Interview de Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "Libération" le 6 juin 2005, sur les attentes de FO concernant la politique de l'emploi et la défense du pouvoir d'achat.

Prononcé le

Circonstance : Rencontre entre le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, et FO, à Paris le 6 juin 2005

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

François Wenz-Dumas - Qu'espérez-vous de cette rencontre ?
Jean-Claude Mailly : C'est une première : jamais un Premier ministre n'avait reçu les syndicats avant d'avoir prononcé son discours de politique générale. Tant mieux. Cela nous permettra d'abord d'échanger sur l'analyse de la situation et de lui rappeler que la crise n'est pas née le 29 mai, et que le malaise est profond. Ce n'est pas un prurit électoral. Il y a des urgences sociales et républicaines, à commencer par les salaires. Pour le privé, la réunion de la commission de la négociation collective le 10 juin ne devra pas se contenter de faire le point. Il faudra obliger les employeurs du privé à négocier. Et si le gouvernement envisage des exonérations de charges, elles doivent avoir en contrepartie des engagements sur les salaires. Nous demanderons aussi un coup de pouce sur le Smic.
Q - Ne craignez-vous pas un effet négatif sur l'emploi, alors qu'il doit augmenter de plus de 5 % au 1er juillet en raison de l'harmonisation des différents Smic ?
Jean-Claude Mailly : N'oublions pas qu'une partie seulement des salariés payés au Smic - un peu plus d'un million - verra son salaire augmenter d'environ 5 %. Pour tous les autres, ce sera beaucoup moins. On ne demande pas 10 %, mais un coup de pouce pour des salariés qui gagnent moins de 1.000 euros net par mois. Nous voulons aussi des engagements sur le retour au système de revalorisation du Smic tel qu'il était pratiqué avant les 35 heures. Pas question d'entrer dans une logique d'annualisation comme le veut le patronat.
Q - Et pour les fonctionnaires ?
Jean-Claude Mailly : Nous espérons que les liens vont rapidement se renouer. Il nous faut des signes rapides. Il y a urgence à ouvrir une négociation sur la refonte de la grille indiciaire. La défense des services publics est une urgence républicaine. Le gouvernement persistera-t-il, par exemple, à ouvrir le capital de Gaz de France?
Q - Dominique de Villepin veut faire de l'emploi la priorité des priorités. Que faire pour que le chômage baisse ?
Jean-Claude Mailly : Nous attendons d'abord des éclaircissements sur le projet de convention tripartite entre l'Etat, l'Unedic et l'ANPE. Il semble comporter au moins deux dispositions dangereuses: le recours à des organismes privés pour la recherche d'emploi et le contrôle des chômeurs. Pas question que ce soient les Assedic qui assurent ce contrôle. Il y a aussi la convention d'assurance chômage, qui doit être renégociée d'ici la fin de l'année. Il faudra clarifier les rôles: qui fait quoi de l'Etat et de l'Unedic. Mener une vraie politique d'emploi demande des moyens budgétaires, même si cela doit nous faire sortir des critères du pacte de stabilité. Il faut enfin se poser les questions structurelles. Quelles stratégies industrielles veut-on mener ? Pour l'instant, à part l'agence d'innovation, il n'y a pas grand-chose.
Q - La reconduction de Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher à l'Emploi et au Travail montre plutôt son attachement au modèle social français...
Jean-Claude Mailly : Ce sont des ministres qui connaissent leurs dossiers. Mais tout ne dépend pas d'eux. Si on restreint les moyens financiers, il n'y a pas grand-chose à attendre. Nous avons aussi des inquiétudes sur un certain nombre de sujets. Quelle sera la qualité des emplois de services à la personne ? Le lundi de Pentecôte ? La directive Bolkestein ? Celle sur le temps travail ? Sans oublier que, côté patronal, on agite des chiffons rouges comme le contrat de mission de trois ans pour les plus de 55 ans, l'abrogation de la contribution Delalande appliquée aux entreprises licenciant des salariés âgés, et la mise en cause du code du travail. Toujours cette vieille lune patronale qui veut faire croire qu'il faut licencier pour embaucher.
Q - Comment voyez-vous la rentrée sociale ?
Jean-Claude Mailly : Les cent jours ? On ne va pas jouer les devins. Tout ce que l'on peut dire, c'est que ce troisième vote sanction montre qu'il y a une forte inquiétude chez les salariés. Les ouvriers, les employés, les classes moyennes attendent des réponses, d'abord en matière de salaire et de pouvoir d'achat. Force ouvrière est dans son rôle de syndicat et n'a pas d'a priori face à un gouvernement quel qu'il soit. Si le dialogue s'engage et débouche, tant mieux. Sinon, il faudra mobiliser.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 6 juin 2005)