Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec des médias le 3 octobre 2005 à Luxembourg, sur l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et Relations extérieures à Luxembourg le 3 octobre 2005

Média : médias

Texte intégral

Evidemment le début de ces négociations ne veut absolument pas dire qu'il y aura adhésion de la Turquie, ceux qui le disent mentent. Il y a pour la Turquie un effort majeur à faire en termes de démocratie, de Droits de l'Homme, de liberté religieuse, d'égalité entre les hommes et les femmes, de libertés fondamentales, de droit des minorités. Aujourd'hui, oui, il y a un cadre, mais personne ne peut savoir si, dans dix ou quinze ans, la Turquie entrera dans l'Union européenne. Ce que je sais, c'est que, sur le plan géopolitique, je crois que tout le monde pense qu'il vaut mieux une Turquie qui regarde vers l'Union européenne avec des valeurs de démocratie, de Droits de l'Homme et de libertés plutôt qu'une Turquie qui regarde vers les intégrismes, le fondamentalisme islamique, cela me paraît évident. La deuxième chose, c'est qu'il y a deux solutions : soit la Turquie adhère à l'Union européenne à l'issue des négociations actuelles et c'est chaque pays qui décidera in fine ; en France, le président Chirac a décidé que ce serait le peuple français, par referendum, qui dira "oui" ou "non".
Nous nous trouvons donc au début de ces négociations ; on ne sait pas encore si elles aboutiront car chaque pays peut, en permanence, refuser l'adhésion ; en effet, celle-ci ne se ferait que si le peuple français disait "oui".
Q - Quelle différence faites-vous entre l'adhésion turque et l'adhésion croate ?
R - Pour la Croatie, les choses étaient très différentes : le Procureur du Tribunal pénal international, Mme Carla Del Ponte, nous disait, depuis plusieurs mois, que le gouvernement croate ne collaborait pas dans la recherche des criminels de guerre. Depuis quelques heures, Mme Del Ponte nous dit que le gouvernement croate collabore parfaitement avec le Tribunal.
A partir de là, notre position évolue et nous pensons qu'il n'y a aucune raison pour que la Croatie n'ouvre pas ces négociations avec une condition : un calendrier très précis. Chaque mois nous vérifierons s'il y a parfaite collaboration entre le Tribunal pénal international et la Croatie. Qu'on ne se trompe pas, la France ne laissera pas un pays, quel qu'il soit, par exemple des Balkans, commencer ou négocier avec l'Union européenne si on n'est pas sûr qu'il ne joue pas parfaitement le jeu avec le Tribunal pénal international.
Q - Revenons à la Turquie, un jour historique pour l'Europe ?
R - L'Union européenne est aujourd'hui un réel projet économique, c'est vrai, mais c'est aussi et avant tout, pour nos enfants et petits-enfants, un projet de paix et de stabilité. Aujourd'hui, quand on voit le monde aussi dangereux dans lequel nous vivons, quand on voit l'islamisme, les fondamentalismes, les intégrismes, le terrorisme, on ne peut que se féliciter de voir qu'un pays comme la Turquie regarde plutôt vers l'Union européenne que vers d'autres pays qui sont, eux, sous influence, parfois fondamentaliste.
Ce n'est pas seulement pour l'Union européenne que le moment est important, c'est pour le monde entier, pour la paix et la stabilité mondiales. Ensuite il y a deux solutions : soit la Turquie met en oeuvre des réformes par des lois, en corrélation avec les normes et les valeurs de l'Union européenne, auquel cas elle pourra être un jour dans l'Union européenne - c'est une révolution pour ce pays en termes de Droits de l'Homme, de libertés fondamentales, de liberté religieuse, d'égalité homme-femme, de droit des minorités. Si le pays accomplit tout cela, alors en effet c'est une belle histoire pour eux et une belle histoire pour nous.
Q - On a quand même l'impression que c'est un petit "bienvenue" de la part de la France ?
R - C'est exactement le contraire. Lorsque vous croyez en quelque chose, vous vous battez pour cela. Nous, nos convictions ce sont les Droits de l'Homme ; les libertés fondamentales et la démocratie. Plus un pays va vers les libertés, la démocratie et les Droits de l'Homme, plus ce pays mérite évidemment notre aide. S'il ne le fait pas, alors je pense qu'il ne faut pas qu'il entre dans l'Union européenne. Ce n'est pas un a priori, c'est au contraire lorsqu'on a en face de nous quelqu'un à qui on veut du bien, il faut lui dire ce qu'on attend de lui, c'est ce que nous avons dit à la Turquie.
Q - Ce sont donc en quelque sorte les fiançailles de la Turquie avec l'Union européenne, est-ce que vous êtes fier d'être le ministre français de cette union ?
R - Chaque fois que les valeurs de démocratie, les valeurs de liberté, les valeurs qui portent les Droits de l'Homme avancent, la France ne peut être qu'heureuse. Nous demandons à la Turquie des conditions qui sont difficiles, je le sais ; la Turquie est encore loin d'adopter ces lois, ces valeurs européennes ; il y a deux solutions : soit elle les respecte et auquel cas c'est une bonne nouvelle pour tout le monde, soit elle ne les respecte pas et elle ne pourra pas adhérer.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2005)