Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Les Echos" du 10 février 2000, sur les relations entre l'Union européenne et l'Autriche depuis l'arrivée de l'extrême-droite au gouvernement.

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Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

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Le président de l'UDF, François Bayrou, dénonce la subordination du droit à la réalité ethnique dans les statuts du FPÖ autrichien.
Est-ce une Europe politique qui se dessine à travers la réaction des Quatorze à l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en Autriche ?
L'affaire autrichienne marque un tournant dans la vie de l'Europe. Pour la première fois, un événement de politique intérieure dans un des pays de l'Union est ressenti comme concernant l'ensemble de l'Union européenne. Pour la première fois, des mots ou des thèses jusqu'alors considérés comme appartenant au passé noir de l'Europe sont de nouveau évoqués et conduisent au pouvoir. Pour la première fois, enfin, il y a eu une réaction commune de gouvernements et d'Etats de couleurs politiques différentes autour de la défense du bloc des valeurs européennes.
Craignez-vous que l'Autriche se venge de sa mise en quarantaine en utilisant son veto pour bloquer des décisions européennes ?
Ma conviction est qu'elle ne peut pas le faire. Quand on est mis en cause sur des questions fondamentales, on n'a pas la possibilité de déclencher un bras de fer. Si l'Autriche utilisait son veto de manière systématique, elle ouvrirait une crise majeure dont elle ne sortirait pas indemne. Je ne retiens pas cette hypothèse.
Face aux menaces de blocage proférées par Jörg Haider, n'est-il pas urgent de supprimer la règle de l'unanimité dans les conseils européens ?
Ce qui est urgent, c'est de donner un fondement à l'Europe politique. Pour moi, la première nécessité serait d'adopter une Constitution européenne. Les citoyens auraient ainsi entre les mains une règle du jeu pour s'investir dans la vie de l'Europe. La seconde nécessité serait une charte des droits et des valeurs pour avoir des instruments qui donnent une assise au bloc de valeurs fondamentales sur lequel s'est formée l'Union. Quant à la question du vote à la majorité, je suis plutôt optimiste sur ce que fera la CIG (Conférence intergouvernementale chargée de la réforme institutionnelle de l'Europe, qui se réunit à la mi-février NDLR).
Faut-il exclure les députés autrichiens de l'ÖVP du PPE, parti qui regroupe les députés conservateurs européens au Parlement de Strasbourg ?
Deux thèses s'expriment au sein du PPE. Ceux qui sont pour l'attitude la plus ferme et qui demandent condamnation et sanctions. J'ai moi-même proposé la suspension des députés autrichiens du PPE, avec l'appui des mouvements espagnols, belges et grecs. Mais il y aussi un groupe important autour des Allemands et des Scandinaves, qui refuse toute sanction. Nous défendrons jusqu'au bout l'idée d'une clarification.
Comment l'Union européenne peut-elle mettre l'Autriche sous haute surveillance ? S'agit-il même de surveiller sa politique intérieure ?
La surveillance s'appliquera à tous les actes politiques de l'Autriche. Que reprochons-nous au parti de Haider ? Principalement deux choses. Dans les statuts du FPÖ, il y a une subordination du droit à la réalité ethnique. Ses statuts présupposent que la majorité " prééminente " des Autrichiens " fait partie du groupe national allemand ". La patrie y est définie localement, ethniquement et culturellement. Ils distinguent aussi les " ethnies résidentes " des autres. Cette conception ethniciste n'est pas acceptable pour des démocrates. En outre, il y a constamment de la part de Haider des dérapages contrôlés qui n'ont pas d'autres but que de banaliser l'évocation du drame historique du IIIème Reich, donc de décomplexer ceux qui en ont la nostalgie malsaine. Ces deux éléments constituent une menace pour les valeurs fondatrices de l'Europe.
Pensez-vous que l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en Autriche va servir la cause des droites nationalistes en Europe ?
En tout cas, banaliser ce type de parti, c'est faire courir un risque de déstabilisation à nos démocraties. Car, chaque fois qu'une subversion aussi grave s'exerce, les démocrates sont toujours tentés de trouver le subversif plus ou moins sympathique. Or, s'il n'était pas sympathique, il ne serait pas dangereux... C'est contre cette sympathie malsaine qu'il faut se battre, contre le charme vénéneux. Le fait que de " braves gens " s'y laissent prendre doit nous rendre encore plus fermes, inébranlables.
Propos recueillis par M.Royo
(Source http://www.udf.org, le 10 février 2000)