Texte intégral
Q - De nombreux observateurs français ou africains affirment que la France a perdu l'Afrique. Qu'en pensez-vous ?
R - Cette analyse repose pour moi sur un contresens ou, en tout cas, sur une logique dépassée. La France n'a pas "perdu l'Afrique", parce que l'Afrique n'appartient qu'aux Africains. Elle est au cur des enjeux et des menaces du monde contemporain, parce qu'elle les concentre tous : marchés potentiels, ressources naturelles, mais aussi terrorisme, immigration, risque sanitaire ou environnemental.
Soyons lucides, dans ce XXIème siècle, rien ne se fera sans le continent africain. Il n'y aura pas de sécurité ni de croissance pour le monde occidental, et en particulier pour le continent européen, que quatorze kilomètres de mer seulement séparent du continent africain, sans développement de l'Afrique.
Q - Après la République centrafricaine et la Côte d'Ivoire récemment, un coup d'Etat a eu lieu en Mauritanie, qui est aussi une ancienne colonie française. L'Afrique francophone serait-elle la dernière région au monde où de tels événements peuvent se produire ?
R - Cette grille de lecture qui découperait le continent entre zone francophone, anglophone ou lusophone, est obsolète. Parlons plutôt d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique centrale, ou d'Afrique australe. Ce qui me frappe aujourd'hui sur ce continent, ce sont les dynamiques puissantes qui sont à l'uvre, l'apparition de nouveaux enjeux et de nouveaux équilibres, l'entrée en scène de nouveaux partenaires, comme la Chine, mais aussi l'Inde, le Brésil ou l'Iran. Depuis un peu plus de trois ans, on arrive à la fin de conflits que beaucoup croyaient définitivement enlisés : Angola, Somalie, Sud-Soudan, Liberia, République démocratique du Congo.
Q - Mais d'autres crises ne sont toujours pas réglées...
R - L'Afrique de l'Ouest est une zone de fragilité, avec la Sierra Leone, le Liberia hier, la Côte d'Ivoire aujourd'hui. La bande sahélienne, qui court de la Mauritanie à la Somalie, également. Chacune fait peser un risque collectif sur la région, sur le continent, sur le monde. Elle doit donc faire l'objet d'une plus grande mobilisation de la communauté internationale, et d'abord de la communauté africaine.
Q - La politique africaine de la France existe-t-elle encore ?
R - Bien sûr. Elle repose d'abord sur une conviction majeure : sécurité et développement sont indissociables. L'enlisement ou la contagion des conflits ne sont pas une fatalité africaine. Il est urgent d'enrayer ce mouvement. Parce qu'il y va aussi de sa propre sécurité, la communauté internationale doit s'engager résolument pour accélérer les sorties de crises en Afrique. C'est cet objectif qui nous guide. C'est pour cette raison aussi que je viens de me rendre au Tchad, au Soudan et au Niger. Parce que la famine au Niger, qui touche aussi la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso, déstabilise davantage une bande sahélienne déjà fragile.
Q - Quels sont les principes qui guident votre action ?
R - Ils sont clairs : respect du socle démocratique qu'est l'élection, de la souveraineté de l'Etat, de la sécurité des populations, et de l'intangibilité des frontières. Refus de la solution militaire. Respect ensuite de la médiation africaine à qui revient en premier lieu la responsabilité de définir et de faire respecter les décisions qui relèvent de la politique intérieure des Etats. Chacun son rôle. Le nôtre, c'est d'arriver à mobiliser la communauté internationale afin qu'elle s'investisse davantage pour accompagner la mise en uvre des engagements politiques pris par les Africains.
Q - La majorité des Africains ont mois de trente ans et n'ont pas connu les anciens colonisateurs. Que peut leur apporter la France ?
R - La jeunesse africaine contribue à la formidable vitalité du continent. C'est un potentiel gigantesque. Cela peut aussi être une menace considérable, si cette jeunesse-là n'a d'autres horizons que l'enrôlement dans une rébellion ou l'endoctrinement radical. Il est donc impératif de lui donner des perspectives. C'est pourquoi nous avons choisi de faire de la jeunesse le thème du prochain sommet Afrique-France à Bamako en décembre prochain.
Q - Certains pays d'Afrique francophones sont parmi les plus pauvres du monde. La France en fait-elle assez pour les aider ?
R - Le paradoxe inacceptable, c'est que l'Afrique est riche et que les Africains sont pauvres ! Prenez l'exemple du Niger ; ce pays, qui est un des premiers pays producteurs d'uranium... est en même temps le deuxième le plus pauvre du monde !
C'est cela que nous devons combattre, en faisant plus peut-être, mais surtout en faisant mieux. L'aide au développement ne suffit pas. Il faut sortir de la logique de la compassion, de la bonne conscience occidentale, de la posture de "la main qui donne au-dessus de la main qui reçoit". Il est inacceptable qu'en vingt ans la part de l'Afrique dans le commerce mondial soit tombée de 10 % à 2 %. C'est là-dessus qu'il faut se battre, pour assurer désormais l'intégration durable de l'Afrique dans les circuits économiques et commerciaux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 août 2005)
R - Cette analyse repose pour moi sur un contresens ou, en tout cas, sur une logique dépassée. La France n'a pas "perdu l'Afrique", parce que l'Afrique n'appartient qu'aux Africains. Elle est au cur des enjeux et des menaces du monde contemporain, parce qu'elle les concentre tous : marchés potentiels, ressources naturelles, mais aussi terrorisme, immigration, risque sanitaire ou environnemental.
Soyons lucides, dans ce XXIème siècle, rien ne se fera sans le continent africain. Il n'y aura pas de sécurité ni de croissance pour le monde occidental, et en particulier pour le continent européen, que quatorze kilomètres de mer seulement séparent du continent africain, sans développement de l'Afrique.
Q - Après la République centrafricaine et la Côte d'Ivoire récemment, un coup d'Etat a eu lieu en Mauritanie, qui est aussi une ancienne colonie française. L'Afrique francophone serait-elle la dernière région au monde où de tels événements peuvent se produire ?
R - Cette grille de lecture qui découperait le continent entre zone francophone, anglophone ou lusophone, est obsolète. Parlons plutôt d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique centrale, ou d'Afrique australe. Ce qui me frappe aujourd'hui sur ce continent, ce sont les dynamiques puissantes qui sont à l'uvre, l'apparition de nouveaux enjeux et de nouveaux équilibres, l'entrée en scène de nouveaux partenaires, comme la Chine, mais aussi l'Inde, le Brésil ou l'Iran. Depuis un peu plus de trois ans, on arrive à la fin de conflits que beaucoup croyaient définitivement enlisés : Angola, Somalie, Sud-Soudan, Liberia, République démocratique du Congo.
Q - Mais d'autres crises ne sont toujours pas réglées...
R - L'Afrique de l'Ouest est une zone de fragilité, avec la Sierra Leone, le Liberia hier, la Côte d'Ivoire aujourd'hui. La bande sahélienne, qui court de la Mauritanie à la Somalie, également. Chacune fait peser un risque collectif sur la région, sur le continent, sur le monde. Elle doit donc faire l'objet d'une plus grande mobilisation de la communauté internationale, et d'abord de la communauté africaine.
Q - La politique africaine de la France existe-t-elle encore ?
R - Bien sûr. Elle repose d'abord sur une conviction majeure : sécurité et développement sont indissociables. L'enlisement ou la contagion des conflits ne sont pas une fatalité africaine. Il est urgent d'enrayer ce mouvement. Parce qu'il y va aussi de sa propre sécurité, la communauté internationale doit s'engager résolument pour accélérer les sorties de crises en Afrique. C'est cet objectif qui nous guide. C'est pour cette raison aussi que je viens de me rendre au Tchad, au Soudan et au Niger. Parce que la famine au Niger, qui touche aussi la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso, déstabilise davantage une bande sahélienne déjà fragile.
Q - Quels sont les principes qui guident votre action ?
R - Ils sont clairs : respect du socle démocratique qu'est l'élection, de la souveraineté de l'Etat, de la sécurité des populations, et de l'intangibilité des frontières. Refus de la solution militaire. Respect ensuite de la médiation africaine à qui revient en premier lieu la responsabilité de définir et de faire respecter les décisions qui relèvent de la politique intérieure des Etats. Chacun son rôle. Le nôtre, c'est d'arriver à mobiliser la communauté internationale afin qu'elle s'investisse davantage pour accompagner la mise en uvre des engagements politiques pris par les Africains.
Q - La majorité des Africains ont mois de trente ans et n'ont pas connu les anciens colonisateurs. Que peut leur apporter la France ?
R - La jeunesse africaine contribue à la formidable vitalité du continent. C'est un potentiel gigantesque. Cela peut aussi être une menace considérable, si cette jeunesse-là n'a d'autres horizons que l'enrôlement dans une rébellion ou l'endoctrinement radical. Il est donc impératif de lui donner des perspectives. C'est pourquoi nous avons choisi de faire de la jeunesse le thème du prochain sommet Afrique-France à Bamako en décembre prochain.
Q - Certains pays d'Afrique francophones sont parmi les plus pauvres du monde. La France en fait-elle assez pour les aider ?
R - Le paradoxe inacceptable, c'est que l'Afrique est riche et que les Africains sont pauvres ! Prenez l'exemple du Niger ; ce pays, qui est un des premiers pays producteurs d'uranium... est en même temps le deuxième le plus pauvre du monde !
C'est cela que nous devons combattre, en faisant plus peut-être, mais surtout en faisant mieux. L'aide au développement ne suffit pas. Il faut sortir de la logique de la compassion, de la bonne conscience occidentale, de la posture de "la main qui donne au-dessus de la main qui reçoit". Il est inacceptable qu'en vingt ans la part de l'Afrique dans le commerce mondial soit tombée de 10 % à 2 %. C'est là-dessus qu'il faut se battre, pour assurer désormais l'intégration durable de l'Afrique dans les circuits économiques et commerciaux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 août 2005)