Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale et député UMP, à La Chaîne Info LCI le 20 septembre 2005, sur ses relations avec M. Nicolas Sarkozy et sur son soutien au gouvernement Villepin.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

QUESTION - J'imagine que vos oreilles ont dû siffler depuis quelques heures, parce qu'un certain nombre de vos amis de l'UMP, élus, vous ont traité de tous les noms : "Rantanplan", le chien de Lucky Luck qui mord même ses maîtres ; on vous a accusé d'être atteint de "psittacisme", de répéter toujours, de manière mécanique, la même chose. Autrement dit - et c'est F. Fillon qui le dit -, vous auriez commis "une faute politique" en attaquant, comme vous l'avez fait, N. Sarkozy. Allez-vous faire amende honorable tout à l'heure devant les députés de l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ - Le problème ne se pose pas comme cela. La grande force de l'UMP, c'est la liberté d'expression, la liberté de parole. J'ai dit ce que je pensais, mais ce n'est pas cela qu'il faut retenir. L'UMP est composée de gaullistes, de libéraux, de centristes, et la force de l'UMP, c'est de rassembler ces différentes tendances. Chacun a sa conception de la politique, chacun a sa conception de la loyauté et de la fidélité en politique. Je ne juge personne et je demande que l'on ne me juge pas.
QUESTION - Si, vous jugez, quand vous dites, par exemple, que N. Sarkozy n'a pas les qualités d'un homme d'Etat, c'est bien un jugement !
Jean-Louis DEBRÉ - Aujourd'hui, à Evian, nous sommes tous rassemblés, et nous sommes tous rassemblés pourquoi ? Pour soutenir l'action de J. Chirac et du président de la République, et soutenir D. de Villepin et l'ensemble du Gouvernement. La force de notre mouvement c'est de savoir, lorsque l'essentiel est en jeu, c'est-à-dire, l'avenir de nos concitoyens, nous rassembler. Chacun restant, par ailleurs, avec ses convictions et avec ses idées.
QUESTION - Mais vous donnez quand même le sentiment, vu de l'extérieur, que vous menez, au profit de D. de Villepin, une croisade contre N. Sarkozy. Ce qui fait dire à certains que vous vous êtes situé en chef de faction, en chef de clan.
Jean-Louis DEBRÉ - Non, je ne suis pas chef de faction, je ne suis pas chef de clan. Je ne souhaite qu'une chose, c'est que le Gouvernement et tous les ministres concourent au même objectif : faire en sorte que notre pays se réforme, tous les ministres, c'est-à-dire N. Sarkozy. Nous sommes tous ensemble, dans le même bateau, ce bateau c'est le bateau France, et nous devons faire en sorte que dans les vingt mois qui nous restent, d'ici à l'élection présidentielle, surtout que l'on n'en parle pas trop et trop vite, et que nous puissions nous concentrer vers l'accompagnement de ces réformes. Parce que nos concitoyens se fichent complètement de nos divisions, de nos querelles. Ce qu'ils veulent, c'est que nous soyons rassemblés et que nous ne donnions pas le spectacle que le Parti socialiste donne. Nous voulons - et nous le sommes à Evian - rassembler autour de l'action de D. de Villepin, du Gouvernement. Cette action est conduite sous l'autorité de J. Chirac.
QUESTION - Vous comprenez donc que le président de l'UMP, à la fois, soit ministre et accompagne l'action du Gouvernement, et en même temps, comme président de l'UMP - vous avez parlé de "liberté de parole" -, fasse des propositions qui, le cas échéant, aillent beaucoup plus loin que les réformes du Gouvernement ?
Jean-Louis DEBRÉ - Mais la liberté de parole, c'est pour tout le monde. Je ne vois pas pourquoi vous me reprochez ma liberté si vous l'accordez aux autres !
QUESTION - Je ne vous reproche rien, c'est un certain nombre d'élus de l'UMP qui vous le reprochent !
Jean-Louis DEBRÉ - Il y a un certain nombre de personnes qui souhaiterait que il n'y ait pas d'expression autre que l'expression officielle. Ce que je dis simplement, c'est regardons l'important, et l'important, c'est notre rassemblement derrière le Gouvernement. Certains voudraient que l'on fasse entendre des voix discordantes, eh bien non, nous soutenons le Gouvernement.
QUESTION - Question sur les élections allemandes : en tirez-vous, pour la situation française, et notamment la situation de la droite française, un certain nombre d'enseignements ?
Jean-Louis DEBRÉ - Oui, je pense que les élections allemandes montrent qu'il ne faut pas verser dans les extrêmes, et que nos concitoyens, en France comme en Allemagne, attendent que nous prenions en compte la situation individuelle de chacun, que nous l'améliorions. Autrement dit - mais cela me va parfaitement, parce que je suis d'origine gaulliste et je préfère le gaullisme à l'ultralibéralisme -, je préfère défendre, avec D. de Villepin, le modèle social français, même s'il faut le corriger, l'améliorer, plutôt que construire une société individuelle, individualiste, où chacun devra se débrouiller tranquillement de son côté, non - on le voit bien en Allemagne. Oui aux réformes, oui aux réformes qui améliorent le système social, mais tournons le dos, surtout, à toutes ces chimères libérales qui nous poussent vers l'individualisme. Regardez ce qui s'est passé aux États-Unis, regardez ce qui se passe en Allemagne. Nous, nous avons un modèle, le modèle social français, et il faut essayer de le faire perdurer, et essayer de le conforter plutôt que de le démolir.
QUESTION - Autrement dit, pour être clair, ce qui vient de se passer en Allemagne infirme la stratégie proposée par N. Sarkozy de rupture radicale avec le système existant ?
Jean-Louis DEBRÉ - Vous êtes quand même terrible, parce que vous n'avez qu'une obsession, c'est de me faire critiquer N. Sarkozy. Je vais vous décevoir.
QUESTION - Il n'y a pas besoin d'avoir cette obsession, cela vient tout seul.
Jean-Louis DEBRÉ - Je ne le critiquerai pas ! Il a ses idées, je lui reconnais le droit d'exprimer celles-ci avec le talent et la conviction qui sont les siens. Mais permettez-moi aussi de soutenir l'action du Gouvernement et l'action de D. de Villepin lorsqu'il dit qu'il faut préserver notre modèle social.
QUESTION - Les élus de l'UMP vont probablement traiter du problème de la Turquie. On sait que l'UMP est partisane, non pas d'une adhésion mais d'un partenariat privilégié. Vous-même, souhaitez-vous, qu'à titre de préalable, la Turquie reconnaisse de toute manière la République chypriote avant tout début de négociations sur l'adhésion ?
Jean-Louis DEBRÉ - Cela a été les conditions posées par l'Union européenne pour étudier cette candidature. Il faut que nos amis turcs respectent ces conditions, et donc, reconnaissent effectivement l'ensemble des questions posées.
QUESTION - Sur ce sujet, vous sentez qu'il y a un clivage entre la position très diplomatique du Premier ministre et les positions plus tranchées de l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ - Il y a une expression différente mais c'est la même conviction. Nous ne pouvons étudier de nouvelles adhésions à l'Union européenne que si celles-ci respectent les conditions qui ont été posées par l'Union européenne. Et si elles ne les respectent pas, elles prennent la responsabilité de ne pas faciliter leur rapprochement avec l'Union européenne.
QUESTION - Deux questions au président de l'Assemblée nationale, auxquelles vous pourriez peut-être répondre par oui ou par non. Première question : êtes-vous prêt à ce qu'il y ait un débat budgétaire en assemblée plénière à l'Assemblée nationale, pour ce qui concerne l'Education nationale ?
Jean-Louis DEBRÉ - Oui, je suis prêt. Je crois que s'il y a un endroit où il faut débattre, c'est à l'Assemblée nationale. Et si la majorité des groupes parlementaires veut un débat sur le budget de l'Education nationale en séance publique, je ne vois pas pourquoi il n'y en aurait pas.
QUESTION - Et comme le dit A. Lambert, l'ancien ministre du Budget : souhaitez-vous que le Gouvernement laisse à l'Assemblée nationale et aux députés le soin de légiférer sur l'impôt sur la fortune ?
Jean-Louis DEBRÉ - Je pense que les dernières mesures qui ont été prises par le Gouvernement permettent déjà d'enregistrer une certaine évolution sur cette question. Mais lors du débat, je l'ai dit à plusieurs reprises, cette question sur l'ISF peut être et doit être abordée à l'Assemblée nationale, chacun ayant ses positions, chacun essayant de convaincre l'autre partie.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 septembre 2005)