Interviews de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF à LCI le 30 août 2005 et à France-Info le 1er septembre, sur la politique économique et fiscale du Gouvernement, le pouvoir d'achat et les relations avec les partenaires sociaux.

Prononcé le

Média : France Info - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

LCI Le 30 août 2005
Q- Le titre des Universités d'été que vous tenez en ce moment à Jouyen- Josas est : "Ré enchanter le monde". N'est-ce pas un peu provocateur, à l'heure où l'emploi est en berne, où le pouvoir d'achat s'étiole, et où la morosité domine ?
R- Non, au contraire. C'est un thème philosophique tout à fait majeur, beaucoup de sociologues et de grands historiens ont réfléchi à cette question qui n'est pas nouvelle, comment...
Q- Ils ont même écrit des livres sur "le désenchantement".
R- Absolument, comment recréer du merveilleux, comment être sous le charme. Et de plus, il est vrai que, dans notre pays, aujourd'hui, la question se pose d'une manière peut-être plus aiguë qu'ailleurs. Je crois que l'on peut dire que la France, aujourd'hui, a "la gueule de bois", peut-être plus encore depuis le vote au référendum qu'avant.
Q- Alors, vous voulez aller contre cette "gueule de bois", et vous proposez de bonnes intentions. D'abord, l'ouverture à l'endroit des organisations syndicales. Si l'on teste ces bonnes intentions, première chose : qu'entendez-vous faire au plan salarial ? Si j'ai bien compris ce que vous avez dit hier : "faible croissance, c'est faible pouvoir d'achat, on ne peut donner, dites-vous, pour les entreprises, que ce qu'elles ont". N'est-ce pas faire très vite peu de cas des bilans assez confortables d'un certain nombre d'entreprises, sans parler des indemnités parfois insolentes de certains dirigeants d'entreprises ?
R- Mais vous parlez de masses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. Vous pouvez avoir de belles rentabilités, et tant mieux, parce que nous avons besoin de grands champions dans notre pays, donc vous avez des belles rentabilités sur quelques grandes entreprises, et l'ensemble, parallèlement, de notre tissu économique en France, ce sont les PME et les TPE. Et ces entreprises-là, ont au contraire besoin de souffler un peu, parce qu'elles sortent de moments difficiles, et il ne faut pas se tromper sur l'ordre des choses, quand on parle du pouvoir d'achat. Le pouvoir d'achat, c'est une conséquence de la situation, ce n'est pas une cause de la situation. Ce n'est pas en agissant sur le pouvoir d'achat que l'on améliorera la situation, au contraire, c'est peut-être en essayant de faire ainsi que l'on risque de l'aggraver. Des augmentations salariales ne sont donc pas à l'ordre du jour...
R- Mais, attendez, attendez, excusez-moi, vous savez que dans chaque entreprise...
Q- Non, je vous dis cela, parce que toutes les organisations syndicales le demandent.
R- Non non, mais parce que cela ne se décide pas comme ainsi. Dans chaque entreprise, en France, chaque année, il y a des négociations salariales avec les représentants des salariés de l'entreprise, et en fonction des résultats de l'entreprise, des marges de manuvres de l'entreprise, des augmentations sont décidées.
Q- Souhaiter une augmentation de la prime pour l'emploi, comme vous le faites, n'est-ce pas se défausser de ses responsabilités sur les pouvoirs publics ?
R- Non, cela n'a rien à voir. Pourquoi, ai-je évoqué cette question ? Parce qu'il me semble très important que dans notre pays l'on retrouve le goût du travail. Et aujourd'hui, bien souvent, dans un certain nombre de cas, il n'y a pas de différence significative entre les revenus de l'assistance et les revenus du travail. Il faut que, travailler soit rémunérateur. Et l'on sait très bien que pour favoriser un retour à l'emploi, une prime pour l'emploi peut être un mécanisme efficace. Cela a été expérimenté dans d'autres pays autour de nous, et cela a donné des résultats tout à fait probants.
Q- Cela, c'est davantage de l'ordre de la pédagogie pour le retour au travail que de l'augmentation du pouvoir d'achat, en réalité ?
R- Globalement, de quoi souffrons-nous aujourd'hui dans notre pays ? C'est de travailler insuffisamment. Si vous faites quelques comparaisons, aux Etats-Unis, un salarié américain moyen, travaille en général 1950 heures par an, aujourd'hui, en France, on est à 1500 heures.
Q- Vous demandez "une réforme de la fiscalité", dans l'entretien que vous accordez aujourd'hui au Figaro. Très concrètement, vous souhaitez-vous une baisse de la fiscalité sur les entreprises ?
R- Je crois que l'on peut se demander si nous n'avons pas besoin, en France, aujourd'hui, d'un vrai choc fiscal, pour rebooster la croissance.
Q- Vous avez lu les conclusions du Conseil d'analyses économiques qui vont être présentées au Premier ministre, qui souhaite un big-bang fiscal, en êtes-vous partisane.
R- Cela serait tout à fait souhaitable. Je crois qu'il faut admettre clairement, et je souhaite que les Français comprennent bien cela, que nous avons en France le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde, au monde ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous n'avons pas les moyens d'être compétitifs. Donc il faut baisser significativement les impôts directs, notamment sur les entreprises mais aussi sur les particuliers.
Q- Actuellement, l'impôt sur les entreprises, c'est 33 %.
R- 33 %, la moyenne européenne est à 25.
Q- A combien faudrait-il aller selon vous, rapidement, dans les trois
ans qui viennent ?
R- Je ne vais pas vous donner de chiffres, mais entre 33 et 25 on voit que l'on a une marge de manuvre vers laquelle on devrait tendre.
Q- La proposition de D. Strauss-Kahn "d'augmenter la TVA", cela vous paraît-il correct pour corriger les délocalisations, en tout cas les effets des délocalisations, ou cela vous semble-t-il une idée farfelue ?
R- C'est une idée qui mérite d'être débattue. Plusieurs spécialistes évoquent cette question de "a TVA sociale" qui permettrait une prise en charge, d'une manière différente, de tout notre système social ; c'est assez compliqué. Personnellement, j'ai pris une décision hier qui a été approuvée par le Conseil exécutif du Medef, qui était de créer une Commission fiscale, qui va être dirigée par une femme, Madame Coisne, qui aura notamment pour mission de réfléchir à l'intérêt de ce type de formule.
Q- Vous avez exprimé le souhait que soit recréé "un environnement juridique plus favorable aux entreprises". Cela signifie-t-il, derrière cette phrase, oui ou non, que vous souhaitez que soit refondu, remodifié, le Code du travail ?
R- Il est vrai que les entreprises sont toujours...
Q- Il faut appeler un chat un chat.
R- Non, mais attendez...les entreprises sont confrontées à tout un tas de contraintes et d'insécurité juridique, d'une part, et d'autre part, à un système de droit qui ne leur permet pas de s'adapter aussi vite que l'économie le pousse à le faire. Donc, nous avons une question de timing, tout simplement, qui ne convient pas. Regardez le Code du travail : d'une manière différente de ce que l'on fait aujourd'hui, cela ne veut pas dire forcément retirer de la protection aux salariés. J'ai toujours dit que, compte tenu du lien de subordination qu'il y avait entre le salarié et l'employeur, le salarié avait tout à fait le droit à un certain nombre de protections, mais en revanche, regardez comment le Code du travail peut évoluer pour être conforme au monde d'aujourd'hui, oui, c'est quelque chose qu'il faut faire.
Q- Il faut donc très rapidement ouvrir des discussions avec les organisations syndicales, voire avec les pouvoirs publics, une grande négociation tripartite sur le sujet ?
R- Non non non, ce n'est pas du tout cela. Le problème est compliqué et ancien, il n'est pas question...
Q- Mais il est toujours reporté.
R- Non, mais, regardons les choses calmement, étape par étape. Je proposerai, par exemple, de regarder avec les syndicats, si nous ne pouvons pas nous entendre sur ce qui doit relever du contrat et sur ce qui doit relever de la loi. Avant même de changer la nature des choses, essayons déjà de les mettre dans des catégories claires, à l'intérieur desquelles, peut-être, ultérieurement, nous pourrons travailler.
Q- Les bonnes intentions d'ouverture que vous manifestez vont être testées à deux reprises. D'abord, allez-vous faire un effort pour sortir de l'enlisement les négociations sur la pénibilité du travail et l'emploi des seniors ?
R- Quand vous parlez de "bonnes intentions", je voudrais que l'on se comprenne bien : je ne suis pas naïve, je ne suis pas angélique. Je voudrais simplement qu'en France, aujourd'hui, nous ayons un mode de relations entre différentes institutions, entre différentes catégories, plus normal, plus respectueux et plus correct. C'est d'abord cela que je voudrais établir avec les grandes centrales syndicales.
Q- Une précision, parce que cela va être un test : négociations sur la convention chômage, l'Unedic. Déficit, 13 milliards et demi d'euros. Allez-vous militer pour un retour à la dégressivité des indemnités chômage ?
R- La position du Medef n'est pas encore arrêtée sur cette question. La seule chose que je peux vous dire pour le moment, c'est que nous souhaitons, et je ferai tout pour que nous nous donnions les moyens d'aboutir. Cela veut dire que je souhaite que la gestion de l'Unedic reste une gestion paritaire, entre employeurs et centrales syndicales.
Q- D'un mot, hier était invité Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, président de l'UMP ou peut-être futur candidat à la présidence de la République. Le Medef a-t-il pour candidat N. Sarkozy ?
R- Le Medef n'a aucun candidat. Le Medef souhaite contribuer au débat d'idées dans notre pays, mais indépendamment de toute préférence partisane.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 août 2005)
France Info Le 1er septembre 2005
Q- Vous l'avez répété durant toute l'université d'été du Medef, que vous présidez désormais : vous voulez revaloriser le travail. Mais qu'est-ce que l'entreprise peut apporter aux salariés ? Des salaires plus élevés ?
R- Sur la question du pouvoir d'achat que vous évoquée, en formulant les choses ainsi, il faut bien comprendre que ce n'est pas simplement une question de politique de salaire. C'est aussi une question de politique de revenu. Et salaire et revenu, ce n'est pas tout à fait la même chose. Je crois que ce qui va peut-être être dit par le Premier ministre ce matin est tout à fait intéressant de ce point de vue-là. Il est très important que nous ayons une fiscalité qui encourage le travail et non pas qui le pénalise.
Q- Etes-vous d'accord avec la petite phrase de N. Sarkozy, qui expliquait qu'il y a un trop petit écart entre les gens qui vivent de leur revenu et ceux qui vivent de la solidarité
nationale ?
R- C'est un point tout à fait important et un des éléments de disfonctionnement de notre système. N. Sarkozy l'a dit mais d'autres aussi. Je vous rappelle le rapport de M. Hirsch sur la pauvreté dans notre pays, qui mettait ce point en avant. Il n'est pas aujourd'hui toujours valorisant, encourageant, de passer des revenus d'assistance aux revenus du travail. La prime pour l'emploi peut corriger ce disfonctionnement.
Q- D. de Villepin doit donc annoncer tout à l'heure un plan de réformes fiscales. Qu'est-ce que vous en attendez, pour les entreprises ? La suppression de l'ISF ?
R- Non, pas du tout, ce n'est pas du tout la priorité, même si c'est un point qu'il faudra examiner au global. Je crois que ce que nous attendons avant tout du Premier ministre, c'est un ton, un ton qui encourage, un ton qui soit motivant, un ton qui permette aussi à tout le monde de comprendre l'importance de l'entreprise dans la création de richesses de notre pays. Nous sommes en train de nous attrister face à une croissance molle, c'est tout à fait vrai et embêtant, mais ne soyons pas passifs face à ça. Il s'agit surtout de mobiliser les énergies et le Premier ministre a, de ce point de vue-là, un rôle important.
Q- Mais concrètement, est-ce que vous appelez de vos vux une baisse de la fiscalité des entreprises ?
R- Pas seulement des entreprises. Il faut que nous ayons dans notre pays une fiscalité simple, compréhensible, lisible. Aujourd'hui notre système fiscal est une usine à gaz soviétique, très rouillée. Et on essaye de faire des branchements nouveaux à chaque instant pour pallier telle fuite ici ou là. Donc, cette exigence est tout à fait forte. Deuxièmement, ne prenons pas simplement la question de la fiscalité, mais celle beaucoup plus général des prélèvements obligatoires. Il faut que les Français comprennent bien que nous avons le taux de prélèvement obligatoire le plus élevé au monde. Il faut donc penser un système qui permette de libérer les énergies.
Q- Parlons du chômage maintenant. Le chômage est en baisse pour le quatrième mois consécutif, alors même que l'économie va mal nous dit-on. La croissance est atone, la consommation des ménages va mal, les entreprises n'investissent plus. Est-ce complètement paradoxal ?
R- Ce n'est pas que "l'économie va mal". L'économie va mollement et on aimerait qu'elle aille un peu mieux. Il ne faut pas non plus complètement regarder les choses en noir. Maintenant, la baisse du chômage qui a été officielle hier par les chiffres de l'Insee est une excellente nouvelle pour tout le monde. Et il faut tout faire pour continuer, encourager, amplifier ce mouvement. D'après les premières analyses qu'on peut faire des chiffres d'hier, il semblerait qu'il y ait un impact significatif des contrats de professionnalisation, cette nouvelle forme de contrat d'apprentissage. Il faut vous rappeler que c'est une initiative conjointe, Gouvernement et partenaires sociaux, d'aller dans ce sens. Donc je crois que nous sommes là sur des voies tout à fait prometteuses.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e septembre 2005)