Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à TF1 le 1er septembre 2005, sur la mise en oeuvre d'une politique de "croissance sociale", le pouvoir d'achat des classes moyennes, la modernisation du "modèle social français" et la complémentarité entre l'action gouvernementale et les propositions de l'UMP.

Prononcé le 1er septembre 2005

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

PATRICK POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Premier ministre, on a vu tout à l'heure une France qui souffre et il y en a d'autres. Est-ce que vous pouvez comprendre ces réactions de découragement qui gagnent les Français depuis quelques années et qui disent parfois : la France qui perd, la France en déclin ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Patrick POIVRE d'ARVOR c'est la tentation, je la comprends parfaitement, la tentation du découragement, le sentiment que rien ne change, qu'il y a dans notre pays trop de blocages et trop d'inégalités. Et c'est bien face à cela que je veux réagir, que le gouvernement veut réagir. Le président de la République a fixé un cap clair à notre pays : c'est la priorité à l'emploi. Et vous le savez, toutes les énergies de ce gouvernement sont tendues vers ce résultat. Nous avons pour le quatrième mois consécutif, des résultats qui marquent une amélioration sur ce fond de l'emploi, sur les deux derniers mois, ce sont 60.000 demandeurs d'emploi en moins. Ce que nous voulons, c'est conforter ce mouvement au service des Français. Je comprends parfaitement cette angoisse. Mais à cela, il y a deux réponses. La première c'est l'action, agir, ne pas se résigner et la deuxième c'est se rassembler. Les Français sont las des divisions, las des querelles, las des éternelles mêmes, critiques. Il faut déplacer les lignes, il faut se soucier du résultat. Nous avons vingt mois pour offrir aux Français des vrais résultats qui vont conforter notre démocratie, à la veille des grandes élections. Pour cela j'ai fait trois choix. Le choix de l'activité : oui, il faut dans notre pays que le travaille paie. J'ai fait le choix du pouvoir d'achat : je veux encourager le pouvoir d'achat et c'est pour cela que nous voulons apporter des réponses immédiates sur la cuve de fioul. Nous voulons augmenter la prime pour l'emploi, pour la rendre véritablement incitative. Nous allons passer pour un employé au Smic, d'un complément de rémunération de 500 euros à 700 euros en 2006 et 800 euros en 2007. Donc, ce sont des progrès. Et bien sûr le choix de l'investissement, le choix de l'investissement public. Nous voulons donner l'exemple, mettre toutes nos forces pour renforcer la dynamique de croissance.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors déclinons un peu et assez rapidement, si possible. Vous avez inventé pour cela un concept qui est le concept de croissance sociale. Mais c'est un concept qui va sonner creux s'il n'y a pas de croissance tout court.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais il y a d'abord de la croissance...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - De moins en moins...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous serons dans une croissance entre 1,5 et 2 %. Ce que nous voulons, c'est que cette croissance crée le plus possible d'emploi et que nous la fortifiions. Pour la fortifier, il faut se mettre tous ensemble et créer des conditions favorables à cette croissance. Quand nous relançons l'investissement public, quand nous mettons 10 milliards pour relancer les travaux d'infrastructures à la fois ferroviaires et routières, nous dynamisons cette croissance. Quand nous décidons d'y ajouter 5 milliards en stimulant l'investissement privé, à travers des partenariats publics, privés, c'est aussi l'occasion de redynamiser le travail et l'énergie collective, dans ce pays. Donc, n'attendons pas que la croissance vienne toute seule ; nous le savons, il faut se retrousser les manches et c'est bien pour cela que c'est un grand chantier pour l'ensemble de notre pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors, travailler doit payer dites-vous et doit être payé, surtout. Vous savez qu'un certain nombre de gens font le calcul depuis un certain temps et entre le Smic et le RMI, finalement, ils ne trouvent pas beaucoup d'incitation à venir travailler.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Alors c'est bien pour cela que nous avons voulu augmenter sensiblement la prime pour l'emploi, parce que tout doit être mis dans l'activité, encourager le retour à l'activité et c'est pour cela que nous voulons que les bénéficiaires de minima sociaux aient une vraie raison de se remettre à travailler ; une véritable incitation. Et là, c'est un changement très profond de philosophie sociale. Nous choisissons l'accompagnement personnalisé. Nous avons choisi l'accompagnement personnalisé pour ceux qui étaient en difficulté sur le marché de l'emploi. Tous ceux qui sont bénéficiaires de minima sociaux. C'est la philosophie même qui a présidé à la mise en place du RMI et à d'autres allocations. Nous voulons les inciter à retrouver un emploi. Ils seront reçus dans les prochains mois par l'ANPE et nous voulons apporter des réponses très concrètes, par exemple pour un bénéficiaire de l'allocation " parent isolé ", lui permettre d'avoir une place en crèche pour ses enfants, pour reprendre un emploi. Donc, véritablement, il faut faire la différence entre les revenus de l'assistance et les revenus de l'activité ; le travail doit payer et nous devons bien évidemment, l'Etat, faire notre part, accompagner et à chacun de prendre ses responsabilité ; à chacun aussi de remplir ses devoirs, c'est-à-dire de ne pas profiter de ses situations mais bien au contraire, de se remettre à rechercher un emploi.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Sur le pouvoir d'achat maintenant, on a l'impression que vous essayez de favoriser les classes moyennes qui étaient en effet en train de se paupériser, mais que vous ne vous occupez pas beaucoup des classes plus populaires très défavorisées.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Tout l'effort que nous faisons pour les minima sociaux, tout l'effort que nous faisons en faveur du logement social, sans oublier le logement tout court qui intéresse nombre de nos compatriotes, car il n'y a pas que ceux qui sont en plus grande difficulté qui ont du mal à se loger dans notre pays. Donc ayons le souci de rassembler nos compatriotes, n'opposons pas une catégorie à une autre. C'est bien une réponse pour chacun qu'il faut apporter. Qu'on privilégie aujourd'hui ceux qui ont véritablement eu le plus de difficulté au cours des dernières décennies, c'est-à-dire ceux qui sont les bénéficiaires de revenus moyens, ceux qu'on appelle souvent les classes moyennes - qui constituent, rappelons-le, l'immense majorité de la population française. Si on veut avoir un pays qui marche sur deux jambes, dynamisme économique, eh bien il faut récompenser le travail. Il faut donc avoir un véritable dynamisme économique avec une vision. Le président de la République a présenté sa politique de l'innovation, la politique des pôles de compétitivité, la volonté de la France qui dispose d'atouts considérables, de se lancer dans cette grande bataille. Eh bien il faut parallèlement se mobiliser sur le front de la solidarité, parce que je veux une France où nous ne laissons personne sur le bord du chemin. Donc, le souci c'est bien ces deux piliers : justice sociale et dynamisme. C'est comme cela que nous créerons les conditions d'un vrai retour à la cohésion sociale dans notre pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous parliez de fioul tout à l'heure, sur les autoroutes, finalement, c'est abandonné, l'idée de cette réduction...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Patrick POIVRE D'ARVOR, le gouvernement ne doit rien exclure a priori. J'étudie toutes les pistes, mais je veux faire confiance aux Français. Et je veux que les Français ne paient pas pour l'augmentation du prix du pétrole. Mais en même temps, je veux que les choix qui sont ceux de l'avenir, parce que nous sommes rentrés dans " l'après pétrole ", soient des choix vertueux. Inciter nos compatriotes à l'économie d'énergie, et c'est pour cela que nous allons recommander, à travers une grande campagne de signalisation verte, de baisser la vitesse sur les routes et les autoroutes, baisser de 10 km/heure, c'est une économie de 14 %, donc c'est tout à fait...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Recommandation mais pas obligation...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Absolument ! Nous sommes dans un pacte de confiance avec les Français. Je comprends leurs difficultés, je veux tout faire pour maximiser les chances de notre pays. C'est bien le pacte qui existe entre les Français et le gouvernement.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Est-ce que, un jour, on va en finir avec cette philosophie politique qui a cours depuis si longtemps dans ce pays, qui considère alors ce pays comme fragile et qu'il ne faut surtout pas le toucher ou il faut faire des petites réformes, des petites bandelettes ? Est-ce que vous pensez qu'un jour, la France est prête à ça ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je crois qu'il faut prendre en compte les deux exigences. C'est vrai, notre pays a des fragilités et il faut les regarder en face, il faut les assumer. Et ce gouvernement entend apporter des réponses aux plus défavorisés, à ceux qui souffrent. C'est une exigence absolue de ce gouvernement. Pour cela, croissance sociale. Mais ce pays a aussi une formidable ambition et il faut que nous avancions en permanence avec, au cur, cette exigence de solidarité, et les exigences aussi d'une ambition française, d'un pays qui doit se situer véritablement aux avant-postes, qui doit marquer des points dans la compétition internationale et qui doit se moderniser. Nous avons un modèle social français auquel nous sommes attachés, nous voulons le garder ? Alors modernisons-le, nous avons franchi, aujourd'hui, une grande étape, et j'appelle tous les Français à se rassembler pour agir et pour avancer. Et croyez bien que je ne sors pas du rôle qui est le mien. Je suis chef d'un gouvernement rassemblé, j'agis dans les vingt mois qui sont ceux de l'action gouvernementale et j'entends bien, le jour où je quitterai Matignon, avoir contribué à la remise en ordre, à la remise d'aplomb, à la remise en marche de ce pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et de ce point de vue, vous êtes tout à fait en phase avec le président de la République ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Croyez bien que nous sommes soucieux d'avancer avec l'expérience du président, avec le choix très fort qu'il a fait pour ce pays et cet engagement, c'est bien l'engagement du président de la République et de tout le gouvernement.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et en phase avec votre ministre de l'Intérieur, par ailleurs président de l'UMP qui, d'ailleurs, devait tenir une convention sur la situation fiscale avant que vous n'avanciez votre conférence de presse ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je n'ai jamais avancé, vous savez que je ferai ces points presse...
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Les cent jours, ce n'était pas aujourd'hui ! ...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais je n'ai pas tenu la conférence de presse des cent jours, j'ai tenu la conférence de presse mensuelle que je tiens chaque mois parce que je veux imposer à la vie politique un calendrier. Si nous nous enfermons dans des querelles stériles, nous n'avancerons pas. Priorité à l'action, priorité au " rendre compte " des Français. J'ai rendu compte, aujourd'hui, je reparlerai aux Français dans quelques jours, et je crois qu'il n'y a, à aucun moment, de rivalité entre Nicolas SARKOZY et moi, mais au contraire une très grande complémentarité. Nicolas SARKOZY a fait un choix, comme j'ai fait un choix, d'entrer et de travailler dans un gouvernement à un moment difficile. C'est un choix courageux. Parallèlement, Nicolas SARKOZY est président de l'UMP, complémentarité avec le gouvernement. Il y a un rôle d'aiguillon, de proposition du principal parti de la majorité vis-à-vis de ce gouvernement, et vous voyez que cela donne des propositions fortes pour la France, donne une volonté d'action forte pour la France. Nous n'avons qu'une ambition : servir les Français.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors ces ambitions présidentielles à lui sont clairement affichées. Est-ce que les vôtres sont masquées ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais je n'ai aucune ambition présidentielle puisque je suis tout à la mission qui m'a été confiée, mission d'un chef du gouvernement qui entend bien se consacrer entièrement à sa tache et qui a pu méditer pendant de nombreuses années sur le destin de ceux qui, à un moment donné, se sont trompés de chemin, alors même qu'ils étaient à Matignon.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ca veut dire, par exemple, Edouard BALLADUR et Lionel JOSPIN qui ont été battus...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Vous connaissez votre histoire politique, Patrick POIVRE D'ARVOR.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Donc, ce n'est pas le meilleur moyen d'être élu à l'Elysée, de rester à Matignon...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le meilleur moyen, quand on est chef du gouvernement, c'est de remplir sa mission et de remplir son contrat avec les Français et la mission qui m'a été confiée avec le président de la République. Donc, c'est un gouvernement de mission que je dirige, un gouvernement d'intérêt général dans une période difficile, et toute mon énergie est tendue vers les résultats au service de la France.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Premier ministre, je vous remercie.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Merci.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 septembre 2005)