Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "RTL" le 26 septembre 2005, sur les interventions critiques de François Bayrou à l'encontre du gouvernement, sur les multiples candidatures socialistes déclarées pour l'élection présidentielle de 2007.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour, J.-M. Ayrault.
R- Bonjour, J.-M. Aphatie.
Q- [Vous intervenez depuis] votre ville de Nantes. F. Bayrou était l'invité du Grand Jury-RTL-Le Figaro, hier soir. Il a dénoncé "les moulinets verbaux de D. de Villepin" à propos de Hewlett Packard ou l'air de "mandoline électorale" que distillerait le projet de budget 2006. Finalement, l'opposant le plus résolu et le plus entendu, aujourd'hui au gouvernement Villepin, c'est F. Bayrou, ce ne sont pas les socialistes, J.-M. Ayrault.
R- Je ne crois pas qu'il faille se lancer dans ce petit jeu du meilleur opposant, parce que ça relève vraiment de l'infantilisme.
Q- Vous risqueriez de le perdre, peut-être. C'est pour ça qu'il ne faut pas s'y lancer. C'est ça ?
R- Non, parce que la politique, ce sont d'abord des actes. Et, depuis trois ans, Monsieur Bayrou et ses amis ont voté tous les budgets, ont voté tous les textes, en particulier les plus libéraux. Parfois, même, demandant au Gouvernement d'aller plus loin. Et puis, je donne rendez-vous à Monsieur Bayrou. On verra ce qu'il va faire au moment du budget. Il va faire beaucoup de moulinets, ça, c'est sûr ! Je l'attends au rendez-vous. Je crois qu'il nous fait du Chirac, c'est-à-dire qu'il promet tout et son contraire et c'est, pour moi, une dissidence de salon.
Q- Il ne faut pas défendre F. Bayrou : il se défend tout seul. Mais la confiance n'a pas été votée, par exemple, au gouvernement Villepin.
R- Oui. Mais enfin, au moment où nous avons déposé la motion de censure, il s'est bien gardé de la voter. A chaque fois, il était toujours du côté du Gouvernement puisqu'il dit lui-même - et en tout cas ses amis le disent, le président du groupe à l'Assemblée, Monsieur Morin - : "Nous sommes dans la majorité". Alors, moi, je suis dans l'opposition.
Q- Mais F. Bayrou et l'UDF agissent peut-être comme le révélateur de votre incapacité à sortir de vos problèmes internes, et à parler aux Français des problèmes qui les concernent ?
R- Je pense qu'il y a effectivement - c'est une question - mais je pense qu'à condition que l'on sorte de notre jeu un peu d'ego. Et cette course de candidats à la candidature, moi, me navre parce que, pendant ce temps-là, on ne parle pas des problèmes des Français.
Q- Vous avez combien de candidats aujourd'hui ?
R- Je pense qu'on doit être à 7, 8 ou 9. Alors, moi, ça m'a mis en colère. J'étais à Nevers, cette semaine, aux Journées Parlementaires. On a parlé de la mondialisation, on a parlé de la fiscalité, on a parlé du logement, on a parlé de l'éducation, de la retraite, et puis on a parlé aussi de l'assurance-maladie. Mais rien de tout ça n'est sorti de nos débats parce qu'on a parlé des chefs de motion, qui venaient là pour parler de leur motion, de campagnes de signatures internes. Et puis, on a parlé de "candidats à la candidature". Il y en a un nouveau chaque jour. Cela m'a mis en colère. Je trouve qu'il y a une forme d'égoïsme de la part d'un certain nombre de dirigeants socialistes et, effectivement, pendant ce temps-là, on donne l'impression d'être absent. Mais rassurez-vous, le 4 octobre, c'est la rentrée parlementaire. Les députés seront à l'Assemblée Nationale en première ligne, et ils ne manqueront pas de faire écho aux mouvements de protestations qui s'expriment dans le pays, et notamment qui se manifestera le 4 octobre à l'appel de toutes les organisations syndicales.
Q- S. Royal a été, la semaine dernière - justement c'était jeudi - la dernière responsable socialiste à faire connaître son ambition présidentielle. Tout le monde a le droit d'être candidat, au Parti Socialiste, sauf S. Royal, c'est un peu ça ?
R- Pas du tout. Moi je ne rentre pas dans ce jeu un peu machiste qu'on nous a prêté. Chacun est libre d'être candidat ou candidate et pourquoi pas une femme ! Donc, ça ne me choque absolument pas. Ça ne me pose aucun problème, à moi en tout cas. Mais vous savez qu'on doit désigner notre candidat seulement fin 2006. Qu'avant, nous avons un congrès et que nous devons adopter notre projet. Et la droite, et Monsieur Sarkozy en particulier, nous lancent un défi : ils assument pleinement l'orientation libérale, conservatrice à l'anglo-saxonne. On a vu d'ailleurs ce que ça donnait en Allemagne. Mais il faut opposer un autre modèle : c'est ça, la réponse. Et avoir un peu de courage pour dire où en est la situation du pays et la situation, effectivement, est grave. Et présenter un projet de refondation républicaine, un nouveau contrat social au pays. C'est ça qu'il attend. Pas la course à l'échalote des différents candidats ou candidate : ce n'est pas le sujet du jour.
Q- Restons un instant sur "la course à l'échalote". Quand S. Royal fait savoir qu'elle est candidate, comme par réflexe, des dirigeants socialistes commentent son souhait. Alors, ça donne : "Mais qui va donc garder les enfants !". "La présidentielle, ça n'est pas un concours de beauté". Et puis, M. Charasse, qui est toujours délicat, dit : "Voyez la mère Merkel. Poum, dans le popotin". Il n'y a un fond de machisme un peu incompressible au Parti socialiste ?
R- Oui, tout ça c'est nul. Ça existe, mais ça existe un peu partout.
Q- Enfin, là, on parle des socialistes.
R- Et bien, en tout cas, cette attitude ne me plaît pas. Mais ce n'est pas le sujet. Le sujet est de savoir ce que l'on propose aux Français. La situation est grave. Si Monsieur Bayrou se permet de faire de la dissidence de salon au sein de la majorité, c'est parce que la situation est extrêmement grave. Regardez la dette de la France. Jamais, nous n'avons atteint un tel niveau : 66% ! Ça ne s'était jamais produit. Le commerce extérieur est dans un état lamentable. Le chômage, évidemment, est toujours là même si le Gouvernement essaie de triturer les chiffres. Et puis, regardez les comptes de la Sécurité sociale : c'est ça, la réalité. La crise du logement. C'est à tout ça qu'il faut répondre et pas se lancer dans des petites phrases, dans les compétitions de personnes. Si les socialistes sont capables de répondre à ça, alors oui, l'alternance pourra se faire entre la gauche et la droite. Mais moi, je n'ai pas envie du tout de voir une alternance entre la droite et la droite.
Q- Parmi les questions difficiles aujourd'hui : la privatisation de la SNCM. Le Gouvernement dira quel est le repreneur de la Société Nationale Corse Méditerranée - je cherchais le mot. La privatisation est-elle inéluctable pour cette société qui est très endettée, J.-M. Ayrault ?
R- Je crois que, si on veut que les services publics soient efficaces, performants, et qu'on ne soit pas contraint, dans certains cas, de les privatiser, c'est parce qu'on n'a pas fait le travail qu'il fallait. Si la SNCF, par exemple - vous parlez de la SNCM, là, en l'occurrence, mais c'est un peu la même chose - se trouve devant des situations dramatiques par rapport aux trains Corail c'est que, pendant des années - on l'a dit encore dans différents rapports ces jours-ci - c'est qu'elle n'a plus investi. Si vous ne voulez pas entretenir vos services publics, si vous ne voulez pas investir, si vous ne voulez pas les rendre efficaces, performants : c'est une manière de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Q- Ça fait des années que les déficits s'accumulent. Donc, l'Etat est un mauvais actionnaire depuis longtemps y compris quand vous étiez au pouvoir, J.-M. Ayrault.
R- C'est exact, J.-M. Aphatie. Je crois que l'Etat fonctionne mal. Je suis pour une réforme de l'Etat, mais où l'Etat joue davantage son rôle de stratège, de garant, mais qu'il ne fait pas forcément tout lui-même. Il peut déléguer une partie de ses prérogatives, en particulier aux collectivités locales. Moi, je suis maire et je puis vous dire que l'efficacité de la décentralisation, c'est 100 fois, parfois 1.000 fois meilleur que l'Etat quand il veut faire tout, tout seul. Mais je crois, qu'en même temps, il faut définir quelles sont les priorités. Et ça, c'est aussi à l'Etat, à travers ses représentants de les fixer et puis après, on voit qui fait quoi.
Q- Mais concrètement, la SNCM. Aujourd'hui, il n'y a pas d'autre solution de la privatiser ?
R- Si. Je pense que l'Etat peut prendre ses responsabilités. Il peut parfaitement se dire : "bon, on a là un service qui a quand même donné satisfaction pendant des années". Je pense que ceux qui ont pris la SNCM pour se rendre en Corse ont toujours été bien accueillis, dans des bonnes conditions, et notamment de sécurité.
Q- Quand les bateaux traversaient la Méditerranée, oui. Mais comme ils restaient souvent à quai à cause des grèves !
R- Alors, ça, c'est vrai qu'il y a peut-être un problème de ce côté-là. Mais je pense qu'il y a aussi nécessité d'un autre dialogue social dans notre pays. Ce n'est pas toujours à marche forcée. Donc, je crois que ça ne peut être que "donnant-donnant". Tout le monde doit faire des efforts et je pense, en particulier, qu'il ne faut pas toujours confondre "service public" et "statut des personnels, statut de l'entreprise". Je pense que ce qui est important, c'est que le service public soit assuré partout, sur le territoire, et qu'il soit aussi facteur de cohésion sociale, de lutte contre les inégalités.
Q- Je vous pose juste la question par souci de rigueur. Vous êtes candidat à l'élection présidentielle, vous, J.-M. Ayrault ?
R- Ça va comme ça. Je crois qu'on est assez nombreux. Je pense que si les socialistes continuent ce petit jeu, ils perdront. Et moi, j'ai envie que les socialistes soient en situation de rassembler toute la gauche pour qu'en 2007, les français aient un vrai choix. Et je crois qu'ils l'attendent.
D'accord. J.-M. Ayrault, l'homme des socialistes qui n'est pas
candidat à l'élection présidentielle, était l'invité de RTL, ce matin.
Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 septembre 2005)