Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, sur Europe 1 le 31 mars 2005, notamment sur les contrats d'avenir et les droits sociaux au sein du traité constitutionnel européen.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Les non, un, les oui, zéro. Le match commence. Les oui passent aujourd'hui à l'offensive et le même jour, J.-P. Raffarin à Lyon, N. Sarkozy sur France 2, F. Hollande en meeting à Marseille, F. Bayrou près de Lille, et vous, J.-L. Borloo, bonjour, en colloque dès ce matin sur l'Europe sociale. Mais auparavant, dans quelques minutes, les chiffres du chômage vont tomber. Ils seront connus. Le chômage augmente de combien ?
J.-L. Borloo - Ecoutez on continue à avoir comme les Allemands, un chômage en légère augmentation, ce qui était d'ailleurs prévu jusqu'au mois d'avril ou mai. Le plan de cohésion sociale si on l'a accéléré, si on le mène tambour battant c'est qu'on sait de manière parfaitement claire que ce sont les mesures emploi, les 7 mesures emplois de ce plan qui modifieront clairement la donne du chômage. Donc en gros fin juin.
Q - Donc, ce matin, on commence la journée et on commence avec un chômage qui augmente deux fois de suite. Vous, vous dites ça va continuer encore ?
R - Si vous voulez on est complètement dans la logique allemande, enfin l'ensemble des pays de toute façon de la zone avec l'impact du pétrole, et on sait que les sujets français, le mal français du chômage dépend de nos propres mesures par ailleurs et c'est pour ça que j'étais hier à Dijon en Côte d'Or pour signer le 1er contrat.
Q - Mais à partir de quand un redressement si il y en a un, parce qu'on sait que c'est une forme de toison sur le corps social.
R - Deuxième semestre. Je l'ai dit il y a 4 mois, je l'ai dit le 30 juin, l'impact du plan de cohésion social commencera, je dis bien commencera, les tendances lourdes s'inverseront à partir du 30 juin, aux alentours du 30 juin, en tous les cas pour le 2ème semestre 2005.
Q - J.-P. Raffarin avait fait le pari et la promesse de réduire le chômage - comme vous le savez très bien - en 2005, de 10 % pour revenir à 9 %. Ce matin la promesse, vous dites qu'elle sera tenue ?
R - Je pense que sur les délais, c'est un problème de délai. Je crois que ce ne sera probablement pas tenu précisément sur les chiffres annoncés. Je pense en revanche que le 2ème semestre 2005 verra une amélioration très significative.
Q - Mais on n'ira pas jusqu'à la réduction de 10 % ?
R - Probablement pas dans les délais qui ont été annoncés.
Q - Pour le retour éventuel de l'emploi, vous avez trouvé les contrats d'avenir. Vous avez signé les premiers hier à Dijon. L'objectif pour 2005 c'est ?
R - 185 000.
Q - Budgétés déjà ?
R - Oui.
Q - Et vous les trouverez comment ?
R - Vous voulez dire l'argent ou les contrats ?
Q - D'abord les contrats, quels sont les employeurs ? Peut-être qu'il faut rappeler d'abord ce que sont les contrats d'avenir.
R - Vous avez en France 1,7 million de familles qui sont ou au RMI ou à l'ASS. C'est-à-dire qui touchent une allocation puis restent chez elles.
Q - C'est-à-dire les minima sociaux.
R - Les minima sociaux. Ca c'est des ressources humaines de ce pays. On l'a vu hier, ceux qui ont signé. Un ajusteur, il y a 5 ans il a un accident, pendant 3 ans, il ne peut pas travailler. Il revient dans le monde de l'activité, cela fait 3 ans qu'il n'a pas bossé. Il y a plus d'ajusteurs en Bourgogne, il y a plus besoin donc on lui propose contrat de travail financé au Smic 26 heures, mais financé au Smic avec une formation. C'est-à-dire l'employeur a l'obligation de former.
Q - Qui est l'employeur ?
R - Alors l'employeur c'est une association, un service public parapublic qui apporte, qui encadre, qui soutient. En échange de quoi, en échange de cette formation gratuite, en échange de cette rémunération, apporte à la collectivité ses talents.
Q - D'accord et c'est renouvelable ?
R - C'est 2 ans plus une année. Ca peut s'arrêter avant et d'ailleurs l'employeur reçoit une prime de 1500 euros quand la personne retrouve un emploi définitif.
Q - Donc ce sont des emplois aidés ?
R - Oui, aidés.
Q - Non marchands ?
R - Non marchands, aidés. C'est en fait de l'alternance en réalité.
Q - Mais quelle est la dépense par emploi ?
R - Globalement sur le budget de l'Etat, cette année, c'est 400 millions d'euros, c'est 1,2 milliard l'année prochaine. On va l'offrir à tous nos compatriotes qui sont sous les minima sociaux Le million 7, globalement on a prévu d'en financer 1 million avec les entrées et les sorties, en 5 ans. Mais les entrées et les sorties vont permettre à tout le monde. C'est une force formidable dans ce pays.
Q - Mais c'est une gestion sociale du chômage.
R - Non c'est une gestion des ressources humaines. Notre pays se trompe, il y a à gauche ceux qui disent "traitement social", à droite ceux qui disent si c'est pas un emploi du CAC 40, c'est pas un vrai emploi. C'est absurde.
Q - Mais ça fait 1 million d'emplois subventionnés.
R - C'est absurde. La réalité c'est la gestion des ressources humaines de ce pays. Quand on paye à un cadre dans une entreprise, de la formation, on ne dit pas que c'est subventionné. On dit que c'est de l'investissement. Le problème de notre pays, c'est la gestion des ressources humaines. C'est pour cela que je demande, j'exige que tous les partenaires, dans chaque bassin, Assedic, ANPE, régions, départements, villes, missions locales, formations, l'AFPA, se regroupent dans ma même maison pour faire les prévisions de besoins la gestion des ressources humaines.
Q - D'accord. Là, vous allez avoir bientôt une région de gauche qui vous attend, c'est le Nord-Pas-de-Calais. Sinon c'est des départements de votre majorité.
R - Mais attendez il n'y a pas de érémistes de départements ou de régions de gauche ou de droite. Cela rime à quoi ce pays ?
Q - Mais la plupart des départements où vous allez, sont des départements de droite.
R - Mais c'est absolument faux. Je vais dans le Nord-Pas-de-Calais lundi. Est-ce que vous avez suivi un tout petit peu la politique du Nord-Pas-de-Calais ?
Q - Je ne fais que ça.
R - D. Percheron sera content de savoir qu'il est à droite.
Q - Non, j'ai dit que c'était une région de gauche, vous ne m'avez pas entendu. Pour cofinancer ces contrats, vous faites appel aux collectivités locales. Elles n'en peuvent plus et elles n'en veulent pas. Parce qu'en plus pour les régions, il y a 21 présidents de région de gauche qui eux, ont lancé des contrats je ne sais pas comment ils s'appellent, des contrats emploi tremplin pour lesquels ils ont besoin de financement. Est-ce que ce n'est pas concurrent ?
R - Ce n'est pas concurrent, on le fait ensemble. En Bourgogne, les emplois tremplin sont d'ailleurs financés aussi par le département. J.-P. Huchon, en Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais... Attendez ! on ne va quand même pas faire une espèce de concurrence de dispositifs. Tout cela est grotesque. Lorsqu'il y a des emplois tremplin, c'est une bonne chose. Nous on est prêt à les cofinancer, on l'a dit. Il n'y pas de difficulté.
Q - Tous ensemble contre chômage.
R - Mais bien entendu. Attendez il y a des réalités françaises, c'est qu'on est dans une organisation où on est allocataire uniquement, où on est dans le traitement social. Nous voulons faire de la gestion de ressources.
Q - En quoi la politique Borloo de l'emploi est-elle différente de la politique de gauche ? Est-ce que vous aviez supprimé les contrats jeunes des socialistes en arrivant, maintenant vous mettez les contrats d'avenir. Quelle est la différence ?
R - La différence je vais vous dire, c'est que nous formons, c'est obligatoire. Si nos emplois jeunes, on les avait formés pour qu'ils aient un diplôme qualifiant, ils seraient rentrés dans une activité définitive. Nous, d'abord on prend les gens les plus éloignés de l'emploi et pas les bac plus 5 tel que c'était, on prend les plus éloignés de l'emploi, on les accompagne et on les forme. Et on les met à disposition du système économique.
Q - Alors à partir de 9 heures, dans moins d'une demi-heure, et jusqu'à ce soir, vous allez lancer le colloque de votre club. Une sorte de think thank, "le nouveau contrat social". Vont participer à des débats, M. Alliot Marie, X. Bertrand, etc.
R - Beaucoup d'étrangers. Le commissaire européen aux Affaires sociales et permettez-moi de vous dire, 23 des 25 ambassadeurs de la Communauté européenne.
Q - Oui parce que vos avez raison de dire qu'on ignore complètement le social des autres.
R - Mais on a le sentiment que nous, nous avons un système de protection sociale et qu'ailleurs, c'est la jungle en Europe.
Q - Mais ils ont beaucoup à nous apprendre. Le thème de votre colloque, c'est quel contrat social pour l'Europe. Est-ce que ce matin, vous dites, l'Europe c'est plus d'emploi ? Est-ce que vous dites l'Europe sociale passe par le oui ?
R - Alors un, je dis ça évidemment oui. Deuxièmement, permettez-moi de vous dire un truc. Ce traité constitutionnel c'est d'abord quoi ? C'est d'abord la définition des 15 valeurs qui sont uniques dans le monde. C'est-à-dire qu'il n'y a pratiquement aucun pays, ou très peu de pays dans le monde qui pourraient signer ce traité. Egalité homme/femme, laïcité, démocratie représentative, le fait syndical, le fait qu'on ne puisse pas licencier les gens n'importe comment, l'obligation des conventions collectives., la non-discrimination, la lutte contre le racisme... c'est ça les valeurs de l'Europe. L'interdiction de la peine de mort, c'est dans le traité constitutionnel.
Q - Vous avez l'air de m'engueuler.
R - Mais je ne vous engueule pas. Très peu de pays au monde, en fait c'est un bloc de valeurs. La seule nouveauté de ce traité et c'est pour ça qu'il était consensuel, c'est pour ça que les grandes associations laïques, les églises, les syndicats, tous les partis politiques le soutenaient. Parce que c'est essentiellement la définition de valeurs. C'est la première fois qu'on dit que c'est un modèle social européen. C'est une économie sociale de marché.
Q - Les "non" qui disent le contraire sont ces menteurs ?
R - Non, c'est qu'ils l'ont pas vraiment lu probablement.
Q - Non, il y en a quelques-uns qui l'ont lu. En quoi la Constitution de l'Europe va protéger mieux les Français sur le plan des droits sociaux ?
R - Mais parce que pour la première fois - c'est écrit noir sur blanc - pour la première fois, on explique que les sécurités sociales doivent être renforcées. Pour la première fois, on explique qu'on doit améliorer les conditions de travail. Pour la première fois, on dit que l'égalité homme/femme y compris en matière de rémunération... Vous voulez que je vous lise de base ? "Amélioration du mieux de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs". 2, les conditions de travail, 3, la Sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs, 4, la protection des travailleurs en cas de liquidation du contrat de travail.
Q - Non, vous n'allez pas lire le traité.
R - Mais si. Je dis à nos auditeurs, il est tout simple ce traité. Il y a pas plus lisible. Même moi, je le comprends quand je lis.
Q - Cela devrait faire un succès en librairie vous savez.
R - Les phrases sont courtes. Elles disent par exemple, voilà la peine de mort ça n'existe plus en Europe. Combien de pays dans le monde peuvent signer ce traité ? C'est 25 démocraties qui ont, à l'échelle de la planète... Nous ça paraît évident mais dire démocratie représentative, dire laïcité, dire fait syndical, dire égalité homme/femme, dire pas peine de mort. Il y a beaucoup de pays, même les grands pays démocrates d'Amérique du Nord pourraient signer ça ?
Q - J'ai envie de dire "non". J'ai commencé en disant non 1, oui 0. Je dirais là, maintenant, non 1, oui 1. Match nul et le match continue.
R - Regardez cet article 3, il se termine par "lutte contre l'exclusion sociale". Et enfin les systèmes de protection sociale. Alors je demande à nos auditeurs : arrêtez d'écouter les commentateurs des commentaires qui commentent un truc qu'ils n'ont pas lu. Vous prenez le document, vos lisez les 30 premières pages parce que le reste, ce n'est jamais que de la redite des systèmes antérieurs, et puis faites-vous votre opinion vous-même.
Q - Il ne faut pas cibler les commentateurs, il y a les politiques. C'est plutôt ceux là.
R - Mais c'est ça dont je parle. Sinon les autres j'appelle ça des journalistes, et ça c'est une profession.
Q - On vient d'entendre l'aile sociale d'une majorité plutôt libérale. Voilà.
R - Non, une majorité qui s'occupe des ressources humaines de notre pays. Ce n'est pas facile et vous savez dans l'action publique, il y a toujours deux ou trois ans de décalage entre votre action et vos résultats.
(Source : Premier-ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 mars 2005)