Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur la politique de l'emploi du Gouvernement, la défense de l'emploi et les manifestations interprofessionnelles, Paris le 9 juin 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestation interprofessionnelle pour la défense et le développement de l'emploi industriel à Paris le 9 juin 2005

Texte intégral

Chers camarades,
C'est avec une grande satisfaction, une grande fierté et une grande détermination que je vous souhaite la bienvenue dans les rues de Paris.
Je vous remercie d'être venus si nombreux en ces circonstances si particulières. Nous en avons grandement besoin aujourd'hui plus qu'hier encore.
Vous êtes là pour la défense de l'emploi industriel, pour les salaires, les conditions de travail, autant de sujets sur lesquels on ne veut pas nous entendre depuis trop longtemps.
La saignée de l'emploi industriel a été sans précédent ces trente dernières années. Les batailles ont été dures, souvent très dures depuis les grandes luttes des mineurs puis des métallurgistes, puis des salariés de l'automobile, de la chimie, du textile Nous sommes loin de les avoir toutes gagnées. Certaines ont pu laisser un sentiment d'amertume et de désarroi auquel s'ajoute celui d'avoir été floué dans des régions entières. Mais c'est grâce à elles qu'aujourd'hui la France peut encore se considérer comme un pays industriel, que nous avons encore les moyens de débattre d'un certain nombre de choix pour l'avenir.
9 fédérations du secteur privé et du secteur public - Métallurgie, chimie, construction, agro-alimentaire, énergie, télécoms, textile, arsenaux, verre et céramique- avec l'appui de la confédération ont contribué à rouvrir un débat que certains croyaient clos depuis 20 ans. Non, l'industrie ce n'est pas fini ! C'est une dimension essentielle de l'avenir pour laquelle la Cgt a décidé de poursuivre son combat.
Cette journée en apporte le témoignage : manifestations professionnelles le matin et interprofessionnelle cet après-midi ; des initiatives complémentaires prises dans de nombreux départements pour tous ceux qui n'ont pas pu se déplacer à Paris.
Mais votre présence témoigne aussi de votre mobilisation au lendemain du discours de politique générale du nouveau Premier ministre, véritable provocation pour les salariés.
Sans la culture enracinée dans le monde du travail, sans le travail vivant des ouvriers, des employés, des ingénieurs, des techniciens pas de valeur qui vaille et pas de valeur qui dure. Sans eux pas d'électricité, pas de pétrole, pas d'idée ; pas de molécule qui soigne, pas d'électron qui circule, pas de couverture de réseau, pas de couverture du tout. Sans eux rien ne roule, rien ne vole, tout s'arrête. Ce sont les meilleurs atouts de notre industrie, cessons de les attaquer.
Quand la plupart des salariés vivent avec la menace permanente sur leur emploi,
Quand les délocalisations sont utilisées comme un moyen de chantage pour extorquer des diminutions de salaires ou des augmentations de cadences et du temps de travail,
Il ne faut pas s'étonner, qu'à la première occasion donnée, les salariés disent " stop on n'est plus d'accord ! ".
Et c'est bien ce message, sans équivoque, qu'une grande majorité des salariés ont délivré le 29 mai lorsqu'ils ont été consultés sur le Traité européen.
Pour nous, ce n'est pas le métallo polonais qui est en cause, chaque travailleur, où qu'il se trouve, doit être reconnu et doit pouvoir vivre dignement de son travail en Europe comme partout dans le monde.
Nous ne confondons pas victimes et responsables d'un système où les salariés sont mis en concurrence au plus grand avantage des firmes multinationales.
Cher(e)s camarades,
N'hésitons pas à demander des comptes, n'hésitons pas à mettre sur le grill la gestion des firmes, la recherche effrénée de la rentabilité au seul profit des actionnaires, la vision à court terme qui fait sacrifier des milliers de salariés pour un hypothétique bénéfice supplémentaire.
Arrêtons le massacre ! Il faut réorienter les ressources disponibles des firmes vers les besoins. Ces 3 dernières années c'est 55 milliards de cadeaux faits aux actionnaires sous forme de rachat d'actions, 55 milliards d'euros totalement stérilisés contre l'emploi et la croissance. C'est intolérable de la part de ceux qui affirment qu'il manque de l'argent pour augmenter les salaires, développer la recherche, investir dans les nouvelles technologies. Les grandes firmes font des bénéfices record. Mais, en dépit des gros mensonges du Medef, clairement démentis par les statistiques, c'est l'ensemble des entreprises qui, l'année dernière, ont globalement amélioré leurs résultats, tandis que les salaires régressaient, les investissements stagnaient et l'emploi industriel diminuait.
Quand un emploi industriel disparaît, ce sont 4 à 6 emplois qui sont directement menacés dans la filière, dans les services ou dans d'autres activités du bassin d'emploi. Il n'y a pas de politique de l'emploi sans une dimension industrielle affirmée et, s'il existe d'autres potentialités, il est absurde et dangereux de penser qu'elles pourraient se développer sans lien étroit avec les activités productives.
Il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Par contre, il y a des décisions des directions d'entreprise et des pouvoirs publics qui peuvent précipiter la ruine du tissu industriel ou, au contraire, le stabiliser et le développer. C'est bien face à une telle alternative que nous sommes.
Il est temps de faire place à une nouvelle politique industrielle et nous en avons les moyens. Les citoyens l'ont dit clairement. Ils veulent que, face aux logiques du marché et aux jeux de pouvoir qu'elles nourrissent, l'intervention collective retrouve tous ses droits. L'Etat n'est pas condamné à être un spectateur, il peut agir au plan local, au plan national jusqu'au niveau européen. Ce n'est pas vrai que tout a été essayé. Au contraire, l'Etat depuis 20 ans laisse filer sans se donner les moyens d'agir sur les évolutions économiques et sociales.
Face à cela, sincèrement, j'ai beau y regarder de près, je ne vois rien de nature à changer vraiment la situation dans ce que nous a annoncé le nouveau Premier Ministre hier. Bien au contraire !
Oui, je sais bien, comme vous, que les illusions se sont dissipées dès lors qu'après le 29 mai, la seule réponse " innovante " a été de réinstaller quasiment les mêmes ministres dans des bureaux différents !
Mais, il fallait en avoir le cur net, maintenant nous l'avons !
A l'évidence, M. de Villepin n'a, en rien, pris la mesure des exigences sociales qui se sont exprimées dans les mobilisations de ces derniers mois comme à travers les 3 scrutins de ces 2 dernières années.
Non seulement les aspirations des salariés actifs, retraités, privés d'emploi ne sont pas prises en compte mais, pire, le premier ministre annonce que " le cap des lois déjà votées sera tenu ", la cadence des réformes autoritaires et inégalitaires sera accélérée.
Le plan dit " d'urgence pour l'emploi " consiste surtout à précariser les salariés et à offrir de nouveaux cadeaux aux employeurs.
Par exemple, l'instauration d'un nouveau type de contrat de travail offrira aux employeurs la possibilité d'avoir des salariés à l'essai pendant 2 ans et donc licenciables du jour au lendemain. C'est la fin programmée du contrat à durée indéterminée revendiquée par le Medef.
C'est aussi l'obligation pour les chômeurs et les jeunes, moyennant une prime de 1 000 euros, d'accepter n'importe quel travail, à n'importe quel prix, sous peine de sanctions.
C'est encore la mise en place du chèque-emploi qui réinstaure le travail journalier ou à la tâche.
C'est enfin le renforcement spectaculaire des exonérations de cotisations patronales, alors qu'elles ont déjà été multipliées par 10 en 10 ans, sans effet sur le chômage. 4,5 milliards supplémentaires qui s'ajoutent aux 20 milliards déjà empochés par les employeurs au nom de l'emploi.
Le Code du Travail est bel et bien dans l'il du cyclone. Le premier ministre parle de politique industrielle, mais c'est pour confirmer immédiatement la privatisation des entreprises publiques, notamment EDF et GDF.
Je le dis solennellement devant vous aujourd'hui : il est pour nous inacceptable que le gouvernement ait décidé de procéder par ordonnances pour mettre en cause la nature même des contrats de travail dans les entreprises. Ce matin, c'est Monsieur Copé qui nous annonce que tout doit être bouclé pour le 1er septembre.
La Cgt ne donnera aucun chèque en blanc à ce gouvernement et au Medef pour modifier comme bon lui semble nos garanties collectives.
Nous combattrons pied à pied cette politique qui doit tout au libéralisme et rien aux exigences sociales.
La Cgt n'a aucune raison de laisser 100 jours à un gouvernement qui n'a mis que 10 jours pour s'attaquer une nouvelle fois au droit du travail.
Et, pour tout dire, il serait quand même normal qu'en de pareilles circonstances, l'ensemble du mouvement syndical de notre pays se retrouve, qu'il se rassemble dans l'unité, pour donner plus de force et plus de poids aux revendications portées dans les entreprises, dans les branches professionnelles et face au gouvernement.
Il n'y a aucune raison pour abandonner aujourd'hui les revendications qui nous ont mobilisées ensemble le 10 mars dernier et en d'autres occasions.
Malgré les efforts que nous avons faits ces derniers jours, nous ne sommes pas encore parvenus à cette unité syndicale pourtant si nécessaire.
Nous ne renonçons pas à y parvenir avec votre aide.
Cependant, quand les circonstances l'exigent, il faut savoir prendre ses responsabilités sans tarder. C'est la raison pour laquelle la Cgt a décidé d'en appeler à la mobilisation des salariés dans l'ensemble des professions et des départements le 21 juin prochain :
- pour dire au gouvernement qu'il est à côté de la plaque
- pour porter dans chaque entreprise, les revendications de salaires, d'emplois qui doivent maintenant faire l'objet de négociations et de résultats concrets.
La puissance de la mobilisation d'aujourd'hui, ici à Paris et dans les régions, est un formidable encouragement à poursuivre notre action revendicative tous ensemble.
C'est aussi une bonne occasion pour inviter des milliers de salariés à s'engager, à s'organiser dans les syndicats de la Cgt.
Cher(e)s camarades,
Unis et déterminés nous sommes plus forts,
Unis et déterminés, nous pouvons gagner,
Alors unis et déterminés, mobilisons nous et préparons partout la journée du 21 juin prochain !
(Source http://www.cgt.fr, le 4 août 2005)