Texte intégral
Pour la secrétaire générale de la Confédération française et démo-cratique du travail (CFDT), les Fran-çais ne peuvent en aucun cas être rassurés sur l'avenir de leur retraite au lendemain des annonces faites, mardi, par Lionel Jospin. Jugeant " impru-dente " l'hypothèse de plein-emploi en 2010 retenue par le gouvernement, Nicole Notat regrette " l'absence de réforme globale " et de calendrier. " Nous avons deux ans devant nous avant que des décisions soient prises ", estime-t-elle. " Sceptique sur la capa-cité de l'Etat à se moderniser, Nicole Notat ne voit " pas de quoi se réjouir " dans le retrait de la réforme " perti-nente " du ministère des Finances.
Pour le Premier ministre, les Fran-çais peuvent être " rassurés sur l'avenir de leur retraite ". Est-ce aussi votre sentiment?
Non, ils ne peuvent en aucun cas être rassurés. A l'évidence, des éléments d'évolution ont été esquissés, mais la réforme n'est pas engagée. Je ne vois dans les annonces du Premier ministre aucune décision qui permettrait d'envi-sager l'avenir des retraites sous un jour meilleur à l'horizon 2020. L'alimenta-tion du fonds de réserve est aléatoire. Dans le privé, le niveau relatif des retraites va continuer de se dégrader. Dans ces conditions, il est difficile de dire aux salariés, et particulièrement à ceux du secteur privé: Soyez rassu-rés.
Et aux fonctionnaires?
Le Premier ministre a clairement plaidé pour un allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires. Il a aussi clairement dit que I'Etat ne pourrait pas faire face, à terme, aux besoins de financement de leurs pensions. Mais la réforme de la retraite des fonction-naires ne peut pas se réduire à la seule question de la durée de cotisation. Lionel Jospin a évacué, un peu rapide-ment à mon avis, l'hypothèse d'une hausse de la cotisation. En outre, les salariés de la fonction publique peuvent légitimement demander quel effort l'Etat est prêt à faire s'ils s'engagent eux-mêmes dans une réforme. Je les crois prêts à la réforme: depuis 1995, les esprits ont mûri et Lionel Jospin, contrairement à Alain Juppé, s'est en-gagé dans une large concertation.
Qu'est-ce qui l'emporte chez vous : la satisfaction devoir les partenaires sociaux associés à la réforme ou l'inquiétude devant l'absence de ca-lendrier ?
La CFDT regrette l'absence de réforme globale. Alors qu'il aurait fallu dessiner un vrai pacte social sur les retraites entre l'Etat et tous les Français, le Premier ministre ne l'a proposé qu'avec ses agents. Il a choisi une réforme éclatée régime par régime, au risque de l'incohérence. Cela ne facilite pas la compréhension des choix qui s'impo-sent. En outre, nous aurions voulu une réforme progressive, avec des rendez-vous. Au lieu de cela, il n'y a aucun calendrier. Cela nous fait douter, par avance, des résultats.
La réforme des retraites est-elle, selon vous, enterrée?
Concernant les fonctionnaires, la mé-thode retenue laisse, en tout cas, du temps su temps. A l'évidence, on peut penser que nous avons deux ans devant nous avant que des décisions soient prises. Je note que les réactions des différentes organisations syndicales sont sans surprise et laissent peu d'es-poir sur les chances d'un accord éven-tuel. Avant de formuler ses proposi-tions, le Premier ministre n'ignorait rien des positions des uns et des autres. Je crains qu'il ne cherche un consensus introuvable. Et nous avons d'autant plus de raison d'être sceptiques que, sur la réduction du temps de travail, le gouvernement n'a pas vraiment déployé des trésors d'ingéniosité pour trouver un accord.
Le gouvernement retient l'hypo-thèse très optimiste d'un plein-em-ploi an 2010. Jugez-vous cela réa-liste?
C'est imprudent. Le plein-emploi est naturellement souhaitable, mais ce n'est pas un résultat garanti. Il aurait été sage, notamment, d'asseoir les pré-visions de recettes du fonds de réserve sur des ressources plus sûres. Je re-grette que le gouvernement n'ait pas affecté une partie des actifs de l'Etat à ce fonds.
Quel enseignement tirez-vous de l'épilogue du conflit aux Finances ?
L'idée d'un interlocuteur fiscal unique, le besoin d'un schéma directeur infor-matique, la diminution du coût de collecte de l'impôt, tout cela reste nécessaire à nos yeux. Je ne voudrais pas que l'on tire de ce conflit l'idée que tous les agents des Finances et tous les syndicats sont opposés à la modernisa-tion de leurs administrations. C'est faux, en tout cas pour ce qui concerne la CFDT. Il faut arriver à sortir de l'idée que l'intérêt général et les inté-rêts des agents sont inconciliables. Si-non, c'est le service public lui-même qui sera en danger. La fédération CFDT n'a pas souhaité le retrait du projet, mais une discussion sur une autre base. Il n'y a pas de quoi se réjouir qu'une réforme pertinente avorte.
L'Etat est-il irréformable?
A l'évidence, les expériences dont nous venons de parler ne sont pas concluantes... Mais je ne peux pas croire qu'il y ait là une fatalité. Sans doute, la manière de négocier doit-elle être pensée avec d'autant d'attention que la réforme elle-même.
Les baisses d'impôts de la semaine dernière répondent-elles, à vos yeux, à l'objectif de redistribution sociale?
Quand un gouvernement a des marges de manuvre, les ménages apprécient toute redistribution de pouvoir d'achat. Pour autant, cela ne corrige en rien les défauts et les incohérences de notre système fiscal. Et la baisse de 1 point de TVA risque fort de passer inaperçue si elle n'est pas répercutée sur les prix. A tout prendre, l'équivalent de ce point de TVA aurait pu été affecté au fonds de réserve pour les retraites.
Souhaitez-vous participer à la ges-tion de ce fonds de réserve?
A la condition que cous ne soyons pas qu un élément de décor, mais que nous y ayons un véritable rôle.
Le Medef veut remettre à plat le dispositif d'assurance-chômage. Quelle est votre position ?
Si nous avions à construire aujourd'hui un régime d'assurance-chômage, nous le ferions à partir des besoins existants. Il faut adapter l'Unedic aux réalités du marché du travail d'aujourd'hui. En particulier il faut améliorer l'indemni-sation des jeunes qui subissent des contrats à courte durée. L'idée d'une assurance-chômage plus performante, plus ambitieuse, menant des politiques plus actives n'effarouche pas la CFDT si cela se fait par l'incitation et non par la sanction. Nous souhaitons une véri-table offre personnalisée de formation, d'aide au retour à l'emploi. Nous vou-lons franchir un pas supplémentaire lors de cette négociation en proposant pour les chômeurs longue durée, les RMIstes et les bénéficiaires de l'alloca-tion de solidarité, de créer des offres de travail leur permettant de percevoir un revenu d'activité en complément de leur revenu de solidarité versé par l'assurance-chômage ou l'Etat.
Le Medef refuse de proroger I'Arpe (préretraite contre embauche) : est-ce un casus belli ?
Nous refusons de supprimer le principe qui a prévalu à la création de l'Arpe : permettre aux salariés de partir en retraite lorsqu'ils ont cotisé quarante ans. Cela dit, inscrire cette question dans le cadre de la négociation sur les retraites complémentaires, comme le veut le Medef, est cohérent avec la proposition du Premier ministre d'insti-tuer des départs en retraite à la carte. J'espère que le régime général, lui aussi, sera en capacité de trouver aussi une solution pour ces salariés ayant commencé à travailler jeunes.
PROPOS RECUEILLIS PAR LEILA DE COMARMOND, JEAN-FRANCIS PÉCRESSE
ET DOMINIQUE SEUX.
(Source http://www,cfdt,fr, le 25 mars 2000)
Pour le Premier ministre, les Fran-çais peuvent être " rassurés sur l'avenir de leur retraite ". Est-ce aussi votre sentiment?
Non, ils ne peuvent en aucun cas être rassurés. A l'évidence, des éléments d'évolution ont été esquissés, mais la réforme n'est pas engagée. Je ne vois dans les annonces du Premier ministre aucune décision qui permettrait d'envi-sager l'avenir des retraites sous un jour meilleur à l'horizon 2020. L'alimenta-tion du fonds de réserve est aléatoire. Dans le privé, le niveau relatif des retraites va continuer de se dégrader. Dans ces conditions, il est difficile de dire aux salariés, et particulièrement à ceux du secteur privé: Soyez rassu-rés.
Et aux fonctionnaires?
Le Premier ministre a clairement plaidé pour un allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires. Il a aussi clairement dit que I'Etat ne pourrait pas faire face, à terme, aux besoins de financement de leurs pensions. Mais la réforme de la retraite des fonction-naires ne peut pas se réduire à la seule question de la durée de cotisation. Lionel Jospin a évacué, un peu rapide-ment à mon avis, l'hypothèse d'une hausse de la cotisation. En outre, les salariés de la fonction publique peuvent légitimement demander quel effort l'Etat est prêt à faire s'ils s'engagent eux-mêmes dans une réforme. Je les crois prêts à la réforme: depuis 1995, les esprits ont mûri et Lionel Jospin, contrairement à Alain Juppé, s'est en-gagé dans une large concertation.
Qu'est-ce qui l'emporte chez vous : la satisfaction devoir les partenaires sociaux associés à la réforme ou l'inquiétude devant l'absence de ca-lendrier ?
La CFDT regrette l'absence de réforme globale. Alors qu'il aurait fallu dessiner un vrai pacte social sur les retraites entre l'Etat et tous les Français, le Premier ministre ne l'a proposé qu'avec ses agents. Il a choisi une réforme éclatée régime par régime, au risque de l'incohérence. Cela ne facilite pas la compréhension des choix qui s'impo-sent. En outre, nous aurions voulu une réforme progressive, avec des rendez-vous. Au lieu de cela, il n'y a aucun calendrier. Cela nous fait douter, par avance, des résultats.
La réforme des retraites est-elle, selon vous, enterrée?
Concernant les fonctionnaires, la mé-thode retenue laisse, en tout cas, du temps su temps. A l'évidence, on peut penser que nous avons deux ans devant nous avant que des décisions soient prises. Je note que les réactions des différentes organisations syndicales sont sans surprise et laissent peu d'es-poir sur les chances d'un accord éven-tuel. Avant de formuler ses proposi-tions, le Premier ministre n'ignorait rien des positions des uns et des autres. Je crains qu'il ne cherche un consensus introuvable. Et nous avons d'autant plus de raison d'être sceptiques que, sur la réduction du temps de travail, le gouvernement n'a pas vraiment déployé des trésors d'ingéniosité pour trouver un accord.
Le gouvernement retient l'hypo-thèse très optimiste d'un plein-em-ploi an 2010. Jugez-vous cela réa-liste?
C'est imprudent. Le plein-emploi est naturellement souhaitable, mais ce n'est pas un résultat garanti. Il aurait été sage, notamment, d'asseoir les pré-visions de recettes du fonds de réserve sur des ressources plus sûres. Je re-grette que le gouvernement n'ait pas affecté une partie des actifs de l'Etat à ce fonds.
Quel enseignement tirez-vous de l'épilogue du conflit aux Finances ?
L'idée d'un interlocuteur fiscal unique, le besoin d'un schéma directeur infor-matique, la diminution du coût de collecte de l'impôt, tout cela reste nécessaire à nos yeux. Je ne voudrais pas que l'on tire de ce conflit l'idée que tous les agents des Finances et tous les syndicats sont opposés à la modernisa-tion de leurs administrations. C'est faux, en tout cas pour ce qui concerne la CFDT. Il faut arriver à sortir de l'idée que l'intérêt général et les inté-rêts des agents sont inconciliables. Si-non, c'est le service public lui-même qui sera en danger. La fédération CFDT n'a pas souhaité le retrait du projet, mais une discussion sur une autre base. Il n'y a pas de quoi se réjouir qu'une réforme pertinente avorte.
L'Etat est-il irréformable?
A l'évidence, les expériences dont nous venons de parler ne sont pas concluantes... Mais je ne peux pas croire qu'il y ait là une fatalité. Sans doute, la manière de négocier doit-elle être pensée avec d'autant d'attention que la réforme elle-même.
Les baisses d'impôts de la semaine dernière répondent-elles, à vos yeux, à l'objectif de redistribution sociale?
Quand un gouvernement a des marges de manuvre, les ménages apprécient toute redistribution de pouvoir d'achat. Pour autant, cela ne corrige en rien les défauts et les incohérences de notre système fiscal. Et la baisse de 1 point de TVA risque fort de passer inaperçue si elle n'est pas répercutée sur les prix. A tout prendre, l'équivalent de ce point de TVA aurait pu été affecté au fonds de réserve pour les retraites.
Souhaitez-vous participer à la ges-tion de ce fonds de réserve?
A la condition que cous ne soyons pas qu un élément de décor, mais que nous y ayons un véritable rôle.
Le Medef veut remettre à plat le dispositif d'assurance-chômage. Quelle est votre position ?
Si nous avions à construire aujourd'hui un régime d'assurance-chômage, nous le ferions à partir des besoins existants. Il faut adapter l'Unedic aux réalités du marché du travail d'aujourd'hui. En particulier il faut améliorer l'indemni-sation des jeunes qui subissent des contrats à courte durée. L'idée d'une assurance-chômage plus performante, plus ambitieuse, menant des politiques plus actives n'effarouche pas la CFDT si cela se fait par l'incitation et non par la sanction. Nous souhaitons une véri-table offre personnalisée de formation, d'aide au retour à l'emploi. Nous vou-lons franchir un pas supplémentaire lors de cette négociation en proposant pour les chômeurs longue durée, les RMIstes et les bénéficiaires de l'alloca-tion de solidarité, de créer des offres de travail leur permettant de percevoir un revenu d'activité en complément de leur revenu de solidarité versé par l'assurance-chômage ou l'Etat.
Le Medef refuse de proroger I'Arpe (préretraite contre embauche) : est-ce un casus belli ?
Nous refusons de supprimer le principe qui a prévalu à la création de l'Arpe : permettre aux salariés de partir en retraite lorsqu'ils ont cotisé quarante ans. Cela dit, inscrire cette question dans le cadre de la négociation sur les retraites complémentaires, comme le veut le Medef, est cohérent avec la proposition du Premier ministre d'insti-tuer des départs en retraite à la carte. J'espère que le régime général, lui aussi, sera en capacité de trouver aussi une solution pour ces salariés ayant commencé à travailler jeunes.
PROPOS RECUEILLIS PAR LEILA DE COMARMOND, JEAN-FRANCIS PÉCRESSE
ET DOMINIQUE SEUX.
(Source http://www,cfdt,fr, le 25 mars 2000)