Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'avenir de la construction européenne, à Paris le 23 septembre 2005.

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Circonstance : Convention de l'UMP sur l'Europe, à Paris les 23 et 24 septembre 2005

Texte intégral

Chers amis,
Merci d'avoir organisé ce débat et de permettre d'affronter franchement, sans détours, la question de l'avenir de la France dans l'Union. C'est une nécessité après le vote du 29 mai dont nous n'avons pas encore mesuré toutes les conséquences et qui constitue, pour notre vie politique comme pour la place de la France en Europe et dans le monde, un moment de référence, une date après laquelle rien n'est plus tout à fait comme avant.
Qu'entend-on aujourd'hui ? Ou est le plan B dont on nous parlait ? Quelle est l'alternative ? Nous sommes devant une urgence : redonner une dynamique à la construction européenne ; nous devons affronter une exigence : porter une vision claire et politique de l'avenir de l'Union. Il est temps d'arrêter de nous voiler la face, de ne pas nous poser la seule question qui vaille : quelle Europe voulons-nous ? quelles institutions ? quelles politiques intégrées ? A force d'esquiver les questions qui fâchent, c'est l'idée européenne que nous risquons de diluer à moyen terme. Ce projet porté par les " Pères fondateurs ", nous semblons l'abandonner. L'Europe n'est plus qu'un vaste marché sans fondements et sans valeurs communes, un espace qui a perdu sa force et son génie propre à force d'être dilué et de s'élargir sans fin. L'élargissement était certes nécessaire : c'était plus qu'une reconnaissance de l'histoire commune, c'était un devoir moral. Mais nous devions l'accompagner d'une réflexion sur l'enracinement et le projet politique de l'Union.
Pour être crédibles, pour être entendus, il faut accepter l'échec du référendum du 29 mai dernier. Il faut en tirer toutes les conclusions. Il n'y aurait rien de pire que d'avoir des gens qui ont voté OUI, qui continuent à dire OUI avec les mêmes arguments et qui n'ont pas compris les motivations profondes du vote NON. J'ai une conviction sur ce point. Le " non " au référendum ne signifie pas que les Français veulent renoncer à l'Europe. Ils veulent en revanche que l'Europe leur dise ce qu'elle est, ce qu'elle veut et où elle va. Oui, il faut remettre l'Europe sur les rails et il faut y travailler dès à présent. Oui, l'absence de projet politique fort nuit à l'idée européenne et conduit à l'échec.
Pour ma part, parce que je suis issu de la famille démocrate-chrétienne, je crois à une Europe politique intégrée, garante des libertés fondamentales, forte des valeurs démocratiques et humanistes puisées dans l'héritage européen.
Né avec le désir de paix, construit sur les ruines encore fumantes de l'après-guerre, le projet européen est une construction politique profondément originale. Avec 450 millions d'habitants, 25 pays et le développement d'un espace de gouvernement transnational, l'Union européenne n'est ni un Etat-nation, ni un super-Etat. C'est un projet qui n'a aucun équivalent dans l'histoire, un projet radicalement neuf et profondément novateur.
Nous devons dessiner un nouveau projet pour l'Europe du XXIe siècle, un projet qui sache enfin réconcilier les deux pôles de l'éternel dilemme auquel est confrontée, depuis son origine, l'Union européenne, à savoir l'élargissement et l'approfondissement. Nous avons, depuis plus de dix ans, trop privilégié l'élargissement et la construction européenne a trop donné le sentiment d'une fuite en avant. Nous avons, depuis lors, pris conscience de ce déséquilibre et ce fut le projet de constitution. Le NON en France démontre, à mon sens, que cette constitution était orpheline d'un authentique projet européen, d'une vision d'avenir pour l'Europe de demain qui aille plus loin que les réformes envisagées, aussi justifiées soient-elles, pour proposer une conception d'ensemble qui redonne du sens et de la cohérence à la cause européenne que nous défendons.
C'est pourquoi il est essentiel de distinguer approche géopolitique (Croatie, Turquie à laquelle nous demandons la reconnaissance de tous les Etats membres, y compris de Chypre, sachant que c'est le peuple français qui sera souverain, tout élargissement étant dorénavant soumis à référendum) et approche purement politique (construire un projet commun, crédible avec les pays qui souhaitent aller de l'avant). Si réaliser l'Europe est notre devoir historique, je ne crois pas, que cette Europe à 27, et demain à 30 ou à 32 puisse avoir les mêmes objectifs. C'est une question d'échelle, c'est également une question de cohérence politique. Si l'on veut doter l'Europe d'une voix et d'une personnalité politique, il faut dire clairement de quelle Europe on parle, quels pays cela concerne. Avant d'élargir, définissons les conditions nécessaires : la capacité des candidats à adhérer et celle de l'Union à les admettre. Ce sont des principes clairs qui doivent nous rassembler.
Le temps de la fuite en avant n'est plus, cela doit être clair. Mais prenons garde à ne pas verser dans l'autre extrême, celui où nous pourrions décourager des pays amis qui, à l'intérieur de notre continent, aspirent légitimement à un avenir européen. En fermant toute perspective européenne à ces pays, nous leur enlevons l'espoir et nous recréons les germes de l'instabilité et, demain, de la guerre. L'Europe nous a donné un bien précieux, la paix. Ne perdons pas de vue cette leçon de l'histoire.
Je ne choisis pas l'approfondissement contre l'élargissement ou l'inverse. Il faut séparer la dimension politique et la dimension économique. Il y a en effet, d'abord, l'objectif qui vise à créer un vaste espace économique (1er cercle) dominé par la liberté des échanges. Cet espace doit être ouvert à tous les Etats membres et, demain, aux pays candidats qui seront parvenus au terme de leurs négociations d'adhésion.
Ce grand marché devra s'accompagner de politiques communes à la fois modernes et ambitieuses pour affronter la compétition internationale : la recherche, les industries de pointe, l'espace, la formation universitaire seront autant de domaines où nous devrons façonner les composantes d'un modèle dynamique européen. Nous devrons, en ce domaine, faire preuve de flexibilité chaque fois que nécessaire, accepter d'avancer à l'occasion à quelques uns, quitte à ce que d'autres rejoignent le groupe quand ils le veulent ou le peuvent.
Osons dire là que la coopération entre les pays européens est nécessaire et souhaitable, mais qu'elle ne doit pas conduire à la disparition de l'identité politique de l'Union.
Je dis simplement que pour poursuivre l'approfondissement, il faut permettre à une avant-garde d'aller plus loin. Si l'on veut poursuivre l'objectif d'une Europe politique, il faut permettre à cette avant-garde de constituer ce que j'appelle une " fédération des Etats-Nations ". Je pense que la délégation de compétences définies par la loi est un gage d'efficacité. Pour autant, je ne crois pas que les nations soient condamnées à disparaître. Ce n'est ni la force ni la contrainte qui poussera les nations d'Europe, ces nations percluses d'histoire, si attachées à leur passé, à déléguer une partie de leur souveraineté, c'est leur volonté propre et leur désir de construire l'avenir du continent. Ce projet-là doit faire l'objet d'un traité particulier, plus exigeant et plus explicite.
Cette fédération d'Etats-nations doit s'appuyer sur des projets communs et des ambitions partagées : une unité économique et monétaire approfondie par une meilleure coordination des politiques économiques, une défense unifiée, des actions communes dans le domaine de la politique étrangère, la création d'un espace de sécurité pour les citoyens - cette sécurité qui concerne autant la question des flux migratoires que la question du " bouclier sanitaire " face aux pandémies à venir - enfin une politique commune en faveur de la recherche et de l'innovation (bio-nano-info). Dans une économie mondialisée, face à la concurrence de pays qui ont la taille des continents (Inde, Chine), nous ne ferons pas l'économie de cette " nouvelle frontière " dans l'action politique. En avons nous pleinement pris la mesure ? Nous en sommes nous donnés les moyens ? La seule question qui vaille est la suivante : les Européens veulent-ils encore jouer un rôle dans l'Histoire ? Ont-ils un message à apporter au monde, une vision de l'Homme à faire partager ? Cela passe par une Europe plus intégrée, par une Union européenne qui soit un véritable acteur politique et cela passe donc par une révision profonde de notre manière d'avancer depuis plus de 10 ans.
Il faudra donc, chers amis, une " avant-garde ", certains parleront de " noyau dur (Karl LAMERS et Wolfgang SCHAUBLE) ", pour mener ce projet à son terme. De quelle manière ? Avec quelques institutions ? A combien ? Il est trop tôt pour répondre à toutes ces questions mais il me semble évident que cette union plus étroite, ce groupement plus réduit des pays membres, devra partager en commun une même volonté d'intégration dans les champs d'action qui sont au coeur du projet politique européen : une politique économique et monétaire mieux coordonnée, une défense mieux unifiée, des actions communes en politique étrangère, une solidarité renforcée en matière de sécurité et de justice.
Il est indispensable que les Etats qui le veulent progressent ensemble et plus vite, tout en demeurant ouverts aux autres membres, qui les rejoindront plus tard.
Ce projet commun, cette " maison dans la maison ", sera plus intégrée, plus exigeante, plus concentrée. Elle représentera le centre de notre projet européen et donnera ainsi toute sa cohérence à cette architecture qui doit constituer l'Europe de l'avenir.
Soyons lucides : rien dans cette construction rénovée ne se fera dans la facilité ; les épreuves seront nombreuses et les risques d'échec possibles. Mais nous n'avancerons pas sur le chemin de l'unité de l'Europe, nous ne saurons pas répondre aux défis des prochains élargissements et, plus grave encore, nous ne serons pas capables de sortir de nos doutes et d'affronter l'avenir si nous n'avons pas bâti cette vision d'avenir qui organise l'Europe de demain et lui donne du sens.

Conclusion
Pour moi, l'Europe puissance est une évidence, fruit de l'engagement historique des " Pères fondateurs " ; l'Europe politique et démocratique est une nécessité afin de recréer un nouveau lien entre les citoyens et les acteurs politiques, l'Europe sociale est une exigence, inséparable du développement équilibré et harmonieux de nos sociétés. Elle traduit à la fois notre héritage culturel et nos valeurs ; elle est aussi une formidable espérance pour les générations à venir.
Dans le monde meurtri d'aujourd'hui, nous avons besoin de fixer le cap et de redonner de l'espoir au projet européen. C'est à un tel chantier que j'entends me consacrer car je demeure convaincu que, sans une conception claire et exigeante de l'avenir de notre continent, nous ne seront pas au rendez-vous de l'unité européenne qui reste le défi majeur de notre génération. C'est la responsabilité de notre mouvement et c'est aussi la vocation de la France d'être ainsi à la pointe de la construction européenne.


(Source http://www.u-m-p.org, le 27 septembre 2005)