Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "LCI" le 14 septembre 2005, sur les prévisions du taux de croissance, sur les mesures incitatives à la baisse de la consommation de carburant, sur la réforme fiscale.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Dans Le Figaro d'aujourd'hui, avec J.-F. Copé, le ministre délégué au Budget, vous détaillez la mise en uvre du plan de réforme fiscale, présenté il y a quelques jours par D. de Villepin. Dans quel contexte allez-vous pouvoir faire cette réforme fiscale ? Autrement dit, êtes-vous plus optimiste ou moins optimiste que J.-C. Trichet, qui disait qu'au fond, l'économie mondiale va être affectée durablement par le prix du pétrole ?
R- J.-C. Trichet a raison et, du reste, nous nous sommes réunis, samedi dernier, à Manchester, avec l'ensemble de mes collègues ministres européens des Finances, pour en débattre. Effectivement, nous avons constaté qu'un baril à 60 ou 65 dollars pèse évidemment sur l'économie. On va y revenir par rapport aux mesures que veut prendre le Gouvernement. Donc effectivement, aujourd'hui, on est affecté par le prix du pétrole. Ceci dit, je le redis clairement, aujourd'hui, nous sommes en retournement de conjoncture, c'est-à-dire que le second semestre sera très certainement bien meilleur que le premier, et nous sommes donc relativement optimistes pour le second semestre et pour l'année 2006.
Q- Autrement dit, vous êtes toujours sur la base d'une croissance pour 2005 supérieure à 1,5 % ?
R- Oui, on est clairement dans une fourchette de 1,5 à 2 %. Effectivement, nous avons des indicateurs, de toute nature, qui nous permettent de conforter cette hypothèse. Bien sûr, je le dis très clairement, je me bats de toutes mes forces, pour que l'on soit plus près de 2
que 1,5 %.
Q- Le 26 septembre, en Conseil des ministres, vous allez présenter la loi de finances. Une loi de finances se construit sur une hypothèse de croissance. Quelle sera-t-elle ?
R- Je ne vais pas vous donnez l'hypothèse aujourd'hui, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'elle sera clairement au-dessus de 2 %, car nous avons, encore une fois, tous les indicateurs pour le dire. On va le voir du reste dans la zone euro, il n'y a pas que la France qui voit une année 2006 nettement meilleure que 2005. J'espère que l'on sera plutôt plus près de 2,5 que de 2 %.
Q- Vous allez mettre en place une commission de transparence des recettes fiscales, TVA et TIPP, que l'Etat peut retirer du pétrole et donc de son augmentation. N'avez-vous pas déjà distribué cette cagnotte, avant même de l'avoir évaluée, quand on regarde les mesures pour les agriculteurs, pour les routiers, pour les pêcheurs ? A combien en êtes-vous ? Près d'un milliard ?!
R- Ce que nous avons souhaité, c'est avoir la transparence. C'est vraiment ce que nous voulons réaliser avec cette commission, que j'installerai du reste demain, et qui sera présidée par B. Durieux, une commission qui comportera des députés de la majorité mais aussi des députés de l'opposition. On souhaite donc avoir la transparence la plus totale. Ce que l'on veut dire aux Français, c'est que d'un côté, quand l'essence monte à la pompe, vous avez deux impôts aujourd'hui, assis sur l'essence ou le gazole. Le premier s'appelle sur la TIPP, et celui-ci est assis, non pas sur les prix, mais sur le volume. Quand les prix augmentent, les Français - et c'est une bonne chose, c'est ce que nous voulons - consomment moins. Donc la TIPP diminue. Par contre, la TVA, qui est elle assise sur les prix, augmente. On travaille donc sur le solde. Si le solde est positif, ce que nous avons dit, c'est que nous aurons d'abord la transparence, et que l'on va tout restituer aux Français. Sous quelles formes ? D'abord, effectivement, par rapport aux professions qui sont directement impactées, notamment par le prix du pétrole ; mais aussi, si jamais il y a un reliquat - ce n'est pas impossible qu'il y en
ait -, aux plus défavorisées, peut-être par une augmentation de la PPE par exemple ou autre.
Q- Mais avez-vous déjà fait l'addition des "cadeaux", si je puis dire, entre allègements, prises en charge, entre l'aide à la cuve, l'aide aux agriculteurs, l'aide aux routiers ? A combien arrivez-vous, déjà aujourd'hui, avec ces promesses ?
R- Là, encore une fois, ce que l'on indique, ce sont les mécanismes. Après cela, il faut mesurer, au mois le mois, l'impact de ces mécanismes. On aura la transparence en intégrant ceci, de façon très claire. Alors, on verra, il n'est pas impossible qu'il y aura un reliquat, mais ce n'est pas sûr. En tout cas, il y aura la transparence.
Q- Vous allez réunir les pétroliers, distributeurs et producteurs, pour les inciter à investir davantage et à trouver notamment dans les énergies de substitution. Quels moyens avez-vous d'agir sur des entreprises, qui sont de droit privé ? Vous avez parlé de "taxes". Allez-vous les taxer ?
R- Je veux de nouveau être très clair que je l'ai été la semaine dernière sur ce point. Nous avons une situation, en ce qui concerne le pétrole, qui est une situation durable. Il faut maintenant que les Français le sachent, il faut aussi que les compagnies pétrolières le sachent - elles le savent du reste mieux que les autres. Deuxième point, nous avons une situation exceptionnelle. Cette situation exceptionnelle, c'est qu'alors que tout le monde s'attendrait à voir un baril équilibré à 40 dollars, il est à 65. Cela crée donc un effet de rente, dont il faut parler. En économie libérale, les effets de rente doivent être corrigés, si jamais ils sont durables. C'est ce que j'ai indiqué. Alors, de deux choses l'une : ou bien les entreprises le corrigent par elles-mêmes, ce qu'elles ont par exemple commencé à faire, en en restituant une partie aux consommateurs, mais aussi elles utilisent cette rente...
Q- [inaud.] à la place du brut ?
R- Mais c'est normal. A partir du moment où il y a une baisse, ce que je veux, c'est que cette baisse soit répercutée immédiatement, et je veux en discuter précisément avec elles, et non pas qu'elles gardent cette baisse pour elles au lieu de la restituer aux consommateurs. Deuxièmement, le problème que nous avons, c'est que bien des entreprises n'ont pas assez investi sur le raffinage, ce qui fait que l'on a plus de demande et pas assez d'offre, ce qui crée donc une tension sur les prix, mais également, n'investissent pas assez sur l'après pétrole. Je
veux donc précisément que l'on en parle. C'est parfaitement normal, tout le monde le fait. Et si la France est la première à avoir donné l'exemple, je dois dire que cet exemple va être suivi par un grand nombre de pays européens, car nous en avons parlé la semaine dernière. Ce sera une bonne chose pour l'ensemble des consommateurs, car nous sommes déjà rentrés dans l'après pétrole et je veux que tout le monde s'en préoccupe, y compris les entreprises.
Q- Et si les entreprises ne vous entendaient pas, vous êtes prêt à manier le bâton ?
R- Bien sûr, à partir du moment où ce principe est parfaitement compris et normal. J'espère qu'on n'en arrivera pas là.
Q- La réforme fiscale n'est-elle pas plus politique qu'économique ?
R- Non, je ne peux pas laisser dire cela...
Q- Avec le calendrier, c'est 2007, précisément pour la présidentielle...
R- Je ne peux pas laisser dire cela pour deux raisons. D'abord, cette réforme que nous avons annoncée J.-F. Copé et moi-même, ce matin, dans les colonnes du Figaro, est une réforme très lourde. C'est la première fois que l'on fait une réforme aussi profonde, qui comprend deux éléments : d'abord, effectivement, une simplification très significative des tranches, avec quatre tranches maintenant, un taux marginal à 40 %, qui nous place maintenant dans la bonne moyenne des pays européens, mais également un bouclier fiscal qui fait que, dorénavant, aucun contribuable ne pourra payer plus de 60 % de ses revenus, en ce qui concerne l'ensemble de ses impôts. C'est très lourd à mettre sur pied. Et deuxièmement, cela va être discuté au Parlement, ce qui fait que l'on aura le feu vert final à partir du mois de novembre ou décembre. Pour quelque chose à mettre en place en janvier, c'est mécaniquement impossible. J'ajoute par ailleurs que l'on est très transparent, que cela va coûter à l'Etat en gros 3,5 milliards d'euros. On l'a dit très clairement : on n'a pas les moyens de baisser les impôts en 2006. [inaud.] Pour répondre votre question sur 2007, vous ne pouvez donc pas le faire en 2006, pour une raison technique et pour une raison budgétaire. Par contre, en 2007, on aura l'occasion de le faire, car je rappelle que le budget augmente mécaniquement de 4,8 milliards de l'Etat. Eh bien, une partie très significative, 3,5 de ces 4,8, seront affectés à la baisse de l'impôt afférente à cette nouvelle grille.
Q- Vous dites que ces baisses doivent profiter essentiellement aux classes moyennes...
R- C'est très clair...
Q- C'est "très clair", mais ce sont des classes moyennes ++ ! L'exemple que prend J.-F. Copé : un couple qui gagne 5.000 euros par mois, chacun 2,5 fois le Smic, c'est quand même supérieur aux revenus moyens des Français !
R- C'est la raison pour laquelle nous avons doublé cette réforme d'une augmentation très substantielle de la prime pour l'emploi qui, dorénavant, à partir du mois de mars 2006, va être mensualisée et qui va être pratiquement doublée, ce qui fait que précisément, pour ceux qui sont les plus défavorisés, ils auront un complément mensualisé, qui fait que globalement, tout le monde va être gagnant. En intégrant la prime pour l'emploi, l'ensemble de ces montants, c'est 80 % qui va être redistribué aux premiers et deuxièmes [décis], c'est-à-dire à la plus grande masse de foyers fiscaux.
Q- Le plafonnement de 60 %, qui porte sur l'ensemble des impôts directs, locaux et nationaux, ne viole-t-il pas un principe constitutionnel, qui est l'autonomie des collectivités territoriales dans la définition de l'impôt ?
R- La réponse est non, pour une raison simple : c'est que cela concerne 126.000 foyers fiscaux.
Q- Vous ne risquez-vous pas d'avoir des ennuis du côté du Conseil constitutionnel ?
R- Non. Et je voulais vous expliquer, parce qu'on a bien regardé le budget : 126.000 fiscaux par rapport à 35 millions de personnes qui paient l'impôt, notamment les impôts locaux. C'est donc extrêmement marginal. Il s'agira de quelques millions d'euros qui pourront être restitués aux contribuables, par rapport à des milliards. Cela ne touche donc absolument pas ce principe.
Q- Dernière question à l'ancien chef d'entreprise : Hewlett-Packard licencie, alors que l'entreprise est bénéficiaire. Hier, sur notre antenne, J.-F. Copé disait qu'il était troublé, mais qu'il y avait des explications. Etes-vous plus que "troublé" ? Dites-vous que c'est choquant ?
R- D'abord, Hewlett-Packard ne va pas licencier : Hewlett-Packard supprime des postes. C'est important, parce que précisément, derrière, il y a des négociations au cas par cas, et c'est la raison pour laquelle, du reste, G. Larcher va recevoir, dans les jours qui viennent, le président de Hewlett-Packard, pour voir effectivement la réalité de ce plan social et de la conversion. Ce qui est important, c'est de se préoccuper de chacun et précisément de les remettre en situation d'emploi. C'est fondamental et l'Etat est très vigilant sur ce point.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 septembre 2005)