Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la tenue du SPACE 2005, la contribution du secteur agricole à la richesse nationale et les attentes de la FNSEA concernant la conduite de la PAC et le projet de loi d'orientation agricole, Rennes le 13 septembre 2005.

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Circonstance : Salon de l'élevage à Rennes du 13 au 16 septembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de l'Agriculture et de la Pêche,
Monsieur le Ministre délégué à l'Enseignement supérieur et à la Recherche,
Monsieur l'Ambassadeur de Nouvelle-Zélande,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil Régional de Bretagne,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les exposants,
Chers Amis,
Le SPACE est heureux de vous accueillir aujourd'hui, Monsieur le Premier Ministre
Vous avez accepté spontanément mon invitation, et vous avez choisi le SPACE pour votre première rencontre sur le terrain avec le monde agricole et pour votre premier grand discours sur l'agriculture depuis que vous êtes Premier Ministre.
Nous en sommes très honorés. Et nous vous en sommes d'autant plus reconnaissants que vous avez décidé de maintenir votre visite, malgré l'évolution récente de votre agenda.
Chacun sait que vous êtes en effet amené à représenter la France au 60 ème anniversaire de l'ONU, à NEW-YORK, où vous vous exprimerez au nom du Président de la République, à qui nous adressons nos vux de rapide et complet rétablissement.
Votre présence aujourd'hui est le témoignage de l'intérêt que vous portez à l'agriculture et à l'élevage. Elle est un bel hommage aux éleveurs, à leur métier passionnant et difficile, à la fonction essentielle qu'ils remplissent, avec les entreprises qui constituent avec eux les filières animales, la plus noble fonction qui soit : fournir aux hommes une alimentation riche et diversifiée, saine et de qualité.
C'est un bel hommage à leur contribution à la richesse économique de notre pays, à l'équilibre de son commerce extérieur, à la vitalité de ses territoires.
C'est un bel hommage aussi à toutes ces PME et PMI présentes au SPACE, le plus souvent implantées en milieu rural, au cur de nos villages, où elles font vivre la ruralité avec nous, les agriculteurs, participant au maintien et à la création d'emplois répartis dans nos campagnes.
Ces exposants du SPACE rivalisent aussi d'ingéniosité pour accompagner les éleveurs dans l'évolution de leurs exploitations, pour optimiser sans cesse les conditions de production en élevage.
Vous avez pu vous en rendre compte pendant votre visite, où vous avez vu, pendant cette plongée dans le monde de l'élevage, plusieurs des nouveautés, les INNOV SPACE, présentées aux visiteurs.
Avec plus de 1 300 exposants, plus de 1 800 marques représentées et plus de 100 000 visiteurs professionnels, le SPACE est devenu le Salon professionnel de référence en France pour l'élevage et il est l'un des tout premiers Salons européens et mondiaux dans ce domaine.
Le SPACE est en effet de plus en plus international. Au niveau des exposants : un tiers vient des autres pays et nous enregistrons la première participation de plusieurs exposants de Pologne, de Corée, de Chine, de Nouvelle-Zélande. International aussi au niveau des visiteurs : 9 000 l'an dernier. Et cette année, nous recevrons encore de nombreuses délégations de tous les continents. Nous bénéficions de l'appui d'UBI France et du Ministère de l'Agriculture, via l'ADEPTA.
Merci, Monsieur le Ministre, pour votre soutien. Merci aussi à la Région Bretagne, Monsieur le Président, pour son appui indéfectible à la promotion internationale du SPACE, tous les ans depuis sa création.
Au cours de cette visite, vous avez pu ressentir à la fois la passion des éleveurs pour leur métier et leurs profondes inquiétudes pour leur avenir. Vous avez pu mesurer l'importance économique et sociale des productions animales représentées ici.
Le SPACE symbolise bien, au niveau de l'élevage, ce qu'est l'agriculture pour notre pays.
Et vous comprendrez qu'en m'exprimant ici aujourd'hui, je ne peux oublier mes autres responsabilités de Président de la FNSEA. Monsieur le Premier Ministre, la France, plus que jamais, a besoin de son agriculture.
Dans cette époque de prospérité, certains entretiennent l'illusion que notre pays pourrait se passer de son agriculture.
C'est une illusion dangereuse. Et les responsables politiques qui se laisseraient bercer par cette illusion commettraient une triple faute :
- une faute contre l'emploi
- une faute contre notre indépendance énergétique
- une faute contre notre sécurité alimentaire
[L'agriculture : un gisement d'emplois]
Monsieur le Premier ministre, dans votre discours de politique générale, vous avez affirmé que "le premier objectif du Gouvernement, sera d'aller chercher les emplois là où ils se trouvent".
Et bien vous avez eu raison de venir au SPACE, car vous êtes ici au cur d'un formidable gisement d'emplois.
Vous avez dans cette salle, tous les représentants de la dynamique économique de l'agriculture, avec son amont et son aval et qui tous ensemble sont le premier employeur de France !
Il n'est pas acceptable d'entendre Tony Blair dire que l'agriculture est une activité ringarde qui ne représente que 2% des emplois en Europe. C'est une véritable caricature !
Il faut remettre les choses à leur place et dans leur juste dimension.
L'emploi en agriculture ne s'arrête pas aux exploitants et à leurs salariés.
À ceux-là il faut ajouter les emplois dans l'agro-équipement, les services, l'industrie agro-alimentaire mais aussi le commerce de biens alimentaires.
Au total, plus de trois millions de personnes ont en France un emploi lié directement ou indirectement à l'agriculture : 15% des emplois de notre pays ! Et que dire d'autres pays européens comme la Pologne par exemple, où ce pourcentage est encore supérieur ?
Ce n'est pas rien et en plus ce n'est pas tout.
Ces emplois liés à l'agriculture donnent la vie à nos territoires ruraux comme l'agriculture donne ses couleurs à nos paysages.
Monsieur le Premier ministre, la bataille pour l'emploi, c'est d'abord dans ces centaines de milliers d'entreprises qui irriguent tout notre territoire qu'elle sera gagnée ou perdue.
Il faut commencer par le commencement en faisant mieux connaître la grande diversité et la grande richesse des métiers de l'agriculture.
Mais les a priori sont si tenaces qu'il est parfois difficile de pourvoir tous les emplois et d'assurer le renouvellement des générations.
Pourtant, la palette des métiers est très vaste. L'agriculture remplit ainsi parfaitement son rôle d'acteur économique et social en offrant des emplois aux techniciens qui ont suivi un parcours de formation, et en permettant l'insertion des personnes non qualifiées.
Ce rôle social, elle doit aussi le remplir jusqu'au bout, en accompagnant ceux qui ont décidé, ou qui n'ont pas eu le choix, de quitter leur exploitation pour s'engager dans une autre voie professionnelle.
Mais, monsieur le Premier ministre, si on veut que l'agriculture reste le premier employeur de France, il faut impérativement réduire les charges qui pèsent sur les employeurs.
Les exploitations agricoles ne pourront plus rivaliser bien longtemps avec des concurrents qui peuvent conquérir des marchés grâce à un coût du travail beaucoup plus faible que le nôtre. Vous le savez, monsieur le Premier ministre, le SMIC a pris 23% en 4 ans alors que les prix agricoles ont baissé de 7 %.
Tout doit être mis en uvre pour soutenir la compétitivité des exploitations agricoles.
[L'agriculture : un gisement d'énergie]
La France a besoin de son agriculture parce qu'elle est dépositaire d'une réserve d'énergie inépuisable, l'énergie verte.
Cette énergie sera de plus en plus utilisée à la place du carbone fossile qui sera une ressource de plus en plus rare, de plus en plus chère et toujours aussi polluante. Et puis l'énergie verte permettra de réduire notre dépendance vis-à-vis des ressources extérieures dont l'accès n'est pas garanti.
Sous nos pieds, tout autour de nous, dans ces champs, repose un potentiel énergétique qu'il serait incompréhensible de ne pas valoriser.
Les politiques se sont trop longtemps cachés derrière la résistance des pétroliers qui avancent des incertitudes techniques pour ne pas s'investir.
Monsieur le Premier ministre, vous êtes décidé à mettre un terme à cette frilosité et vous venez d'annoncer une accélération du programme d'incorporation des bio-énergies dans les carburants. C'est un premier pas qui doit déboucher sur un plan stratégique qui engage la France dans un vrai projet énergétique alternatif.
Voilà ce que nous attendons de vous.
Les agriculteurs eux, sont prêts à relever le défi de l'énergie.
[L'agriculture : indépendance alimentaire]
La France, enfin et surtout, doit maintenir son agriculture pour continuer à participer activement à l'indépendance alimentaire de l'Europe qui est le gage de son indépendance politique. Cette évidence doit être rappelée en ces temps d'abondance, où on a trop tendance à penser que cette sécurité alimentaire est garantie, ad vitam aeternam.
Les épisodes sanitaires que nous avons connus et que nous connaissons encore aujourd'hui, avec la grippe aviaire sont là pour nous rappeler, sans faire d'alarmisme, et tout en prenant les mesures de protection nécessaires, que produire notre propre alimentation est notre meilleure garantie
Et si nous avons aujourd'hui atteint un très haut niveau de sécurité alimentaire, tant en quantité qu'en qualité, c'est parce qu'a été mise en place une politique agricole qui poursuivait cet objectif.
[Pour une politique agricole ambitieuse]
Il faut maintenir ou plutôt retrouver une politique agricole européenne ambitieuse, c'est-à-dire autre chose qu'un mariage transgénique entre la bureaucratie et le libéralisme.
Une politique qui s'appuie sur un modèle qu'il faudra défendre lors des prochaines négociations internationales à Hong-Kong.
Le point fondamental des discussions sera la protection des frontières, l'accès aux marchés, en d'autres termes la préférence européenne qui reste le seul garant de notre modèle économique et social. Ce n'est pas l'expérience du textile qui me démentira.
Dans les secteurs de l'élevage présents ici au SPACE, on sait trop le prix que les éleveurs et les entreprises des filières animales ont déjà payé du fait d'importations de pays extra-européens - et même européens ! -, où on n'applique pas les mêmes règles que chez nous en matière de charges sociales, de bien-être animal ou de respect de l'environnement
Toute aggravation de l'accès au marché européen serait dramatique. J'affirme que notre position sur l'accès au marché vaut aussi pour les pays en développement. C'est la seule réponse aux difficultés de ces pays, qui ont tout autant besoin que nous de protéger leur marché.
Quant à la réforme de la PAC, il s'agit maintenant d'en limiter les conséquences sur notre agriculture. Vous le savez, les paysans n'ont pas voulu cette réforme. N'aggravons pas les choses en la mettant en uvre de façon bureaucratique et paperassière.
Il serait temps aussi d'engager un vrai débat, au niveau des chefs d'État et de Gouvernements européens, sur la politique agricole.
Les déclarations à l'emporte-pièce du Premier ministre anglais ont eu au moins l'avantage de lancer ce débat. Il faut l'approfondir, sans le réduire à une bataille de chiffres, et en envisageant l'agriculture dans toute sa dimension : économique, sociale et culturelle.
La relance d'une politique intelligente et anticipatrice de gestion des marchés, notamment, est pour moi incontournable. Je reste persuadé que l'abandon de ces outils de gestion est une grave erreur sur laquelle il faudra revenir.
Dans l'immédiat, il faut au moins que chacun respecte les engagements pris pour le budget de la PAC jusqu'en 2013.
[Loi d'orientation agricole]
Enfin, monsieur le Premier ministre, les agriculteurs attendent beaucoup de la future loi d'orientation.
Cette loi ne doit pas se contenter d'accompagner la réforme de la PAC. Elle doit ouvrir des perspectives aux agriculteurs et traduire concrètement l'ambition agricole de la France.
L'agriculture française a de nombreux atouts et au-delà des renoncements communautaires, il reste la place pour une volonté nationale.
Si l'Europe ne gère plus correctement les marchés, la profession peut et doit assumer ses responsabilités en développant une politique de filières reposant sur des interprofessions solides, réactives et dynamiques. Ce choix est une priorité et une urgence, quand on voit ce que nous vivons en ce moment, dans le lait, le porc ou la volaille.
Mais pour que les interprofessions puissent être efficaces, l'Etat doit leur donner les leviers juridiques et financiers qui permettront de renforcer la promotion des produits agricoles et d'accroître leur valeur ajoutée, au profit de tous les maillons des filières, y compris bien sûr les producteurs. C'est un enjeu majeur pour le revenu des agriculteurs et le renouvellement des générations par l'installation des jeunes.
Plus généralement, ce que nous attendons d'une loi d'orientation, c'est qu'elle définisse le modèle d'entreprise et le projet économique qui nous permettent de trouver, sur les marchés, la légitime rémunération de notre travail et de nos capitaux.
Dans cette loi d'orientation, vous n'oublierez pas, Monsieur le Premier Ministre, l'engagement du Président de la République sur la taxe sur le foncier non bâti. Dès 2005, un premier pas doit être possible.
[Le budget agricole]
Mais la politique agricole nationale ce n'est pas seulement la loi d'orientation. C'est aussi un budget de l'agriculture à la hauteur de nos ambitions et, je l'espère, des vôtres.
Je n'ignore pas les difficultés du contexte actuel mais la modernisation de notre agriculture est une exigence pour préparer l'avenir. C'est là qu'il faut mettre des moyens.
Je pense en particulier aux aides aux bâtiments d'élevage pour lesquelles aucune file d'attente n'est justifiable mais également, pour les productions végétales, à des aides qui les soutiendront dans la voie d'une agriculture toujours plus écologiquement responsable.
Je pense aussi à la hausse de l'énergie dont le coût pour la Ferme France sera de 700 millions d'euros en 2005. C'est insupportable et cette perte appelle à être prise en compte.
Monsieur le Premier Ministre, tous les agriculteurs attendent des mesures concrètes, tangibles et rapides de compensation.
De même, les agriculteurs sévèrement touchés par la sécheresse ne pourront pas faire face à leurs charges sans l'accompagnement qu'ils sont en droit d'attendre de l'Etat.
[Conclusion]
La France a besoin de ses paysans, elle a besoin de ses terroirs, elle a besoin d'une agriculture forte dans un monde rural vivant.
Je ne cesserai jamais de réaffirmer cette conviction profonde qui est la mienne : la France est belle parce qu'elle est cultivée.
J'espère que cette conviction, vous la partagez.
A vous de nous le dire.
(Source http://www.fnsea.fr, le 15 septembre 2005)