Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et entretien avec RFI le 7 septembre 2005 à Gaza, sur les perspectives ouvertes pour le processus de paix par le retrait israélien de Gaza et sur le soutien de la France à la reconstruction de Gaza et aux réformes de l'Autorité palestinienne.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy dans les Territoires palestiniens le 7 septembre 2005

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

(Intervention au Centre culturel français de Gaza, à Gaza le 7 septembre 2005) :
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
C'est ma première visite officielle dans la région en tant que ministre des Affaires étrangères ; aussi permettez-moi, avant toute chose, de vous dire la joie qui est la mienne de me trouver aujourd'hui avec vous, à Gaza, au moment même où la première phase du retrait est en bonne voie d'être achevée.
Cette opération a été, avouons-le, un succès. Qui aurait pu dire cela ? Lequel d'entre nous, dans les semaines qui l'ont précédée, n'a pas envisagé le pire ? Qui n'a pas redouté une flambée de violence occasionnée par des débordements de l'un ou de l'autre camp ?
Je voudrais saisir l'occasion qui m'est donnée pour rendre hommage au courage et à la détermination des dirigeants israéliens et palestiniens, qui ont su faire prévaloir l'espoir de paix pour mener cette opération jusqu'à son terme. Je voudrais en particulier, ici même à Gaza, saluer l'esprit de responsabilité dont ont fait preuve l'Autorité palestinienne, bien sûr, mais aussi et surtout le peuple palestinien dans son ensemble. Rien n'aurait été possible sans leur implication pleine et entière.
Le retrait de Gaza nous en donne la preuve : l'espoir de paix peut renaître, le dialogue reste possible, les chances de règlement de ce conflit, si durement ressenti ici, existent. Permettez-moi, à cet égard, de saluer le travail remarquable accompli par l'envoyé spécial du Quartet, M. James Wolfensohn.
Aujourd'hui, nous devons tout mettre en uvre pour que cet espoir ne soit pas déçu, qu'il vive au-delà de la réussite du retrait, qu'il ouvre des perspectives de développement économique et de règlement politique qui soient durables, solides, profitables aux deux peuples.
Cette conviction défendue par la France n'est pas nouvelle. Nous nous trouvons aujourd'hui au Centre culturel français, Monsieur le Directeur, en plein cur de Gaza, et ce lieu est bien le témoignage de l'amitié qui unit depuis longtemps la France et le peuple palestinien, de notre sympathie aussi, car nous savons quelles ont été pendant longtemps les terribles conditions de vie quotidienne.
Mais nous savons que le processus politique n'existera que s'il y a plus de sécurité dans cette région.
Mais ce Centre culturel français est aussi bien davantage qu'un symbole.
Les liens profonds et denses que nous avons tissés ensemble sont des liens de coopération et reposent sur des échanges, des engagements, sur des financements de projets également qui s'élèvent chaque année en moyenne à 25 millions d'euros. Ils se fondent aussi sur la conviction que la paix est possible, et c'est dans ce but qu'aujourd'hui comme hier, la France est résolue à vous accompagner sur le chemin de votre futur Etat, avec ses partenaires européens dans un équilibre également avec votre voisin.
L'action de la France, vous l'avez compris, s'inscrit dans la durée. Nous soutenons le plan Wolfensohn, nous l'avons répété à plusieurs reprises, mais aujourd'hui, cela ne suffit plus. La France veut aller plus loin et participer plus directement à la reconstruction de Gaza.
Nous voulons tout d'abord faire en sorte que l'ouverture de Gaza sur le monde devienne une réalité. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous engager si résolument au service de la construction du port de Gaza. J'ai d'ailleurs demandé à l'un des meilleurs experts en matière de ports du ministère des Transports de m'accompagner dans ce voyage, pour examiner ce qu'il est possible de faire tout de suite, très concrètement.
Nous voulons aussi renforcer notre action dans le domaine de la création d'emplois, en particulier en ce qui concerne les jeunes de Gaza. C'est là un ressort essentiel pour refonder la société dans la durée, pour redonner aux habitants non seulement les moyens de vivre, mais aussi de reconstruire une économie dévastée.
Les problèmes rencontrés par la population de Gaza sont concrets et souvent vitaux. Ils exigent des réponses rapides, des engagements efficaces et adaptés. Voilà pourquoi, pour répondre aux problèmes quotidiens de gestion de l'eau, nous avons décidé de financer à hauteur de 12 millions d'euros la construction prochaine d'une station d'épuration des eaux usées, qui sera située dans le nord de la bande de Gaza.
Nous voulons soutenir l'Autorité palestinienne, qui a fait le choix de s'engager résolument vers la voie difficile des réformes.
Le fait est que demain, la société palestinienne aura besoin de cadres, de personnels formés, d'entrepreneurs, pour prendre en charge l'avenir du pays. C'est précisément pour soutenir la formation de ces élites que nous coopérons avec les Universités d'Al Quds, de Birzeit, de Bethléem, de Naplouse. Notre choix est celui d'assurer la formation des cadres de demain.
Je pense aux actions que nous menons pour la formation des juges, la création d'une juridiction administrative indépendante, la modernisation du ministère des Affaires étrangères palestinien.
Je pense aussi aux perspectives qui s'ouvrent aujourd'hui dans le domaine de la radio, de la télévision, pour une information libre et démocratique.
Et puis je suis médecin, j'ai été ministre de la Santé. Je suis donc avec un intérêt, sachez-le, tout particulier, les actions que nous menons avec vous dans le domaine humanitaire et dans celui de la santé. Ces actions sont ambitieuses, comme en témoigne le doublement, cette année, de notre soutien financier à l'UNRWA, qui s'élève pour 2005 à 5 millions d'euros. Je suis aujourd'hui en mesure de vous annoncer qu'en 2006, nous ferons porter notre effort sur le domaine de la santé mentale, au niveau bilatéral - avec l'Agence française de développement - comme d'ailleurs au niveau multilatéral.
Enfin, comment ne pas évoquer, dans le lieu où nous nous trouvons, l'action menée par la France dans le domaine culturel ?
La culture, la création, la solidarité sont au centre de nos valeurs communes. Les Français comme les Palestiniens leur sont attachés, car ils savent que, sans ces valeurs, il n'y a pas de dialogue possible. C'est la culture qui crée des liens concrets, humains, quotidiens. C'est la culture qui est l'expression d'une vitalité qui doit être encouragée et préservée, si nous voulons la faire vivre, la faire connaître, entretenir ainsi avec les autres pays des échanges libres et féconds. Il n'y a de culture que si les cultures se frottent les unes avec les autres.
Je veux rendre ici hommage à la compétence, à l'enthousiasme, au courage de l'équipe qui anime le Centre culturel de Gaza, dans les conditions que nous connaissons.
Je veux également saluer le travail de l'ensemble de nos centres culturels qui, de Naplouse, à Jérusalem, de Ramallah à Gaza, font rayonner la langue, la culture de notre pays, mais aussi sa vision d'un monde plus ouvert au dialogue, respect des cultures et des civilisations. Ces centres sont une fenêtre sur le monde pour des populations que la colonisation continue d'isoler. Leur contribution est essentielle à l'établissement d'une paix durable dans la région.
Vous le savez, l'action de la France s'inscrit aussi dans le cadre de l'Europe. Ma visite a été précédée, il y a quelques jours, de celle de M. Solana, Haut Représentant pour la politique étrangère de l'Union. Mon homologue espagnol, mon ami, Miguel Moratinos, était ici encore hier. Tout ceci montre combien l'Union européenne s'investit ici pour consolider la paix, pour soutenir la reconstruction. L'Union européenne est le premier donateur des Territoires palestiniens, et sa contribution pour 2005 s'élève à 280 millions d'euros. Mais je crois utile ici de rappeler l'importance du rôle politique qu'elle joue depuis longtemps en faveur de la paix.
Car la paix, la paix précisément, aujourd'hui n'est plus un vu, ni une espérance. La paix est une évidence. La question qui demeure est : quand ? Quand faudra-t-il encore une génération pour la construire ? Ou bien saurons-nous, les uns et les autres, saisir l'occasion qui se présente ici et maintenant ?
La France est, de par la diversité de ses engagements et leur envergure, au plus proche, bien sûr, des acteurs de ce conflit. Nous connaissons, parce que nous travaillons avec vous tous les jours et dans tous les domaines, les progrès qui sont accomplis, les efforts qui sont entrepris, les conditions si difficiles dans lesquelles vous vivez, et qui pourtant ne vous découragent jamais. Cela est remarquable et doit être connu, reconnu et soutenu par tous.
Les conditions de paix sont aujourd'hui très claires. Chacun de nous en connaît les principaux paramètres, qui sont inscrits dans la Feuille de route - ce plan de paix sans précédent puisque les deux parties et le Conseil de sécurité y ont adhéré.
Nous disposons aussi avec la Feuille de route d'un instrument diplomatique fondamental pour encadrer les discussions jusqu'au statut final. Cette Feuille de route définit aussi les moyens par lesquels nous pourrons parvenir à ce qui demeure l'objectif de tous : deux Etats vivant côte à côte dans la paix et la sécurité.
Nous devons donc nous appuyer davantage sur ce document qui comprend déjà certains éléments essentiels, comme le contrôle de la situation sécuritaire dans les Territoires palestiniens, comme la conduite de réformes par l'Autorité palestinienne et comme le gel par Israël de la colonisation des Territoires palestiniens. La construction de la barrière de séparation doit se faire dans le respect du droit international, c'est-à-dire le long de la frontière de 1967 ; l'assise territoriale du futur Etat palestinien inclut les territoires de la bande de Gaza, de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Tous ces éléments fournissent aux deux parties les bases d'un possible accord. Bien entendu, la communauté internationale est résolue à accompagner Palestiniens et Israéliens sur ce chemin vers la paix, mais en dernier ressort, la responsabilité politique, je dis bien politique, appartiendra aux seuls Israéliens et aux seuls Palestiniens. Oui, une chose est sûre : la paix ne se construira ni dans la violence ni par l'exclusion de l'autre. Je le dis aujourd'hui ici devant vous ; je le dirai en Israël demain : il n'y a pas d'autre voie que la négociation et la reconnaissance réciproque, celle du droit de l'autre à exister sur sa terre. La Feuille de route vise, je la cite, "à régler le conflit israélo-palestinien et à mettre fin à l'occupation qui a commencé en 1967". Ni plus, ni moins. Je sais que l'immense majorité des Palestiniens - et des Israéliens - n'aspire à rien d'autre que de vivre ensemble dans cette région. Nous vous y aiderons.
Oui, c'est à vous qu'il revient désormais de saisir l'occasion qui vous est donnée, l'occasion que vous avez su vous donner, de construire la paix maintenant. Un grand pas vient d'être franchi avec le retrait réussi de Gaza.
Il faut que les prochains pas suivent, dans les meilleurs délais, afin de donner toutes ses chances à la réalité de deux Etats vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 septembre 2005)
(Entretien avec RFI à Gaza le 7 septembre 2005) :
La France est engagée concrètement aux côtés des Palestiniens pour la reconstruction en cours de leurs institutions. Il faut le savoir, le programme de James Wolfensohn est notre base de travail, il est concret, il pose des bases solides pour le développement économique de l'ensemble des Territoires palestiniens ; il faut qu'il soit appliqué et la France fera tout pour qu'il le soit.
J'ai examiné avec mes interlocuteurs palestiniens les moyens pour la France et l'Union européenne d'apporter, sur le terrain, un appui stratégique et efficace dans la réalisation de ce programme.
Je voudrais vous dire l'importance que revêt, pour moi, la restructuration de la police palestinienne qui permettra de faire respecter l'Etat de droit qui est, aujourd'hui, un élément fondamental pour la crédibilité des Palestiniens vis-à-vis de la communauté internationale et des Israéliens. Mais nous avons aussi l'aide bilatérale : je me suis rendu tout à l'heure à l'hôpital Shifa pour annoncer que cinq millions d'euros seront consacrés à un plan de santé mentale pour des enfants victimes du terrorisme, pour des enfants qui, à cinq ou six ans, ont vu devant eux l'horreur de l'horreur.
Je suis venu ici avec des spécialistes de la psychiatrie infantile et infanto-juvénile pour former les médecins à soigner ces malades.
Même chose pour la cancérologie. Nous avons établi, entre l'Institut National du cancer à Paris et l'hôpital Shifa, une coopération de formation des médecins.
Egalement, un centre d'épuration pour les eaux usées de Gaza, pour lequel la France a décidé de prendre en charge plus de 37 % du coût du programme européen qui permettra sa construction.
Q - Monsieur Douste-Blazy, pour que le territoire de Gaza soit viable, il faut qu'il soit relié au monde extérieur. Avez-vous discuté de cette question des points de passage, notamment de Rafah et de la construction d'un port avec vos interlocuteurs palestiniens ?
R - Oui, je suis venu ici avec l'un des plus hauts responsables de l'administration du ministère des Transports qui est spécialiste des ports. La France est candidate, au sein de l'Union européenne, pour donner toutes ses connaissances techniques et technologiques pour la création d'un port. Ce port sera-t-il transitoire avec des barges ? Construira-t-on un port plus définitif, à deux ou trois kilomètres, en eau profonde. Je ne le sais pas encore, mais toujours est-il que la France veut qu'il y ait un port.
Il y a aussi les points d'entrée et de sortie à la frontière, j'ai proposé à mes homologues palestiniens de trouver une tierce partie. Si les Israéliens veulent à tout prix tout contrôler et que les Palestiniens trouvent cela anormal ou vice-versa, que les Européens s'en chargent. Je suis pour que des douaniers français, espagnols ou britanniques puissent venir, au nom de l'Union européenne, contrôler ces entrées et sorties car en effet, si Gaza n'est pas ouverte au monde, alors Gaza ne pourra jamais être viable économiquement.
Il y a 60 % de chômage dans la jeunesse de Gaza ; si nous ne faisons rien, alors autant dire tout de suite qu'il n'y aura pas d'avenir pour les Territoires palestiniens. Un avenir pour un territoire, un avenir pour un pays, un avenir pour un Etat, c'est certes un avenir politique collectif, mais c'est aussi un avenir individuel, un projet de vie pour chacun d'entre nous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 septembre 2005)
(Intervention sur RFI à Gaza le 7 septembre 2005) :
Je veux saluer l'évacuation de Gaza. Qui aurait pu dire, il y a encore deux mois, que l'évacuation de Gaza se passerait sans trop de heurts. Nous devons saluer le courage d'Ariel Sharon et du peuple israélien ainsi que l'esprit de responsabilité collectif du peuple palestinien et de l'Autorité palestinienne. Par ailleurs, il est vrai qu'aujourd'hui il n'y a pas de sécurité à Gaza, il y a même un regain de violence, le crime odieux perpétré contre un membre de la famille Arafat le prouve.
Il n'en reste pas moins vrai qu'une des questions majeures aujourd'hui est comment réussir cette première étape de Gaza. Si l'on veut réussir cette première étape de Gaza, il faut donner à l'administration palestinienne la capacité de faire respecter l'Etat de droit sur le territoire palestinien et, pour cela, il faut une restructuration de la police, une formation de la police, il faut qu'elle soit professionnalisée, contrôlée et commandée. La France, dans le cadre de l'Union européenne, prendra toute sa part à cet effort.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 septembre 2005)