005 :
Anita Hausser - Vous allez manifester aujourd'hui, avec l'ensemble des syndicats français, sur fond de visite du comité olympique. Le mot d'ordre, c'était "emploi, 35 heures et salaires". Au final, on retient surtout les salaires.
Jean-Claude Mailly - Je dirais d'ailleurs que c'était la priorité de Force Ouvrière depuis maintenant plusieurs mois. Il est vrai qu'aujourd'hui, la priorité dans les revendications - c'est révélé par les sondages également - pour les salariés du public et du privé, c'est effectivement l'augmentation du pouvoir d'achat.
Q- Quand on dit que les salaires dans le privé ont augmenté en 2004 davantage que les autres années, cela n'est pas perçu ?
R- Monsieur Borloo a indiqué que, selon ses premières informations, il y aurait eu une amélioration plus importante en 2004 que les années précédentes pour les salaires des ouvriers. D'abord, on n'a pas encore les statistiques, on les aura le 18 mars. Mais c'est surtout parce qu'il y a une augmentation du Smic, dans le cadre de la réforme des 35 heures, qui a été, pour certains smicards, un peu plus importante. Mais non, je ne pense pas qu'il y ait eu une augmentation en 2004 des salaires plus importante que les autres années, si on regarde toutes les catégories de salariés.
Q- Vous attendez beaucoup de monde ?
R- Oui. Ce qu'il faut bien noter par rapport aux manifestations du samedi 5 février, que l'on avait décidées à quatre organisations un samedi - c'est volontairement que l'on avait choisi un samedi, c'était notamment pour ne pas appeler à la grève...
Q- C'était aussi pour permettre aux salariés du privé de manifester...
R- Tout à fait... Mais aussi, quand vous appelez à manifester un samedi, vous n'appelez pas à des arrêts de travail. Résultat des courses : dans les jours qui ont suivi, et même le soir même, le Gouvernement était complètement sourd. Il n'a jamais répondu, il a fait comme s'il ne s'était passé. Donc, cela nous a conduit à envisager, notamment - et c'est le cas aujourd'hui - qu'il y ait à la fois des arrêts de travail - ce qui n'était pas le cas, bien entendu, le 5 février - dans le public et dans le privé - il y a des arrêts de travail dans le public, mais il y en aussi beaucoup dans le privé, aujourd'hui -, plus des manifestations. Nous attendons des informations qui nous remontent depuis plusieurs jours, à ce qu'il y ait du monde dans les manifestations.
Q- D'après les premières informations que vous avez ce matin, les perturbations dans les transports aériens, ferroviaires, dans le métro parisien sont conformes à vos prévisions ?
R- Oui, à partir du moment où il y a des appels à des arrêts de travail dans les transports, publics et privés d'ailleurs - il y aura aussi dans les transports urbains des appels à des arrêts de travail aujourd'hui... Mais il y en a dans la métallurgie, dans la chimie, dans la pharmacie, dans le commerce, dans la banque. Dans tous ces secteurs, on débraye aujourd'hui. La notion d'arrêt de travail, c'est que ce sont les salariés avec leurs syndicats, dans les entreprises, qui décident, dans le privé, s'ils débrayent deux heures, trois heures, quatre heures... C'est eux qui ont décidé.
Q- Le Gouvernement vous a déjà envoyé des signaux. On a entendu G. Larcher dire qu'il était "à l'écoute", J.-F. Copé dire que le Gouvernement est "très attentif", J.-L. Borloo a annoncé la réunion de la Commission des conventions collectives. Vous pensez qu'il n'y aura qu'une journée d'arrêt de travail et que les négociations vont redémarrer ?
R- La balle est dans le camp du Gouvernement. Quand je dis "la balle est dans le camp du Gouvernement", effectivement, il a fait des ouvertures depuis deux jours, en disant que l'on va faire une réunion - nous, nous le demandions - rapide de la Commission des salaires qui se réunira le 18 mars. Parallèlement, il commence à dire qu'il va demander au patronat de négocier les salaires dans les branches. Ceci étant, comme on dit à l'école : "peut mieux faire". "Peut mieux faire", c'est notamment - là, on est sur les salariés du secteur privé - qu'il doit exiger des employeurs, quand ils ne veulent pas ouvrir la négociation, que ces employeurs viennent autour de la table. Il y a la possibilité de le faire avec le code du travail. Et puis, il faut aussi, quand il y a des exonérations de cotisations patronales, exiger des employeurs qu'il y ait des augmentations de salaires, ce qui n'a jamais été fait. Il nous parait tout à fait logique de lier les deux choses. Nous ne sommes pas demandeurs d'exonérations de cotisations sociales, notamment, parce que bien souvent les pertes de recette ne sont pas compensées à la Sécurité sociale. Mais il faut conditionner pour amener les salariés, dans le privé, à pouvoir avoir une augmentation de pouvoir d'achat, [pour cela], il faut que les patrons arrivent à négocier. Après, il y a le public
Q- Justement : le ministre de la fonction publique a dit hier que, pour l'instant, il n'avait pas de sous.
R- Alors ce n'est pas la peine qu'on aille le voir ! Si lui, d'ores et déjà, dit qu'il n'a pas de mandat, cela ne sert à rien d'aller négocier avec lui ! A ce moment-là, en tant que ministre de la Fonction publique, s'il dit qu'il 'a pas de mandat, est-ce que cela veut dire que c'est une revendication de monsieur Dutreil auprès de monsieur Raffarin ? Donc, on va aller voir monsieur Raffarin pour lui dire "allez-vous donner de l'argent à monsieur Dutreil pour qu'il négocie ?". On ne comprend pas bien les interventions de monsieur Dutreil...
Q- Monsieur Dutreil va peut-être y aller avant vous, en lui disant qu'il a besoin d'un peu de grains à moudre ?
R- S'il a besoin de dire publiquement au Premier ministre, par des déclarations, qu'il a... C'est son problème d'une certaine manière. En tous les cas, le Gouvernement est là en situation d'employeur. Autant dans le privé, il ne fixe pas les salaires, dans la fonction publique, il est en situation d'employeur. Ce n'est pas compliqué : il suffit qu'il rouvre les négociations avec les fédérations.
Q- Vous demandez combien ?
R- Les fonctionnaires ont chiffré la perte depuis 2000 à 5 % ; ça, c'est "l'arriéré" je dirais. Après, il y a le problème 2005. Prenons un seul exemple : le chiffre d'inflation annoncé par le Gouvernement prévu, est de 1,8 ; pour le moment, ils ont 0,5 % en début d'année et 0,5 % en fin d'année. Donc, cela veut dire même pas le maintien du pouvoir d'achat. Si le Gouvernement, dans le privé, incite les patrons à négocier - mais il faudra que les patrons négocient ! - et que dans le public, il ne fait pas la même chose, il y a une contradiction. Il faut aussi qu'il montre l'exemple avec les fonctionnaires, en disant qu'il rouvre les négociations et qu'il discute.
Q- Votre détermination est-elle totale ?
R- Oui, bien sûr. Cela fait quand même plusieurs mois maintenant que l'on explique qu'il y a un malaise social, qu'il y a un problème de pouvoir d'achat important dans le public comme dans le privé, et il n'y a pas de suite à ce que l'on explique. A partir du moment où le Gouvernement est sourd, il faut bien que l'on s'exprime. Et quand une manif un samedi ne suffit pas, ce sont des arrêts de travail. Après, je le dis bien : la balle est dans le camp du Gouvernement ; à lui de montrer, si effectivement, y compris pour soutenir la consommation - l'économie française, c'est bien connu, fonctionne essentiellement sur la consommation - et si on veut la booster, cette consommation, si on veut que les gens consomment et que cela crée des emplois, il faut soutenir le pouvoir d'achat.
Q- J'en viens au sujet qui fâche ou en tout cas, qui a beaucoup fâché : c'est la visite du CIO. Aujourd'hui, c'est la journée d'inspection de la délégation qui va donc faire le tour des sites en car, et peut-être aussi s'écarter un peu du circuit, pour voir un peu comment cela se
passe dans Paris...
R- Ils vont peut-être vouloir nous rejoindre...
Q- Je ne sais pas, vous leur proposez ?!
R- S'ils veulent venir, ils sont les bienvenus !
Q- Les militants de FO vont-ils aussi porter le T-shirt de soutien aux
Jeux ?
R- Pas de manière systématique. Il y aura des clins d'oeil - on est plutôt espiègle de ce point de vue - du type : "les JO c'est dans sept ans, les
salaires c'est maintenant !"
Q- C'est le slogan ?
R- Oui. Il y aura peut-être des casquettes, c'est possible. Mais, à ma connaissance, chez les militants FO, il n'y aura pas de port systématique, parce qu'on ne veut pas mélanger les genres, justement. Cette manifestation, quand la date a été arrêtée, personne n'était au courant qu'il y avait la visite du CIO. Ceci étant, vous voyez que le parcours qui a été négocié sur Paris en tient compte et n'est pas un parcours habituel.
Q- Votre prédécesseur, M. Blondel, a envoyé une lettre ouverte à notre confrère Le Parisien-Aujourd'hui en France. Il parle de télescopage des dates ; est-ce une initiative personnelle de sa part ?
R- Oui, c'est une initiative personnelle de M. Blondel. Mais quand il dit "télescopage", c'est vrai que c'est un hasard de calendrier. La date du 10 mars n'a pas été choisie par les organisations syndicales parce que le CIO venait. D'ailleurs, vous remarquerez que quand on a annoncé le 10 mars, il a fallu attendre 15 jours pour que l'on apprenne publiquement que le CIO venait le 10 mars - même si la date avait été arrêtée avant, mais on ne le savait pas... Ce que je dis toujours, c'est attention à ne mélanger les choses ! Ou alors, c'est considéré que les membres de la délégation du CIO sont allergiques aux manifestations par définition et qu'ils ne sont pas des démocrates. Cela, je ne peux pas le croire.
Q- Cela vous arrange-t-il ou vous dérange-t-il que les lycéens remanifestent aujourd'hui ?
R- Les lycéens ont manifesté le 8 ; ils souhaitent aujourd'hui rejoindre les manifestations. Il n'y a pas d'amalgame, nous ne sommes pas des directeurs de conscience en tant qu'adultes vis-à-vis du mouvement des lycéens. Maintenant, s'ils veulent rejoindre, on ne va pas les en empêcher, mais les deux mouvements sont différents.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 mars 2005)
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Interview de Jean-Claude Mailly dans L'Est Républicain le 14 mars 2005 :
Xavier Frere : La mobilisation du 10 mars a-t-elle fait évoluer les choses ?
Jean-Claude Mailly : Nous avions mis l'accent sur les salaires dès l'été, et toutes les revendications depuis, en découlent. " Gagner plus, si on travaille plus ", ce slogan n'est pas acceptable. Après le mouvement du 5 mars, nous avons reçu une fin de non-recevoir de la part des pouvoirs publics. Nous l'avons perçu comme du mépris. Alors, le 10, on peut dire que cela a été une réussite en terme d'arrêts de travail et de mobilisation. Le gouvernement a essayé de diviser public et privé, car diviser, c'est mieux régner. Ça n'a pas marché. L'esprit de solidarité prévaut.
Q - Le Premier ministre a dit qu'il était " favorable à la réouverture de négociations salariales à brefs délais ". Est-ce satisfaisant ?
R - Quand le public et le privé se mobilisent massivement le gouvernement est obligé de commencer à entendre. Il y a une ouverture, maintenant nous attendons qu'elle se traduise concrètement. Notre cap, c'est la revendication, ensuite le pragmatisme. Il faut que les rencontres se déroulent, à brève échéance, avant le 18 mars. Aux fédérations de fonctionnaires de négocier aussi avec leur ministre de tutelle. Sachant qu'il y a une erreur de casting dans ce gouvernement, avec Renaud Dutreil. Dans le privé, nous rejetons l'actionnariat salarié avant qu'un accord préalable sur les salaires ne soit signé. Un patron peut refuser des accords de salaires et tout mettre sur l'intéressement lequel par définition est fragile...
La déclaration de Raffarin montre en tout cas que l'Etat est plus ouvert qu'il ne l'était auparavant, mais nous maintenons la pression, car nous attendons du concret. C'est une question de dignité.
- Qu'attendez-vous, en priorité, du gouvernement ?
- Qu'il fasse pression sur les employeurs - et nous allons l'inciter à aller plus loin - quitte à envisager des mesures coercitives. Le bras de fer avec le patronat est engagé. C'est évidemment la question du pouvoir d'achat qui est prioritaire. Les gens sont étranglés financièrement. Et quand on voit les profits des grandes entreprises, qu'on subit la hausse du pétrole on comprend encore mieux cette mobilisation.
- En quoi le référendum sur la Constitution européenne constitue-t-il un enjeu pour vous ?
- Depuis dix ans, nous sommes très critiques sur la Constitution européenne pour nous opposer au rouleau compresseur du capitalisme libéral. Nous souhaitons une réorientation de ses modalités profondes. Mais à FO, c'est une tradition, il ne faut pas confondre citoyens et travailleurs. Voilà pourquoi même si la Confédération européenne des syndicats (dont le comité exécutif se tient mercredi à Bruxelles, ndlr) prône le oui, nous, nous disons non à ce " oui " hâtif. Ce n'est pas une " holding " qui nous donnera des ordres. Moi, je dis à nos adhérents : " Vous avez une tête, réfléchissez, je fais confiance à votre sagacité !
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 15 mars 2005)
Anita Hausser - Vous allez manifester aujourd'hui, avec l'ensemble des syndicats français, sur fond de visite du comité olympique. Le mot d'ordre, c'était "emploi, 35 heures et salaires". Au final, on retient surtout les salaires.
Jean-Claude Mailly - Je dirais d'ailleurs que c'était la priorité de Force Ouvrière depuis maintenant plusieurs mois. Il est vrai qu'aujourd'hui, la priorité dans les revendications - c'est révélé par les sondages également - pour les salariés du public et du privé, c'est effectivement l'augmentation du pouvoir d'achat.
Q- Quand on dit que les salaires dans le privé ont augmenté en 2004 davantage que les autres années, cela n'est pas perçu ?
R- Monsieur Borloo a indiqué que, selon ses premières informations, il y aurait eu une amélioration plus importante en 2004 que les années précédentes pour les salaires des ouvriers. D'abord, on n'a pas encore les statistiques, on les aura le 18 mars. Mais c'est surtout parce qu'il y a une augmentation du Smic, dans le cadre de la réforme des 35 heures, qui a été, pour certains smicards, un peu plus importante. Mais non, je ne pense pas qu'il y ait eu une augmentation en 2004 des salaires plus importante que les autres années, si on regarde toutes les catégories de salariés.
Q- Vous attendez beaucoup de monde ?
R- Oui. Ce qu'il faut bien noter par rapport aux manifestations du samedi 5 février, que l'on avait décidées à quatre organisations un samedi - c'est volontairement que l'on avait choisi un samedi, c'était notamment pour ne pas appeler à la grève...
Q- C'était aussi pour permettre aux salariés du privé de manifester...
R- Tout à fait... Mais aussi, quand vous appelez à manifester un samedi, vous n'appelez pas à des arrêts de travail. Résultat des courses : dans les jours qui ont suivi, et même le soir même, le Gouvernement était complètement sourd. Il n'a jamais répondu, il a fait comme s'il ne s'était passé. Donc, cela nous a conduit à envisager, notamment - et c'est le cas aujourd'hui - qu'il y ait à la fois des arrêts de travail - ce qui n'était pas le cas, bien entendu, le 5 février - dans le public et dans le privé - il y a des arrêts de travail dans le public, mais il y en aussi beaucoup dans le privé, aujourd'hui -, plus des manifestations. Nous attendons des informations qui nous remontent depuis plusieurs jours, à ce qu'il y ait du monde dans les manifestations.
Q- D'après les premières informations que vous avez ce matin, les perturbations dans les transports aériens, ferroviaires, dans le métro parisien sont conformes à vos prévisions ?
R- Oui, à partir du moment où il y a des appels à des arrêts de travail dans les transports, publics et privés d'ailleurs - il y aura aussi dans les transports urbains des appels à des arrêts de travail aujourd'hui... Mais il y en a dans la métallurgie, dans la chimie, dans la pharmacie, dans le commerce, dans la banque. Dans tous ces secteurs, on débraye aujourd'hui. La notion d'arrêt de travail, c'est que ce sont les salariés avec leurs syndicats, dans les entreprises, qui décident, dans le privé, s'ils débrayent deux heures, trois heures, quatre heures... C'est eux qui ont décidé.
Q- Le Gouvernement vous a déjà envoyé des signaux. On a entendu G. Larcher dire qu'il était "à l'écoute", J.-F. Copé dire que le Gouvernement est "très attentif", J.-L. Borloo a annoncé la réunion de la Commission des conventions collectives. Vous pensez qu'il n'y aura qu'une journée d'arrêt de travail et que les négociations vont redémarrer ?
R- La balle est dans le camp du Gouvernement. Quand je dis "la balle est dans le camp du Gouvernement", effectivement, il a fait des ouvertures depuis deux jours, en disant que l'on va faire une réunion - nous, nous le demandions - rapide de la Commission des salaires qui se réunira le 18 mars. Parallèlement, il commence à dire qu'il va demander au patronat de négocier les salaires dans les branches. Ceci étant, comme on dit à l'école : "peut mieux faire". "Peut mieux faire", c'est notamment - là, on est sur les salariés du secteur privé - qu'il doit exiger des employeurs, quand ils ne veulent pas ouvrir la négociation, que ces employeurs viennent autour de la table. Il y a la possibilité de le faire avec le code du travail. Et puis, il faut aussi, quand il y a des exonérations de cotisations patronales, exiger des employeurs qu'il y ait des augmentations de salaires, ce qui n'a jamais été fait. Il nous parait tout à fait logique de lier les deux choses. Nous ne sommes pas demandeurs d'exonérations de cotisations sociales, notamment, parce que bien souvent les pertes de recette ne sont pas compensées à la Sécurité sociale. Mais il faut conditionner pour amener les salariés, dans le privé, à pouvoir avoir une augmentation de pouvoir d'achat, [pour cela], il faut que les patrons arrivent à négocier. Après, il y a le public
Q- Justement : le ministre de la fonction publique a dit hier que, pour l'instant, il n'avait pas de sous.
R- Alors ce n'est pas la peine qu'on aille le voir ! Si lui, d'ores et déjà, dit qu'il n'a pas de mandat, cela ne sert à rien d'aller négocier avec lui ! A ce moment-là, en tant que ministre de la Fonction publique, s'il dit qu'il 'a pas de mandat, est-ce que cela veut dire que c'est une revendication de monsieur Dutreil auprès de monsieur Raffarin ? Donc, on va aller voir monsieur Raffarin pour lui dire "allez-vous donner de l'argent à monsieur Dutreil pour qu'il négocie ?". On ne comprend pas bien les interventions de monsieur Dutreil...
Q- Monsieur Dutreil va peut-être y aller avant vous, en lui disant qu'il a besoin d'un peu de grains à moudre ?
R- S'il a besoin de dire publiquement au Premier ministre, par des déclarations, qu'il a... C'est son problème d'une certaine manière. En tous les cas, le Gouvernement est là en situation d'employeur. Autant dans le privé, il ne fixe pas les salaires, dans la fonction publique, il est en situation d'employeur. Ce n'est pas compliqué : il suffit qu'il rouvre les négociations avec les fédérations.
Q- Vous demandez combien ?
R- Les fonctionnaires ont chiffré la perte depuis 2000 à 5 % ; ça, c'est "l'arriéré" je dirais. Après, il y a le problème 2005. Prenons un seul exemple : le chiffre d'inflation annoncé par le Gouvernement prévu, est de 1,8 ; pour le moment, ils ont 0,5 % en début d'année et 0,5 % en fin d'année. Donc, cela veut dire même pas le maintien du pouvoir d'achat. Si le Gouvernement, dans le privé, incite les patrons à négocier - mais il faudra que les patrons négocient ! - et que dans le public, il ne fait pas la même chose, il y a une contradiction. Il faut aussi qu'il montre l'exemple avec les fonctionnaires, en disant qu'il rouvre les négociations et qu'il discute.
Q- Votre détermination est-elle totale ?
R- Oui, bien sûr. Cela fait quand même plusieurs mois maintenant que l'on explique qu'il y a un malaise social, qu'il y a un problème de pouvoir d'achat important dans le public comme dans le privé, et il n'y a pas de suite à ce que l'on explique. A partir du moment où le Gouvernement est sourd, il faut bien que l'on s'exprime. Et quand une manif un samedi ne suffit pas, ce sont des arrêts de travail. Après, je le dis bien : la balle est dans le camp du Gouvernement ; à lui de montrer, si effectivement, y compris pour soutenir la consommation - l'économie française, c'est bien connu, fonctionne essentiellement sur la consommation - et si on veut la booster, cette consommation, si on veut que les gens consomment et que cela crée des emplois, il faut soutenir le pouvoir d'achat.
Q- J'en viens au sujet qui fâche ou en tout cas, qui a beaucoup fâché : c'est la visite du CIO. Aujourd'hui, c'est la journée d'inspection de la délégation qui va donc faire le tour des sites en car, et peut-être aussi s'écarter un peu du circuit, pour voir un peu comment cela se
passe dans Paris...
R- Ils vont peut-être vouloir nous rejoindre...
Q- Je ne sais pas, vous leur proposez ?!
R- S'ils veulent venir, ils sont les bienvenus !
Q- Les militants de FO vont-ils aussi porter le T-shirt de soutien aux
Jeux ?
R- Pas de manière systématique. Il y aura des clins d'oeil - on est plutôt espiègle de ce point de vue - du type : "les JO c'est dans sept ans, les
salaires c'est maintenant !"
Q- C'est le slogan ?
R- Oui. Il y aura peut-être des casquettes, c'est possible. Mais, à ma connaissance, chez les militants FO, il n'y aura pas de port systématique, parce qu'on ne veut pas mélanger les genres, justement. Cette manifestation, quand la date a été arrêtée, personne n'était au courant qu'il y avait la visite du CIO. Ceci étant, vous voyez que le parcours qui a été négocié sur Paris en tient compte et n'est pas un parcours habituel.
Q- Votre prédécesseur, M. Blondel, a envoyé une lettre ouverte à notre confrère Le Parisien-Aujourd'hui en France. Il parle de télescopage des dates ; est-ce une initiative personnelle de sa part ?
R- Oui, c'est une initiative personnelle de M. Blondel. Mais quand il dit "télescopage", c'est vrai que c'est un hasard de calendrier. La date du 10 mars n'a pas été choisie par les organisations syndicales parce que le CIO venait. D'ailleurs, vous remarquerez que quand on a annoncé le 10 mars, il a fallu attendre 15 jours pour que l'on apprenne publiquement que le CIO venait le 10 mars - même si la date avait été arrêtée avant, mais on ne le savait pas... Ce que je dis toujours, c'est attention à ne mélanger les choses ! Ou alors, c'est considéré que les membres de la délégation du CIO sont allergiques aux manifestations par définition et qu'ils ne sont pas des démocrates. Cela, je ne peux pas le croire.
Q- Cela vous arrange-t-il ou vous dérange-t-il que les lycéens remanifestent aujourd'hui ?
R- Les lycéens ont manifesté le 8 ; ils souhaitent aujourd'hui rejoindre les manifestations. Il n'y a pas d'amalgame, nous ne sommes pas des directeurs de conscience en tant qu'adultes vis-à-vis du mouvement des lycéens. Maintenant, s'ils veulent rejoindre, on ne va pas les en empêcher, mais les deux mouvements sont différents.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 mars 2005)
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Interview de Jean-Claude Mailly dans L'Est Républicain le 14 mars 2005 :
Xavier Frere : La mobilisation du 10 mars a-t-elle fait évoluer les choses ?
Jean-Claude Mailly : Nous avions mis l'accent sur les salaires dès l'été, et toutes les revendications depuis, en découlent. " Gagner plus, si on travaille plus ", ce slogan n'est pas acceptable. Après le mouvement du 5 mars, nous avons reçu une fin de non-recevoir de la part des pouvoirs publics. Nous l'avons perçu comme du mépris. Alors, le 10, on peut dire que cela a été une réussite en terme d'arrêts de travail et de mobilisation. Le gouvernement a essayé de diviser public et privé, car diviser, c'est mieux régner. Ça n'a pas marché. L'esprit de solidarité prévaut.
Q - Le Premier ministre a dit qu'il était " favorable à la réouverture de négociations salariales à brefs délais ". Est-ce satisfaisant ?
R - Quand le public et le privé se mobilisent massivement le gouvernement est obligé de commencer à entendre. Il y a une ouverture, maintenant nous attendons qu'elle se traduise concrètement. Notre cap, c'est la revendication, ensuite le pragmatisme. Il faut que les rencontres se déroulent, à brève échéance, avant le 18 mars. Aux fédérations de fonctionnaires de négocier aussi avec leur ministre de tutelle. Sachant qu'il y a une erreur de casting dans ce gouvernement, avec Renaud Dutreil. Dans le privé, nous rejetons l'actionnariat salarié avant qu'un accord préalable sur les salaires ne soit signé. Un patron peut refuser des accords de salaires et tout mettre sur l'intéressement lequel par définition est fragile...
La déclaration de Raffarin montre en tout cas que l'Etat est plus ouvert qu'il ne l'était auparavant, mais nous maintenons la pression, car nous attendons du concret. C'est une question de dignité.
- Qu'attendez-vous, en priorité, du gouvernement ?
- Qu'il fasse pression sur les employeurs - et nous allons l'inciter à aller plus loin - quitte à envisager des mesures coercitives. Le bras de fer avec le patronat est engagé. C'est évidemment la question du pouvoir d'achat qui est prioritaire. Les gens sont étranglés financièrement. Et quand on voit les profits des grandes entreprises, qu'on subit la hausse du pétrole on comprend encore mieux cette mobilisation.
- En quoi le référendum sur la Constitution européenne constitue-t-il un enjeu pour vous ?
- Depuis dix ans, nous sommes très critiques sur la Constitution européenne pour nous opposer au rouleau compresseur du capitalisme libéral. Nous souhaitons une réorientation de ses modalités profondes. Mais à FO, c'est une tradition, il ne faut pas confondre citoyens et travailleurs. Voilà pourquoi même si la Confédération européenne des syndicats (dont le comité exécutif se tient mercredi à Bruxelles, ndlr) prône le oui, nous, nous disons non à ce " oui " hâtif. Ce n'est pas une " holding " qui nous donnera des ordres. Moi, je dis à nos adhérents : " Vous avez une tête, réfléchissez, je fais confiance à votre sagacité !
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 15 mars 2005)