Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France 2 le 9 juin 2005, sur les mesures pour l'emploi, annoncées dans le discours de politique générale par Dominique de Villepin.

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Texte intégral

Q- Après la nomination de G. de Robien, apparenté UDF, comme nouveau ministre de l'Education nationale, faut-il en effet revoir toute la loi Fillon ?
R- La loi Fillon est une affaire qui me laisse extrêmement perplexe, parce qu'il y a eu de grandes manifestations contre, de la part des gens qui la défendaient, il y a eu des proclamations pour, et ce que je vois, c'est qu'il n'y avait pas grand-chose à l'intérieur. Donc, voilà, cela fait partie des crispations habituelles du système. Je préfèrerais que l'on se batte quand il y a vraiment du contenu, et du contenu lourd. Mais, pour le bas, vous en parliez, je suis un défenseur du bac.
Q- C'est-à-dire que vous êtes contre le contrôle continu ?
R- Non, il y a des disciplines où l'on peut faire du contrôle contenu, on peut améliorer les choses. Mais l'idée qu'il existe, à la fin de la scolarité et du secondaire, un moment solennel, formel, un peu rituel, où les jeunes qui achèvent leurs études secondaires, au fond, se confrontent à des moments importants de la vie, je trouve que c'est bien. Il n'y a pas seulement un aspect scolaire dans le bac. Il y a un aspect rite de passage et je trouve cela bien.
Q- Revenons à un autre rituel, qui est le discours de politique générale de D. de Villepin hier. Il a plutôt fait dans le concret. Mais est-ce un concret qui vous convient, avec des mesures comme le chèque emploi-entreprise, le contrat d'essai ?
R- Cela se doit s'examiner mesure par mesure. A la fois, je refuse le chèque en blanc, et je suis dans une situation d'objectivité, en disant que, si quelque chose est bien, je le soutiendrais, et que si quelque chose ne l'est pas, je le critiquerais. Et on a besoin, me semble-t-il, de cette démarche d'objectivité. En France, dans la politique, soit on est à fond pour, soit on est à fond contre, pour tout ou contre tout. L'UDF a choisi une démarche originale, plus libre, qui consiste à examiner au cas par cas chacune des mesures.
Q- C'est pour cela que vous n'avez pas voté ?
Si on vote la confiance, c'est un chèque en blanc. Cela veut dire : "Je suis en accord complet avec ce que vous faites". Or, vous le savez bien et on va le voir, je ne suis pas en accord complet avec la démarche choisie, et je pense qu'il faut réfléchir à une autre démarche.
Q- C'est la démarche globale, c'est-à-dire le fait d'annoncer des mesures et de procéder par ordonnances, ou est-ce qu'il y a dans le texte ?
R- Peut-être faut-il expliquer ce que sont les ordonnances. Cela veut dire : décider qu'il n'examinera pas les mesures qui sont présentées...
Q- Et que c'est le Gouvernement qui prend des dispositions sans en référer aux élus de la République.
R- Or nous venons de connaître un moment de rejet extrêmement fort par les Français. Il n'y a donc pas de contrat avec les Français, il n'y a pas de "mandat" comme l'on dit. Les Français n'ont pas donné leur accord pour que l'on fasse une politique, au contraire. Donc qu'est-ce que cela veut dire de demander au Parlement de ne plus faire son travail d'examen des mesures ? Cela veut dire que les Français, les partenaires sociaux n'ont pas le relais et le débat qu'ils sont en droit d'attendre, pour que soient examinées dans leur précision les mesures que l'on propose. Et c'est quelque chose qui, me semble-t-il, va tout à fait dans le mauvais sens. Qu'est-ce que ce pays dans lequel nous avons un Parlement croupion, qui a déjà si peu de pouvoirs que c'est la risée des autres parlements européens par exemple et qui, de plus, se déshabille lui-même en disant que ces mesures-là, qui sont les plus importantes, il ne les examinera pas. Je trouve que cela ne va pas bien !
Q- Quand J.-L. Debré, président de l'Assemblée nationale, hier, à votre place, dit que "cela ne [le] choque pas plus que cela que l'on procède par ordonnance...
R- Je n'ai pas de leçon à donner au président de l'Assemblée nationale, mais il me semble que le président de l'Assemblée nationale devrait défendre l'Assemblée nationale ! Il me semble que les députés devraient défendre l'Assemblée nationale, ou alors ils se mettent dans le cas que les citoyens pensent - et ils le pensent souvent - que notre démocratie ne sert à rien, que le Parlement ne sert à rien.
Q- Dans le même temps, les plus critiques disent qu'"il n'y a pas grand-chose dans ces mesures". S'il n'y a pas grand-chose dans ces mesures, cela méritait-il débat à l'Assemblée nationale ? N'y a-t-il pas un petit côté contradictoire ?
R- Dire qu'"il n'y a pas grand-chose" dans un plan que l'on présente solennellement comme une "nouvelle impulsion", comme on le dit - j'ai compté hier qu'à la tribune, c'est le neuvième plan que l'on fait dans le même sens depuis vingt ans, avec les mêmes mots. Cependant, il faut examiner les mesures. Peut-être qu'il a des choses bien là-dedans ?
Q- Par exemple, y a-t-il des choses qui vous plaisent ?
R- Oui, il y a des choses qui me plaisent. Par exemple, ce que l'on fait pour les plus âgés, les plus de 45 ou 50 ans, c'est bien...
Q- C'est encore très jeune, les plus de 45 ou 50 ans !
R- Il y en a même quelques-uns qui sont encore en forme ! C'est bien. Par exemple, dire que "dans la fonction publique, il n'y a plus de limite d'âge pour entrer", je trouve cela très bien. C'est donc une mesure que l'on doit examiner et elle recevra l'accord du Parlement...
Q- La hausse, le coup de pouce au Smic aussi ?
R- ...De la même manière, que cette sanction Delande, c'est-à-dire, l'idée que lorsque vous avez un licenciement d'un plus de 50 ans, cela devient tellement difficile que plus personne n'embauche de plus de 50 ans, je trouve intéressant que l'on y réfléchisse, je trouve ça bien et cela va dans la bonne direction. Autrement dit, oui, il y a des choses bien, elles méritent d'être examinées par le Parlement.
Q- "Le contrat à l'essai pendant deux ans", cela vous choque-t-il ?
R- Cela me choque d'abord dans la dénomination. Parce que, prétendre que l'on fait un CDI - un contrat à durée indéterminée - avec une période d'essai de deux ans, c'est un abus de langage. Cela veut dire que c'est un contrat à l'essai pendant deux ans, un CCD de deux ans sans les sécurités du CDD. Et pourquoi cela ne s'adresse-t-il qu'aux moins de 25 ans ? Il y a là quelque chose qui ne me rassure pas...
Q- Une précarité pour les jeunes.
R- Une réflexion générale : on dit toujours que les entreprises n'embauchent pas, parce que c'est trop lourd. Je pense qu'elles n'embauchent pas, parce qu'elles n'ont pas besoin du salarié. Et donc l'activité économique, la croissance si l'on veut, la création d'emploi, c'est plus important à mon avis que bien des dispositions réglementaires. Alors, qu'il faille alléger et rassurer, j'en suis complètement d'accord. Cette voie est-elle la bonne ? Je demande que l'on y réfléchisse.
Q- "Le chèque emploi-entreprise" va un petit peu ressembler au "chèque emploi-service" des particuliers. Cela peut-il inciter en effet un artisan, un commerçant à embaucher une vendeuse, ou payer une vendeuse... ?
R- Il vaudrait mieux simplifier beaucoup les embauches et les fiches de salaire. Je pense qu'une simplification générale de l'administration est utile et même nécessaire en France, tant c'est lourd. Enfin... Si cela peut aller dans le bon sens, pourquoi pas ? Il ne faut être systématiquement critique.
Q- Vous dites que ce qui va faire la différence, c'est la croissance et l'activité économique. Mais cela ne se décrète pas !
R- "Cela ne se décrète pas" , mais cela s'aide.
Q- Comment ?
R- Vous l'avez vu hier à la tribune : j'ai évoqué un certain nombre d'idées, par exemple, une réforme fiscale qui aille dans le sens de l'encouragement. Par exemple, une place plus grande apportée à la "refondation sociale", c'est-à-dire au dialogue social, en France comme dans tous les autres pays où la croissance ferait mieux...
Q- Inventer un nouveau "modèle social français" ?
R- ...Voilà. "Inventer un nouveau modèle social français", modèle économique français, qui soit de nature à donner confiance et pas à inquiéter. Il me semble que très souvent, on va dans ce sens-là.
Q- Il y a quelques années, un commissaire au Plan, H. Guaino, avait estimé à 7 millions le nombre de personnes en France qui étaient en dehors du marché du travail, c'est-à-dire, quand on cumule les chômeurs, les gens qui sont au RMI. A-t-on aujourd'hui une idée des chiffres ? Ou, faut-il commencer à étudier cela ?
R- Il faut étudier cela et, en tout cas, je compte m'y impliquer. Selon moi, ce sont au moins 5 millions de personnes qui sont aujourd'hui en dehors des statistiques officielles de l'emploi. Parce qu'il y a aussi un traitement statistique de l'emploi auquel il faut faire très attention. Les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, essayant de faire baisser les statistiques, plutôt ou faute de faire baisser le chômage.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 juin 2005)