Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, député PS, à "RTL" le 9 juin 2005, sur la mise en place de la politique gouvernementale conduite par M. de Villepin, notamment sur le plan pour l'emploi.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel APHATIE : Bonjour Dominique Strauss-Kahn. Dominique de Villepin a présenté hier son "Plan pour l'Emploi". Plusieurs mesures ont pour ambition de lever les blocages qui existent à l'embauche, soit dans les petites entreprises, soit en direction des plus jeunes des chômeurs de longue durée. Est-ce que c'est une bonne philosophie de repérer les blocages que l'on connaît avec beaucoup de rapports qui ont été écrits là-dessus, et d'essayer de les lever pour créer des emplois en France ?
R- Dominique STRAUSS-KAHN : Repérer les blocages et essayer de les faire disparaître, peut ne pas être inutile mais honnêtement ça ne fait pas une politique et ça ne fait pas une pensée économique. Moi j'ai été assez déçu hier par la prestation du Premier ministre. Un peu comme quelqu'un qui attendait le Général de Gaulle et qui voit arriver le petit père Queuille.
Q- Pourquoi vous êtes gaulliste ?
R- Non, mais c'est une référence de notre Histoire. Et honnêtement j'attendais un peu de souffle, j'attendais une vision. Et il y avait tout sauf une vision. Il y avait un catalogue. Après on va prendre éventuellement les mesures les unes derrière les autres mais il y avait un catalogue de mesures.
Q- On va en parler.
R- Il n'y avait aucune vision de ce dont la France a besoin, dans l'ensemble, et en particulier, pas dans le domaine économique, une liste, un catalogue dont je crains en réalité qu'il n'ait pas beaucoup de conséquences. Je le dis, je le dis avec sincérité parce que la situation de notre pays aujourd'hui est telle que je souhaite que la politique que ce gouvernement met en oeuvre puisse réussir. Malheureusement, je n'en vois pas les prémices dans ce qui a été dit.
Q- On reproche beaucoup aux responsables politiques d'être justement grandiloquents, peu précis, pas concrets. Quand il y a 10 % de chômeurs, il vaut mieux être précis et concret et annoncer des mesures plutôt qu'une philosophie.
R- Il ne faut pas confondre "une vision pour la France et pour l'Europe" et "la grandiloquence". L'un peut parfois tenir lieu de l'autre, mais ce n'est pas heureux. Je ne souhaite pas la grandiloquence. Je souhaite la vision. Je souhaite que l'on dise où va notre pays. Comment nous allons maintenant tenter de recoller les morceaux avec nos partenaires européens. Comment nous envisageons la place de notre pays dans le monde et rien de cela n'était présent dans le discours du Premier ministre hier.
Q- L'une des mesures importantes c'est ce "contrat de nouvelle embauche", en direction des petites entreprises, moins de dix salariés, un contrat de travail à durée indéterminée avec une période d'essai de deux ans, ce qui permettra aux chefs d'entreprise de se séparer s'ils le jugent nécessaire plus facilement du salarié. Les chefs d'entreprise réclamaient ce type de mesure, un assouplissement du marché du travail, et Dominique de Villepin leur en donne l'occasion.
R- Vous savez, ce qui caractérise un Premier ministre qui arrive au Pouvoir sans avoir réfléchi à l'avance à ce qu'il va faire, et sans avoir de vision du pays, c'est qu'il reprend le catalogue de tout ce qu'il y avait dans les tiroirs que les fonctionnaires n'ont pas réussi à imposer aux gouvernements précédents. Et voyant arriver un nouveau Premier ministre ils le ressortent en se disant : peut-être que celui-là il va le prendre. Eh bien effectivement, celui là il l'a pris.
Q- Mais les chefs d'entreprise le réclament. Vous vous êtes souvent dit proche des chefs d'entreprise.
R- Que les chefs d'entreprise le réclament n'est pas une raison suffisante. Rentrons un peu sur le fond maintenant. Quelle est la réalité. La réalité, c'est qu'on dit dans notre pays : il est tellement difficile de se séparer d'un salarié que l'on renonce à l'embaucher.
Q- C'est ça, c'est ça le frein. Un frein psychologique, ça existe.
R- Bien entendu, bien entendu. Mais pour que l'on renonce à l'embaucher, encore faut-il qu'au préalable on ait eu envie de l'embaucher. Et pour qu'on ait envie de l'embaucher, il faut commencer par avoir de la croissance et de la demande. Or, rien, rien dans ce qui nous a été présenté hier ne permet de stimuler la croissance et la demande. Alors on peut vouloir lever tous les obstacles que vous évoquiez tout à l'heure. Lever les obstacles, c'est très bien. Dégager la route, c'est parfait, si on a un moteur. Si on n'a pas de moteur et qu'on ne peut pas démarrer, de toute façon ça ne sert à rien. Et la réalité de ce qui a été présenté hier, c'est qu'en réalité parce qu'il n'y a pas de pensée économique dans ce que nous a dit Monsieur de Villepin, eh bien nous n'avons aucune chance de voir la croissance repartir. Je note au passage que la croissance cette année sera sans doute de 1,5 %, sensiblement moins, près de la moitié de ce qui était prévu.
Q- 2,5 prévus.
R- Voilà 2,5, donc c'est près de la moitié. Ce qui était prévu par Nicolas Sarkozy. L'ironie de l'histoire de ce nouveau gouvernement, c'est que celui qui a préparé le budget que nous vivons aujourd'hui, ce budget qui conduit la France dans le mur en matière économique, et qui avait réussi à échapper en partant à la tête de l'UMP, est rattrapé, et revient dans le gouvernement, et va donc devoir assumer la réalité du budget que nous vivons, et qui malheureusement ne produit ni la croissance, ni l'emploi.
Q- L'Angleterre de votre ami Tony Blair a 4,5 % de chômeurs avec des mesures comme ça, c'est-à-dire de simplification du marché du travail, et d'assouplissement des règles du marché du travail.
R- Non mais l'Angleterre de Tony Blair n'a rien à voir avec la France que nous connaissons aujourd'hui.
Q- On se demande bien quelles sont les différences.
R- Oh mais elles sont considérables ! D'abord d'avoir eu 23 ans Mme Thatcher, avant. Ensuite d'avoir des syndicats qui fonctionnent très différemment. Et enfin d'avoir une société où les blocages que Tony Blair a dû combattre étaient des blocages mis en place par une politique libérale.
Q- Et aujourd'hui on dynamise l'Anglais face à une dépression française. On est d'accord ou pas Dominique Strauss-Kahn ?
R- On peut prendre exemple sur la méthode de Tony Blair - et je pense que sa méthode est bonne - c'est-à-dire d'être pragmatique, de regarder les choses en face, de ne pas avoir de tabous. Mais ça ne veut pas dire que les solutions mises en oeuvre par Tony Blair en Grande Bretagne soient transposables comme cela, du Royaume Uni vers la France.
Q- Mais les mesures qu'a prises Dominique de Villepin, on leur laisse le temps de s'installer et puis on se dit que dans quelques mois on fait le point, ou pas Dominique Strauss-Kahn ?
R- Bien entendu, il faut laisser le temps. D'ailleurs le temps, il n'a pas l'intention d'en prendre beaucoup puisque, comme vous le savez, il a décidé de procéder par ordonnances ce qui est pour la majorité en place assez injurieux je trouve, mais enfin ce n'est pas mon affaire.
Q- Mais il faut être efficace, c'est ça ?
R- Ça veut vraiment dire combien le gouvernement qui l'a précédé, auquel il appartenait d'ailleurs, lui semblait peu efficace, parce que ça fait quand même trois ans que nous avons le gouvernement, que nous avions le gouvernement de Monsieur Raffarin. Et s'il faut maintenant tout à coup traiter les questions en urgence, c'est quand même reconnaître que ce gouvernement n'a pas fait grand chose, ce qui est vrai.
Q- Trois ans aussi que les socialistes sont dans l'opposition et pas beaucoup d'idées, pas beaucoup de choses concrètes, pas beaucoup de choses qui nous permettent de comprendre ce que vous feriez si vous reveniez au Pouvoir, Dominique Strauss-Kahn.
R- Écoutez vous allez m'inviter pour une émission plus longue, et je vous dirai très volontiers ce que nous ferons si nous revenons au Pouvoir.
Q- Est-ce que vous avez déjà des idées ? Vous les gardez pour vous pour l'instant, c'est ça ?
R- Non on ne les garde pas pour nous. Des idées il y en a beaucoup, nous sommes dans une phase où nous avons produit un diagnostic sur la société française, nous rentrons maintenant dans la phase du projet et chaque chose viendra à son heure. Mais néanmoins - parce que je ne veux pas avoir l'air de fuir ce que vous dites -
Q- Et qui n'est pas faux, hein.
R- Non, non, non. Ce qui est central, ça n'est pas la succession des mesurettes. Ce qui est central, c'est l'analyse de la situation économique et de ce dont nous avons besoin. Or, ce dont nous avons besoin c'est de relancer la croissance. Un mot sur ce fameux "contrat de nouvelle embauche" dont vous parliez tout à l'heure. Il repose sur l'idée que le droit du travail aujourd'hui empêche l'emploi. Sauf que c'est avec le droit du travail que nous avons encore aujourd'hui, celui qui est si bloquant, si impossible à outrepasser, que Lionel Jospin a créé deux millions d'emplois.
Q- Oui mais il y avait une croissance.
R- Non, non, non, non. La croissance internationale est la plus élevée en 2004, et la plus élevée des vingt-cinq dernières années. Ce gouvernement n'a pas de croissance en France, à cause de sa politique, pas à cause de la croissance internationale.
Q- Le parti socialiste va entrer dans un congrès. Vous allez présenter, vous Dominique Strauss-Kahn, un texte d'orientation politique. Vous direz vos idées ?
R- Je vais dire mes idées, je vais voir exactement avec qui je les dis.
Q- Avec François Hollande peut-être, ou pas, ou tout seul.
R- Probablement avec François Hollande. Avec d'autres aussi.
Q- Et contre Laurent Fabius.
R- Non, non. Absolument pas.
Q- Si, en tout cas vous n'avez pas dit "avec Laurent Fabius".
R- Attendez, vous posez vos questions. Vous ne pouvez pas choisir mes réponses Monsieur Aphatie.
Dominique Strauss-Kahn, qui a plein d'idées pour l'emploi, il nous les dira bientôt, était l'invité d'RTL. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2005)