Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la politique européenne commune de sécurité et de défense (PECSD) et le contrôle du Parlement européen sur cette politique, Strasbourg le 24 octobre 2000.

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Circonstance : Réunion de la commission des affaires étrangères, des droits de l'Homme de la sécurité commune et de la politique de la défense, au Parlement européen le 24 octobre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
C'est pour moi à la fois un plaisir et un honneur d'être parmi vous aujourd'hui. Plaisir d'être devant vous, représentants de l'Europe, ici, à Strasbourg, ville symbole de l'Europe pacifiée, réconciliée, rassemblée autour des valeurs de la démocratie, dans ce bâtiment magnifique, symbole de la modernité de l'Europe. Honneur aussi, car je crois pouvoir affirmer sans me tromper que c'est la première fois dans la déjà longue histoire de votre Assemblée qu'un Ministre de la Défense de l'un des Etats membres prend la parole devant les Eurodéputés, et se prête au jeu de l'audition devant une commission.
J'espère par ce geste créer, plutôt qu'un événement - je n'ai pas cet orgueil - un précédent, qui incitera mes collègues des futures présidences à venir, eux aussi, vous informer des progrès accomplis en matière d'Europe de la Défense. Je crois que cette venue témoigne en tous les cas de l'importance qu'attache notre présidence et, au-delà, le Conseil de l'Union, au rôle du Parlement européen, principalement dans les matières communautaires bien sûr, mais aussi dans le cadre du deuxième pilier, même si ses compétences n'y sont pas les mêmes.
Les plus hautes autorités françaises, lors de la présentation des objectifs de notre présidence, ont marqué leur souhait de participer à la construction d'une Europe plus proche des citoyens et de renforcer l'adhésion de tous au projet européen. Je sais que les gouvernements des Etats membres sont extrêmement attentifs aux contributions qu'ils reçoivent de leurs parlements. C'est aussi, comme le savent les eurodéputés français ici présents, une préoccupation majeure du gouvernement auquel j'appartiens.
Vous êtes des représentants de cette Europe des citoyens. Venir devant vous, vous tenir informés des progrès rapides de la politique européenne de sécurité et de défense - ainsi que le prévoit d'ailleurs l'article 21 du Traité sur l'Union européenne - m'a donc semblé naturel. Il s'agit pour moi tout à la fois de marquer le souci de vous associer pleinement à la marche des événements - et ceux-ci se succèdent à un rythme très soutenu, comme vous le savez - et de signifier que la construction de l'Europe de la Défense dans le deuxième pilier de l'UE, s'intègre harmonieusement dans l'architecture institutionnelle existante.
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La mi-parcours de la présidence française dépassée, et les échéances décisives approchant (conférence d'engagement des capacités le 20 et novembre, Conseil européen de Nice le 7 décembre), je pense utile de dresser un premier bilan de ce qui a été entrepris depuis le mois de juillet. Je reviendrai certainement au cours de la discussion sur l'esprit de Cologne et d'Helsinki, pour répondre à vos questions.
Nous avons, au cours des derniers mois, conduit un processus complexe. Nous avons élaboré un catalogue des capacités militaires nécessaires à la réalisation des objectifs fixés à Helsinki. Ce catalogue a fait l'objet d'une approbation politique par le Conseil affaires générales il y a tout juste quinze jours, et c'est donc lui qui va servir de base aux engagements de contribution de forces que nous allons recueillir lors d'une " Conférence d'engagement des capacités ", à l'occasion de la prochaine réunion du CAG élargi aux Ministres de la Défense, le 20 novembre prochain à Bruxelles. Après cette réunion, et après la rencontre avec les membres européens de l'Alliance atlantique, non membres de l'Union, et les Etats candidats qui aura lieu le lendemain, et qui permettra de recueillir notamment leurs contributions additionnelles, les Quinze auront rempli le contrat fixé par la Déclaration d'Helsinki, à savoir rendre possible la constitution par les Européens d'une force de réaction rapide, pouvant agir pour le compte de l'UE en tant que telle, d'ici 2003.
Je répondrai naturellement plus en détail à vos questions sur les composantes ou les éléments marquants de ce catalogue dans la discussion qui va suivre, si vous le souhaitez. Je tiens d'emblée à souligner qu'il a fait l'objet d'un travail d'expertise de grande qualité alimenté par des représentants des Quinze nations selon un format ad hoc issu de l'Organe militaire intérimaire et complété par des experts des capitales : la " Headline Goal Task Force " ou HTF. Cette formation s'est réunie de façon quasi permanente depuis le début du mois de juillet. Les experts de l'UE ont été rejoints, chaque fois que nécessaire (7 réunions ont eu lieu à ce jour) par des experts de l'OTAN, en format dit " HTF+ ", afin que ces derniers présentent des analyses techniques spécifiques demandées en complément. La qualité reconnue de ce travail témoigne du développement dans l'UE d'une compétence spécifique en matière de défense qui ne duplique en rien ce qui existe à l'OTAN. Nos experts ont également su travailler en bonne intelligence avec l'OTAN, et faire bon usage de ses contributions.
Laissez-moi aborder en quelques mots l'architecture générale de ce catalogue de définition du réservoir de moyens militaires nécessaires. Il est fondé sur quelques grands chapitres : les capacités stratégiques, en premier lieu : commandement, conduite et communication, transport stratégique aérien et maritime ; capacités de reconnaissance et de surveillance d'un théâtre en second lieu ; les capacités terrestres, maritimes et aériennes. Pour chaque type de capacité (détaillée selon une nomenclature particulière), les experts ont identifié la nature et le volume des moyens nécessaires à l'UE pour garantir l'effectivité de cette capacité et mener à bien une mission donnée. C'est sur la base de ces besoins détaillés que s'engageront les Etats, chacun mettant à disposition de l'UE, d'ici à 2003, les moyens dont il dispose ou disposera, en coordination avec tous. Suite à des offres de contributions initiales, une première harmonisation des contributions est en cours, ainsi que l'identification des " besoins " encore insatisfaits.
Le travail sur les capacités aboutit à la constitution de ce qu'il est convenu d'appeler un " réservoir " de forces disponibles pour les opérations menées par l'UE. A ce propos, j'ai cru comprendre que certains, ici ou là, avaient exprimé des inquiétudes sur le volume de forces effectivement dédié à l'UE. Des chiffres parfois fantaisistes ont circulé. On a reparlé d'armée européenne. Laissez-moi être clair : il n'y a aucune remise en cause, explicite ou implicite, de l'objectif fixé à Helsinki. L'objectif global reste d'être en mesure de déployer un corps d'armée terrestre d'un effectif maximum de 60.000 hommes. Simplement, leurs travaux avançant, les experts militaires de l'UE ont estimé que, pour disposer de la palette de moyens apte à couvrir chacun des scénarios envisagés, y compris dans les hypothèses de simultanéité, le besoin militaire s'élevait à plus de 80.000 hommes. Il faut aussi tenir compte des " cycles opérationnels " des unités, ou, en langage clair, du fait que pendant que X milliers d'hommes stationnent sur le terrain, d'autres se préparent à les relever tandis que d'autres enfin rentrent de mission et se reposent avant de se reconditionner. Dès lors, le besoin s'élèverait, pour les forces terrestres, à plus de 200.000 hommes.
Il revient d'autre part aux Quinze de parvenir à un accord sur la manière de combler celles des capacités qui seront constatées comme manquantes lors de la conférence de novembre, notamment en matière de capacités stratégiques.
Pour satisfaire, à terme, l'ensemble des besoins identifiés dans le catalogue de forces, les Etats membres devront s'engager à poursuivre des initiatives nationales de renforcement de leurs capacités propres. Pour cela, plusieurs Etats membres pourraient s'engager à mutualiser leurs efforts, par la mise en oeuvre de solutions collectives déjà envisagées à Helsinki pour les domaines connus de lacunes européennes.
Il faudra aussi mettre en place un mécanisme d'évaluation permettant de mesurer les progrès accomplis vers les objectifs de capacités, afin de pérenniser ces engagements et de s'assurer de la poursuite sur le long terme des efforts d'ores et déjà engagés, en maintenant la dynamique politique initiée depuis Cologne.
Le passage à la phase permanente permettra de donner un cadre institutionnel à l'emploi de ces capacités. Les Quinze sont globalement d'accord sur la définition de ces instances (le Comité politique et de sécurité, le Comité militaire et l'état-major de l'Union européenne), mais il faut à présent franchir le pas de leur mise en place et leur confier la conduite de la suite des opérations, si j'ose dire. A ce titre, pour ce qui me concerne le plus, en tant que Ministre de la Défense, le mandat précis, l'organigramme et la répartition du personnel de l'état-major de l'Union européenne sont en cours d'agrément. Notre objectif est que le noyau d'experts militaires déjà en place au sein du Secrétariat du Conseil puisse être complété dès que possible après le sommet de Nice, pour que cet état-major puisse commencer rapidement à s'entraîner à ses tâches pour la gestion des crises.
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Mesdames et Messieurs les Députés,
Evoquant les structures permanentes de la PECSD , j'en viens à un sujet qui, je le sais, recueille toutes vos attentions, à savoir celui du contrôle démocratique de l'Union européenne dans sa nouvelle dimension de politique étrangère et de défense
Autant vous le dire d'emblée, je n'aime pas l'expression de " déficit démocratique " que j'entends souvent à propos de l'UE. Je crois profondément à l'importance d'un contrôle démocratique de l'action de l'UE. Je le disais en préambule, une Europe plus proche des citoyens, plus transparente et mieux comprise par eux, tel doit être notre objectif dans les années à venir. Mais il convient aussi de reconnaître les prérogatives de l'exécutif. Comme dans les Etats, la conduite de la politique étrangère et de défense de l'Union relève de la branche exécutive, elle-même expression de gouvernements démocratiques. Le Parlement européen reste naturellement légitime à exprimer ses préoccupations et à formuler des suggestions dans ce domaine. Je sais par ailleurs que le Conseil s'assure désormais de la meilleure information possible de votre Assemblée, en lui adressant de fréquents rapports. De plus, vous auditionnez régulièrement, au moins une fois par trimestre, le Haut Représentant, M. Solana, ainsi que le Commissaire en charge des relations extérieures.
Vos préoccupations en matière de transparence et de contrôle se sont ces derniers temps cristallisées sur la question des documents classifiés en matière de PECSD. Tout le monde peut comprendre, et je sais que votre président, M. Brok, est particulièrement sensibilisé à ce sujet, que l'on ne peut pas se permettre de faire circuler librement des documents à caractère confidentiel, des documents ayant des implications opérationnelles par exemple. Cette règle s'applique dans toutes nos nations parlementaires. Aucun parmi nous n'aurait souhaité, je pense, que l'on communique nos plans d'opération lors des engagements précédents. Je me permets également de souligner qu'il en va là de la crédibilité de l'UE : nous ne pouvons pas espérer faire la preuve du sérieux de l'UE auprès de l'OTAN et des Etats membres, si des papiers sensibles en matière de sécurité qui exigent une protection appropriée se retrouvent accessibles au grand public.
Les précautions indispensables dans l'élaboration de la PECSD doivent naturellement s'accompagner d'une information régulière du Parlement, comme je l'indiquais tout à l'heure. Je tiens aussi à rendre hommage au travail du Parlement Européen à cet égard, je salue l'initiative qu'a prise votre assemblée de constituer une Commission spéciale d'enquête sur le réseau Echelon. Vous avez en effet, les premiers, pris, en juillet dernier, l'initiative de rechercher toutes les informations permettant d'établir avec certitude l'existence ou non de ce système d'interceptions des communications, manifestant votre souci de la protection des droits fondamentaux des citoyens. Je sais que vous avez entamé vos auditions le mois dernier, et que vos travaux se poursuivent selon une méthode d'investigation rigoureuse. Je pense que vos conclusions, notamment en matière de préservation de la propriété industrielle et de la vie privée, seront très attendues.
L'excellent rapport de votre vice-présidente, Mme Lalumière, sur la PECSD, montre également la qualité de vos analyses sur le travail qui est actuellement conduit. J'en profite d'ailleurs pour me réjouir que les grandes lignes du rapport que vous avez adopté confortent la démarche entreprise à Quinze, tant dans ses aspects militaires que de gestion des aspects civils (auxquels je vous sais aussi attachés que nous le sommes) ou du point de vue du profil retenu pour les structures institutionnelles de la PECSD.
Je partage également largement ses vues sur la nécessaire articulation entre parlements nationaux et Parlement européen. De fait, dans le cadre actuel des Traités et des décisions prises à Cologne, Helsinki et Feira, ce sont les parlements nationaux qui ont le rôle le plus large à jouer dans la construction et le contrôle de la PECSD, puisque ce sont eux qui contrôlent l'élaboration et la mise en oeuvre par les gouvernements de cette politique dans le cadre du deuxième pilier. Ce sont au premier chef les parlements nationaux qui arrêtent les budgets de la défense, et c'est devant eux que les gouvernements des Quinze sont responsables lorsqu'il s'agit d'envoyer des soldats en mission.
C'est pourquoi je suis assez sensible à l'idée d'un lieu d'échanges, d'un forum rassemblant parlementaires nationaux et européens sur les questions de défense, s'inspirant de l'actuelle COSAC (Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires). Je crois en effet profondément à l'utilité du dialogue entre représentants des différents pays de l'Union, afin de rapprocher les vues des uns et des autres, développer les prises de position communes, en un mot favoriser l'enracinement des questions de défense dans la culture parlementaire européenne. Les traditions historiques des Quinze n'ont pas façonné de la même manière les cultures de défense dans les différents pays de l'Union, et nous n'avons pas tous la même sensibilité sur les questions de défense. Ces différences de sensibilités se reflètent auprès des responsables civils et militaires comme des opinions publiques. Une instance de dialogue comme celle que j'évoque, et que vous envisagez vous-même, ne manquerait donc pas de mérites.
Pour autant, je ne pense pas approprié, pour l'instant, d'inscrire le contrôle parlementaire au programme de la CIG. Les Quinze ont fait, depuis Cologne et Helsinki, le choix délibéré d'une approche pragmatique. Restant fidèle à cette démarche visant l'efficacité, la présidence française souhaite se conformer au souhait d'une majorité de ses partenaires en évitant les querelles institutionnelles. Ces querelles ne manquent déjà pas dans d'autres domaines de la construction européenne, et elles ont tant nui à l'entreprise européenne dans le domaine de la défense, en étant - faut-il le rappeler ? - largement responsable de nos échecs du passé.
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Mesdames et Messieurs les Députés,
Rome ne s'est pas faite en un jour, et la PECSD ne sortira pas toute armée du Sommet européen de Nice. Il va en effet falloir créer, petit à petit, une culture politico-militaire au sein de l'Union, et lui laisser le temps de se diffuser dans toutes les institutions. Cela n'est pas simple. Entre Etats membres, comme je l'évoquais, il faudra développer encore davantage la notion d'intérêts de sécurité communs, de volonté politique commune en matière d'actions extérieures. Cela prendra du temps.
De ce point de vue, par l'intérêt pour l'action extérieure de l'UE que manifeste votre présence au sein de cette commission, et par votre connaissance des questions de sécurité et de défense, vous constituerez des relais privilégiés dans l'entreprise - qui m'est chère - de diffusion d'une culture européenne de défense. Cette culture, vous pourrez, bien au-delà de l'enceinte des instances de l'UE, l'instiller dans l'esprit de vos concitoyens. Votre proximité du terrain est donc un atout irremplaçable pour la réussite de notre ambitieuse entreprise.
En vous remerciant pour votre attention, je vous rends à présent la parole pour entendre les questions.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 08 novembre 2000).