Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, sur France 2 le 7 juin 2005, sur les revendications de FO concernant le pouvoir d'achat des français et la politique de l'emploi, notamment son opposition à la transposition du modèle social danois et à la réforme du code du travail.

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Circonstance : Rencontre entre le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, et FO à Paris le 6 juin 2005

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Nous allons revenir sur les conversations que vous avez eues hier avec le nouveau Premier ministre, D. de Villepin, qui a reçu à Matignon l'ensemble des forces vives. Concrètement, il vous a reçus pour vous entendre, pas pour faire des discours ?
J.-C. Mailly - Le discours, il va le faire demain à l'Assemblée nationale. Là, il nous a consultés en quelque sorte, à la fois sur notre analyse de la situation - nous lui avons dit qu'il y avait une vraie crise sociale, un malaise social - et sur nos positions et nos revendications. Et il nous a écouté.
Q- C'est une première qu'un Premier ministre reçoive comme cela les syndicats, avant de faire un discours de politique générale ?
R- Oui, c'est une première, on souligne positivement d'ailleurs, qu'avant de faire son discours, il prenne la peine d'écouter les organisations syndicales et patronales. Ceci étant, il prend un risque : on va tous écouter demain son discours en fonction de ce qu'on lui a dit et on va voir ce qu'il a retenu.
Q- Si c'était de pure façade, ou s'il a en effet tenu compte de vos observations...
R- Voilà, s'il a intégré dans son discours ce que nous avons pu lui dire. En cela, il prend donc un risque en même temps. Mais il faut souligner positivement le fait qu'il ait reçu avant son discours...
Q- Sur quoi avez-vous insisté auprès de lui ?
R- Sur ce que l'on a appelé, compte tenu du malaise social, les "urgences sociales" et les "urgences républicaines", y compris en terme de calendrier. Une des urgences sociales, ce sont les salaires. Il y a des réunions de programmées. On ne veut pas, par exemple, que le 10 juin soit uniquement un tour d'horizon. On veut que le Gouvernement prenne des dispositions vis-à-vis des employeurs. Exemple : avant d'accorder des exonérations de cotisations patronales, s'assurer que l'entreprise a respecté l'obligation annuelle de négocier. On en a sorti toute une série comme ça. On a également demandé un coup de pouce sur le Smic. On a demandé aussi, dans la fonction publique, de recoller les morceaux, parce qu'avec le ministre précédent, ce n'était pas facile...
Q- Vous n'avez pas encore rencontré le nouveau, C. Jacob ?
R- Non, pas encore...
Q- Et sur le chômage ?
R- Sur le chômage, il y a là aussi des urgences, puisqu'il y a un décret en préparation qui visait à sanctionner plus les chômeurs. On n'est pas d'accord. Il faut donc que l'on regarde les choses beaucoup plus calmement. Ensuite, on a parlé politique industrielle, on a parlé services publics, on a parlé emploi d'une manière générale, donc toute une série d'éléments pour amener effectivement à la création d'emplois en soutenant le pouvoir d'achat.
Q- On voit quand même que globalement aujourd'hui, le système français n'arrive pas bien à réguler le chômage et que l'on est dans la difficulté. On parle beaucoup du modèle danois, basé sur la "flexi-sécurité", c'est-à-dire qu'il y a à la fois plus de sécurité, on peut licencier plus facilement et, en même temps, plus de sécurité, avec de la formation professionnelle, avec des niveaux d'indemnisations chômage qui sont plus élevés. Et 30 % des Danois changent d'emploi dans une année, ce qui est beaucoup par rapport à la France. Le modèle danois est-il transposable en France aujourd'hui ?
R- Non, pas tel que. En ce qui concerne ce que l'on appelle le "modèle danois", il faut regarder les choses. D'abord, il faut rappeler tout simplement quelque chose de tout bête : le Danemark, en géographie, c'est l'équivalent d'une région française. Donc la mobilité dans une région ou sur le territoire national, c'est tour à fait différent. Maintenant, si l'on regarde le modèle danois, je demande que l'on regarde d'abord le système fiscal : il y a un impôt très fort sur le revenu par exemple, et c'est un système beaucoup plus distributif, y compris fiscalement. La formation en préalable, avant de faire des restructurations, c'est trois fois plus d'argent qu'en France. Donc comparaison n'est pas raison. Il y a des choses qui sont intéressantes, mais on ne peut pas caler un modèle comme cela...
Q- Une des différences, c'est qu'il y a des syndicats très puissants, que tout est négocié et que beaucoup de choses passent par la cogestion, plus qu'en France en tout cas ?
R- Mais vous savez que les systèmes syndicaux et les systèmes de relations sociales diffèrent d'un pays à l'autre. Globalement - je dis bien "globalement" -, les droits des salariés français sont largement comparables à ceux des salariés danois ou allemands...
Q- Mais en France, n'y a-t-il pas un moment où le taux de syndicalisation relativement faible dans les entreprises fait que les salariés se sentent plus ou moins concernés ou représentés ?
R- Non. Je ne dis pas que cela ne joue pas. Mais si on a un taux de syndicalisation plus faible, c'est historique d'une certaine manière. C'est aussi dû au fait que l'on est dans une République et que lorsque l'on a construit des modèles, on a construit des modèles universels s'appliquant à tout le monde. Quand on compare la situation des salariés français aux situations des salariés anglais, allemandes, c'est très largement comparable, voire supérieur - même si je ne dis pas que c'est parfait. Il faut donc faire attention : il n'y a pas de lien entre taux de syndicalisation et situation réelle.
Q- Vous avez dit qu'il y avait une chose à laquelle il ne fallait absolument pas toucher, c'est le code du travail, si on parlait de remises en cause. Est-ce qu'en effet, vous refusez toute discussion là-dessus ? Ou est-ce qu'à un moment donné, il faut quand même mettre un peu à plat les choses, pour voir ce que l'on peut bouger ?
R- Le code du travail n'est pas figé ! Il ne date pas de 1945 et il a évolué ! Non, ce qui est dangereux, c'est que les plus libéraux de la majorité, plus le patronat, disent être prêts à embaucher à condition de pouvoir licencier, c'est-à-dire qu'avant d'embaucher, il faut déjà licencier ! ce n'est pas comme cela que l'on va améliorer le niveau de l'emploi. Ca, c'est "tout pouvoir" aux patrons et ce n'est pas acceptable !
Q- Mais en même temps, ceux qui vous disent que par exemple, on a en France, dans le code du travail, un niveau de protection théorique qui est extrêmement élevé, mais qu'en même temps, il y a une vraie précarité dans la vie quotidienne des salariés, parce que le code du travail n'empêche pas les licenciements ni les reclassements, ils n'ont pas tort...
R- Mais le code du travail n'empêche pas non plus les créations d'emplois ! Entre 1997 et 2000 par exemple, il y a plus d'un million d'emplois de créés, avec le code du travail actuel. Il y a donc beaucoup de dogmatisme là-dedans !
Q- C'est-à-dire que la flexibilité n'est pas un élément qui peut générer de l'emploi ?
R- Quand vous regardez qu'il y a 17 milliards d'euros d'exonération de cotisations patronales actuellement, qu'il y a 10 % des travailleurs qui sont en contrat précaire, qu'il y a 19 % des heures travaillées qui sont faites par des salariés qui ont des contrats de moins d'un an, la flexibilité et la précarité existent malheureusement ! Il faut plutôt la combattre que de l'étendre. Or ce que veulent les plus libéraux, c'est étendre la précarité et la flexibilité.
Q- Dans le 20 Heures de France 2 hier, il y avait un reportage sur une dame qui vivait avec les minima sociaux et qui expliquait qu'au fond, l'écart entre le Smic et ces minima étaient tellement réduits que cela lui coûtait presque plus cher d'aller travailler que de rester dans cette situation, dont je ne dis pas qu'elle était confortable, mais qui, sur le plan financier pour elle, était pratiquement plus avantageuse. Ce qu'elle n'avait pas dit mais que je rajoute, c'est que quand on est au RMI, on a d'autres avantages en termes de CMU, prise en charge des enfants etc. Est-ce qu'il n'y a pas, à un moment donné, une difficulté, parce que les différences sont minimes et sont presque parfois inversées ?
R- Certains patrons disent que quand on travaille, il faut conserver les allocations, comme ça on subventionne les entreprises. Et nous disons que si pour la personne en question, ce n'est pas incitatif de reprendre, c'est parce qu'elle n'est pas assez payée et que le salaire d'embauche n'est pas assez payé. C'est toute la différence ! Les entreprises disent qu'il faut donner des allocations à la personne, parce que cela leur évitera de la payer. C'est le problème de fond : si les salaires d'embauche étaient plus élevés, il n'y aurait pas la différence...
Q- Mais cela ne change rien si elle a des allocations plutôt qu'un salaire plus élevé, si au fond le revenu est le même !
R- Mais pour le patron, cela change, ce n'est pas lui qui les paie. C'est l'Etat-providence pour les entreprises !
Q- Vous êtes contre l'Etat-providence ?!
R- Pour les entreprises, oui !
Q- Les mesures Borloo vont entrer assez vite en vigueur. Comment trouvez-vous ce dispositif de retour à l'emploi ?
R- C'est du traitement social du chômage. Il faudra bien regarder la nature des contrats. Sur le service à domicile, il y a un potentiel d'emplois. Maintenant, on nous parle de 500.000. Attention, dans ces 500.000, on comptabilise beaucoup d'emplois précaires. Ce sont des gens qui ne vont travailler que huit heures par semaine. Ce n'est pas avec ça que l'on vit, c'est évident. Il faut donc faire attention et on ne sait toujours pas quel type de contrat de travail, quelle convention collective va leur être appliqué. On n'envoie pas par exemple auprès d'une personne âgée, d'enfants ou d'handicapés, des gens qui ne sont pas formés, qualifiés et payés en conséquence.
Q- Après avoir vu D. de Villepin, êtes-vous attentif, optimiste, serein ?
R- Réaliste. Comme il ne nous a rien annoncé, que cela va être demain, on va écouter attentivement et on réagira en fonction de ce qu'il nous dira demain...
Q- Et comme cela, vous ne serez pas déçu, puisqu'il ne vous a rien annoncé !
R- Tout à fait !
(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 juin 2005)