Lettre de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à M. Peter Mandelson, Commissaire européen au commerce, sur la défense du modèle agricole européen dans le cadre des négociations du volet agricole de l'OMC, Paris le 24 octobre 2005.

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Texte intégral

Monsieur le Commissaire
Au nom de l'Europe, vous négociez actuellement l'une des plus importantes facettes du commerce international : le volet agricole de l'OMC. Inscrit dans le cycle de Doha, c'est l'un des fondamentaux de cette discussion globale et depuis votre prise de fonction, les agriculteurs français n'ont eu de cesse de vous rappeler le cadre de votre mission et ses limites. Ceci, non pour se substituer à une quelconque instance de jugement ou d'arbitrage, mais parce qu'il en va de la survie de millions de producteurs européens, de pans entiers de notre secteur agro-alimentaire et de la sécurité alimentaire de nos concitoyens.
Je pourrais entrer dans des considérations techniques sur ces négociations mais vous y répondriez par d'autres arguments et nous alimenterions alors, ensemble, l'incompréhension de tous, face à ce qui se trame et qui est lourd de conséquences.
Monsieur le Commissaire, vous êtes un libéral. Votre vision des choses est partagée par un grand nombre de responsables politiques européens. Mais loin des idéologies, il y a des réalités qui appellent au pragmatisme et au courage. Les Etats-Unis, eux, l'ont bien compris. Super puissance mondiale, ils jouent avec l'Europe en promettant quelques vagues concessions agricoles tout en gardant l'essentiel : l'arme verte, une agriculture puissante et agressive sur les marchés grâce notamment à un " farm bill " rempli d'aides, qui fait pâlir les bénéficiaires de la PAC. Que font-ils, par ailleurs, pour les Pays en voie de développement et les Pays les moins avancés : rien ! ils ne font que leur montrer l'Europe d'un doigt accusateur alors que nous n'avons cessé de faire des efforts depuis les accords de Cotonou en 1992 et que nous avons largement ouvert nos frontières.
Vous négociez donc en baissant la garde à chaque instant pour arriver à un accord à tout prix, comme si l'inscription de votre nom dans les manuels d'histoire et l'évocation de votre nom dans les écoles de commerce valaient de sacrifier l'économie agricole, l'économie du futur.
En France, 15 % des emplois sont concernés. Au moment où l'on délocalise à tout va et où la grippe aviaire pointe son nez, faut-il renoncer à un modèle alimentaire qualitatif et sécurisé qui a fait ses preuves ? Nous aurait-on menti à ce point lorsque on nous avait indiqué qu'il fallait aller plus loin que la réforme de Luxembourg, imposée et présentée, à l'époque, comme la panacée à ces négociations ?
Dites-nous la vérité parce que loin des ballets incessants de grosses cylindrées amenant son cortège de négociateurs importants, se jouent, dans les fermes, l'achat de nouveaux équipements pour la pérennité et le développement des exploitations.
Le modèle agricole européen dominant n'est pas le modèle britannique. Nous avons des exploitations moyennes, faut-il le rappeler. N'oublions pas non plus le terroir est notre valeur ajoutée et notre participation à l'aménagement des territoires est majeure.
Le Gouvernement français est mobilisé, grand bien nous fasse ; il sait l'apport de l'agriculture dans la vie du pays. Dans le même esprit, nos collègues syndicalistes européens partagent avec nous, espoirs en une Europe meilleure et inquiétude face à votre obstination. Nous ne vous laisserons pas faire, non pas parce qu'il s'agirait d'un caprice corporatiste mais parce qu'il en va de notre avenir, avenir partagé par des 450 millions de consommateurs européens.
Ne regardez pas vos cousins américains avec les yeux de Chimène, négociez pour votre famille proche, l'Europe.
(Source http://www.fnsea.fr, le 25 octobre 2005)