Texte intégral
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de me trouver parmi vous ce matin. Le sujet qui nous réunit - la diversité culturelle - est en effet au cur des priorités de la Présidence française de l'Union européenne. Il prend encore plus d'ampleur si on l'aborde dans la perspective de l'élargissement, processus dans lequel toute l'histoire de l'Union européenne s'inscrit depuis sa création en 1957, passant de 6 à 9, puis à 12, puis à 15, et bientôt à près d'une trentaine d'Etats membres.
Compte-tenu de la variété des thèmes que vous aborderez durant ces deux journées très denses d'échanges, j'ai choisi d'évoquer trois sujets :
- la diversité culturelle caractéristique essentielle de l'identité de européenne ;
- le rôle nécessaire des pouvoirs publics en Europe pour la préservation et la promotion de cette diversité culturelle, en particulier par le biais de politiques ambitieuses de soutien au secteur audiovisuel;
- enfin, la nécessité de protéger ces politiques dans le cadre des négociations internationales.
Ces dernières années, l'expression " diversité culturelle ", venue remplacer celle d'"exception culturelle", a pris une place croissante dans les discours politiques des uns et des autres, et dans les enceintes des institutions internationales. Même s'il faut évidemment se réjouir de cette évolution des mentalités que ce phénomène semble traduire, il ne doit pas conduire à banaliser cette expression au point de la vider de son sens.
En effet, en particulier au plan européen, cette expression renvoie à une réalité vivante. Dans le cas de l'Europe, j'irai même jusqu'à dire que cette diversité culturelle est ce qui caractérise, ce qui façonne, son identité. Cette identité, plurielle, prend appui sur une histoire partagée ou des références philosophiques communes, comme la conception de l'individu ou les valeurs démocratiques. Dans le même temps, elle se nourrit et s'enrichit de nos différences de langues, de religion, ou de modèles sociaux. C'est aussi cette identité plurielle qui permet à l'Europe d'évoluer et de croître, demain comme depuis près de cinquante ans, en accueillant de nouveaux Etats, et ce tout en préservant durablement la paix. Comme le dit le philosophe français Jacques Derrida, chaque Etat y exprime l'acceptation de la diversité dans une recherche permanente de son identité.
Toutes les formes d'expression culturelle ou artistique - littérature, musique, mais aussi cinéma ou télévision - sont porteuses de sens pour nos sociétés et témoignent de cette diversité. La préservation et la promotion de cette diversité constituent des objectifs essentiels des politiques communautaires. Loin de viser à la constitution d'une hypothétique " culture européenne ", ces politiques doivent au contraire permettre l'échange d'idées entre nos multiples cultures et la circulation des oeuvres au sein de l'Europe, gages d'une meilleure compréhension entre les peuples, particulièrement dans le contexte d'une Europe qui fut longtemps divisée. Et ces échanges sont attendus en particulier par nos nouvelles générations. Parallèlement à leur objectif culturel, ces politiques doivent créer un environnement juridique propice au développement des industries culturelles, de plus en plus créatrices d'emploi et de richesse.
J'ajouterai enfin que, même si les nouvelles technologies - je pense au câble, au satellite, ou encore à l'Internet - créent indiscutablement une multitude de vecteurs nouveaux, notamment pour les industries de l'audiovisuel, cette profusion de canaux n'est pas automatiquement synonyme de diversité des offres ou de pluralisme démocratique. En effet, le risque existe que la prolifération des canaux de diffusion aboutisse in fine à une production standardisée, où la diversité et la richesse de la création européenne auraient peu de place. Je suis donc pour ma part convaincue que l'Europe devra continuer, à l'avenir, à mener des politiques culturelles volontaristes.
Je voudrais maintenant en venir plus spécifiquement aux politiques audiovisuelles, qui seront au cur de vos travaux pendant ces deux journées. Tant au niveau national que communautaire, dans le respect du principe de subsidiarité, les Etats membres et la Communauté ont mis en place des politiques de soutien à ce secteur afin de pallier les lacunes du marché. Loin d'être protectionnistes, ces politiques visent, comme je l'indiquais plus haut, à garantir à tous les publics une offre de programmes diversifiée. Permettez-moi de m'arrêter sur quelques exemples concrets.
Tout d'abord, au plan national, la majorité des Etats membres de l'Union européenne ont conservé un système audiovisuel dual, marqué par la coexistence du secteur privé et d'un secteur public fort. Très récemment d'ailleurs, les professionnels des Etats membres ont rappelé leur attachement au service public audiovisuel lors d'un colloque organisé par la Présidence française à Lille. Il est clairement apparu que le service public audiovisuel était seul susceptible de s'adresser à tous les publics, et qu'il jouait un rôle de premier plan dans l'accès de tous les publics à la culture. C'est donc une alternative nécessaire au développement de la télévision commerciale. Loin d'être condamné à disparaître devant l'explosion des offres privées de toutes sortes, le service public audiovisuel aura, demain encore dans la nouvelle ère numérique, une toute première importance, notamment dans la lutte contre la " fracture numérique " entre ceux qui ont accès aux nouvelles technologies audiovisuelles et ceux qui ne le peuvent pas pour des raisons techniques, économiques ou culturelles. Les Etats membres doivent donc se donner les moyens - politiques, juridiques, financiers - de continuer à proposer cette offre publique audiovisuelle.
Par ailleurs, la richesse des programmes audiovisuels est systématiquement liée à l'existence de cinématographies nationales fortes et créatrices. A cet effet, tous les Etats membres se sont dotés de mécanismes financiers nationaux de soutien au cinéma. Les dispositifs ainsi mis en place par les pouvoirs publics ont, je crois, contribué au maintien ou au redressement de nombreuses cinématographies nationales, même si la présence de films américains dans nos salles de cinéma et sur nos écrans de télévision est encore très marquée et même très largement dominante, ce qui démontre d'ailleurs clairement que ces soutiens financiers ne sont pas de nature à fermer l'accès de nos marchés européens ou autres.
Au niveau communautaire, la promotion de la diversité culturelle et la création d'un grand marché européen de l'audiovisuel s'appuient sur un cadre juridique très complet. Sans entrer dans le détail du droit communautaire en matière de concurrence ou de droits d'auteurs
- politiques transversales qui jouent au demeurant un rôle tout a fait essentiel en matière culturelle -, l'un des outils spécifiques les plus importants dans ce cadre est la Directive Télévision Sans Frontière. La France a toujours affirmé son attachement à l'objectif de promotion des oeuvres européennes et au mécanisme des quotas - qu'ils portent sur l'investissement ou la diffusion d'oeuvres européennes -, et continuera de le faire lors de la révision de ce texte en 2002. Les quotas ne sont sans doute pas une panacée. Ils ont toutefois joué, c'est une évidence, un rôle essentiel dans le maintien, puis l'augmentation du volume de programmes européens sur nos écrans, ainsi que dans la circulation des programmes de télévision européen sur notre continent.
Parallèlement, le programme MEDIA, dont nous discutons actuellement le prolongement pour les cinq prochaines années, est un instrument financier de premier plan dans le secteur de l'audiovisuel et, également, du cinéma. En proposant par exemple des mécanismes d'aide à la promotion et à la distribution des programmes et des films, il peut contribuer lui aussi de façon déterminante à une plus grande circulation de nos oeuvres et de nos programmes à l'intérieur de l'Europe, si bien sûr nous lui en donnons les moyens financiers suffisants. Car comme le soulignait la précédente intervention, il y a une convergence profonde entre les Etats membres entre eux et entre les Etats membres et la commission sur les objectifs de la politique communautaire audiovisuelle pour appuyer la diversité culturelle. Mais nous devons travailler ensemble à traduire concrètement cet accord sur les objectifs dans nos programmes d action.
Dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, la reprise par les pays candidats de ce cadre, de cet " acquis communautaire " comme il est de coutume de l'appeler, constitue bien sûr une condition essentielle de la continuation du projet culturel européen. Certains considèrent que le processus d'élargissement peut être porteur de risques, notamment pour l'audiovisuel : risque de délocalisations des industries audiovisuelles, motivées par l'hétérogénéité des législations ; risque de tentations hégémoniques d'une partie de l'Europe sur une autre ; risque enfin d'une uniformisation et - soyons clairs - d'une américanisation accélérée des programmes. Pour ma part, j'estime au contraire que cette nouvelle étape de l'histoire européenne peut constituer une chance pour nos citoyens d'accéder à de nouveaux horizons culturels, et aussi une opportunité pour nos industries audiovisuelles de bâtir un grand marché européen. A la condition bien sûr que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, que l'acquis communautaire soit repris par tous. Je sais que tous les pays candidats se sont résolument engagés dans cette voie, même -et ne sous-estimons pas cela- s'ils peuvent parfois rencontrer des difficultés réelles au cours de ce processus. Je souhaite donc vivement que le dialogue pan-européen se renforce dans le but de faciliter les adaptations juridiques nécessaires, et je crois que le premier intérêt de cette manifestation est d'y contribuer.
J'en viens maintenant au dernier sujet qui me préoccupe, le contexte des négociations internationales. Comme je l'ai rappelé, l'Europe et ses Etats membres se sont, au fil des ans, dotés d'instruments appropriés aux objectifs qu'ils poursuivaient, tant industriels que culturels, dans le secteur audiovisuel. Si ces objectifs - la promotion de la diversité culturelle et la création d'un marché européen de l'audiovisuel- ne sont pas appelés à changer, les mutations, en particulier technologiques, nécessiteront vraisemblablement une adaptation de mécanismes actuellement en place. De tels ajustements s'observent déjà, par exemple dans le cadre de la négociation du programme MEDIA+ appelé à succéder à MEDIA II, ou par l'adoption de nouvelles directives, notamment la directive sur les droits d auteur et les droits voisins.
En conséquence, et je tiens à insister sur ce point, il apparaît plus que jamais nécessaire que l'Europe préserve sa marge de manoeuvre, en matière de politiques culturelles notamment, dans les engagements commerciaux ou financiers qu'elle souscrit tant à l'OMC qu'à l'OCDE.
En effet, des engagements de libéralisation dans l'une ou l'autre de ces enceintes auraient pour effet contraignant de limiter, voire d'anéantir, cette marge de manoeuvre dont nous avons besoin. C'est pourquoi l'Union européenne, dès 1993 lors du cycle de l'Uruguay, a renoncé à tout engagement dans le secteur audiovisuel, ce qui avait été baptisé à l'époque "exception culturelle".
A la veille des négociations sur les services, qui ont repris à l'OMC en janvier dernier, l'Union européenne a clairement indiqué qu'elle comptait conserver cette position en vue de pouvoir continuer à promouvoir la diversité culturelle. Il est essentiel que chacun des pays candidats fasse de même à l'OMC ou à l'OCDE, dans son intérêt propre, pour protéger ses politiques nationales, et dans celui de la future Union européenne élargie, pour préserver les politiques communautaires. Des exemples récents ont d'ailleurs permis de constater que des pressions certaines s'étaient exercées sur certains pays d'Europe centrale et orientale afin d'obtenir d'eux une libéralisation maximale de ces secteurs. Chaque fois, la France pour sa part a estimé de son devoir de rappeler que de telles pressions étaient susceptibles non seulement de nuire aux intérêts de ses partenaires, mais aussi de remettre en cause l'intérêt de leur adhésion à l'Union européenne, c'est à dire, finalement, de porter atteinte à la construction européenne à laquelle nous travaillons tous.
Il est temps pour moi de conclure. Je suis convaincue qu'au-delà de l'Europe monétaire ou économique - et en particulier dans la perspective d'une Europe élargie, processus complexe -, l'Europe de la culture constitue sans doute une étape difficile à réaliser, mais aussi la plus nécessaire pour l'avenir de l'Europe. Elle seule peut créer ce lien qui rassemble par l'esprit des hommes et des femmes partageant un espace géographique commun. Elle seule peut permettre à une société d'envisager sereinement son avenir, sans oublier - ou plus précisément pour qu'elle n'oublie pas - ses racines, son identité plurielle. Elle seule enfin peut, par l'intermédiaire de politiques appropriées au plan national et au plan communautaire, créer un espace commun pour nos langues, nos auteurs, nos artistes, nos films, nos images.
Je souhaite pleine réussite à vos travaux car je suis convaincue qu'ils contribueront utilement à la construction de cette Europe de la Culture que nous souhaitons tous et où le dialogue entre la République tchèque, la France, les Etats membres et tous les Etats candidats peut jouer un rôle important.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 10 octobre 2000)
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de me trouver parmi vous ce matin. Le sujet qui nous réunit - la diversité culturelle - est en effet au cur des priorités de la Présidence française de l'Union européenne. Il prend encore plus d'ampleur si on l'aborde dans la perspective de l'élargissement, processus dans lequel toute l'histoire de l'Union européenne s'inscrit depuis sa création en 1957, passant de 6 à 9, puis à 12, puis à 15, et bientôt à près d'une trentaine d'Etats membres.
Compte-tenu de la variété des thèmes que vous aborderez durant ces deux journées très denses d'échanges, j'ai choisi d'évoquer trois sujets :
- la diversité culturelle caractéristique essentielle de l'identité de européenne ;
- le rôle nécessaire des pouvoirs publics en Europe pour la préservation et la promotion de cette diversité culturelle, en particulier par le biais de politiques ambitieuses de soutien au secteur audiovisuel;
- enfin, la nécessité de protéger ces politiques dans le cadre des négociations internationales.
Ces dernières années, l'expression " diversité culturelle ", venue remplacer celle d'"exception culturelle", a pris une place croissante dans les discours politiques des uns et des autres, et dans les enceintes des institutions internationales. Même s'il faut évidemment se réjouir de cette évolution des mentalités que ce phénomène semble traduire, il ne doit pas conduire à banaliser cette expression au point de la vider de son sens.
En effet, en particulier au plan européen, cette expression renvoie à une réalité vivante. Dans le cas de l'Europe, j'irai même jusqu'à dire que cette diversité culturelle est ce qui caractérise, ce qui façonne, son identité. Cette identité, plurielle, prend appui sur une histoire partagée ou des références philosophiques communes, comme la conception de l'individu ou les valeurs démocratiques. Dans le même temps, elle se nourrit et s'enrichit de nos différences de langues, de religion, ou de modèles sociaux. C'est aussi cette identité plurielle qui permet à l'Europe d'évoluer et de croître, demain comme depuis près de cinquante ans, en accueillant de nouveaux Etats, et ce tout en préservant durablement la paix. Comme le dit le philosophe français Jacques Derrida, chaque Etat y exprime l'acceptation de la diversité dans une recherche permanente de son identité.
Toutes les formes d'expression culturelle ou artistique - littérature, musique, mais aussi cinéma ou télévision - sont porteuses de sens pour nos sociétés et témoignent de cette diversité. La préservation et la promotion de cette diversité constituent des objectifs essentiels des politiques communautaires. Loin de viser à la constitution d'une hypothétique " culture européenne ", ces politiques doivent au contraire permettre l'échange d'idées entre nos multiples cultures et la circulation des oeuvres au sein de l'Europe, gages d'une meilleure compréhension entre les peuples, particulièrement dans le contexte d'une Europe qui fut longtemps divisée. Et ces échanges sont attendus en particulier par nos nouvelles générations. Parallèlement à leur objectif culturel, ces politiques doivent créer un environnement juridique propice au développement des industries culturelles, de plus en plus créatrices d'emploi et de richesse.
J'ajouterai enfin que, même si les nouvelles technologies - je pense au câble, au satellite, ou encore à l'Internet - créent indiscutablement une multitude de vecteurs nouveaux, notamment pour les industries de l'audiovisuel, cette profusion de canaux n'est pas automatiquement synonyme de diversité des offres ou de pluralisme démocratique. En effet, le risque existe que la prolifération des canaux de diffusion aboutisse in fine à une production standardisée, où la diversité et la richesse de la création européenne auraient peu de place. Je suis donc pour ma part convaincue que l'Europe devra continuer, à l'avenir, à mener des politiques culturelles volontaristes.
Je voudrais maintenant en venir plus spécifiquement aux politiques audiovisuelles, qui seront au cur de vos travaux pendant ces deux journées. Tant au niveau national que communautaire, dans le respect du principe de subsidiarité, les Etats membres et la Communauté ont mis en place des politiques de soutien à ce secteur afin de pallier les lacunes du marché. Loin d'être protectionnistes, ces politiques visent, comme je l'indiquais plus haut, à garantir à tous les publics une offre de programmes diversifiée. Permettez-moi de m'arrêter sur quelques exemples concrets.
Tout d'abord, au plan national, la majorité des Etats membres de l'Union européenne ont conservé un système audiovisuel dual, marqué par la coexistence du secteur privé et d'un secteur public fort. Très récemment d'ailleurs, les professionnels des Etats membres ont rappelé leur attachement au service public audiovisuel lors d'un colloque organisé par la Présidence française à Lille. Il est clairement apparu que le service public audiovisuel était seul susceptible de s'adresser à tous les publics, et qu'il jouait un rôle de premier plan dans l'accès de tous les publics à la culture. C'est donc une alternative nécessaire au développement de la télévision commerciale. Loin d'être condamné à disparaître devant l'explosion des offres privées de toutes sortes, le service public audiovisuel aura, demain encore dans la nouvelle ère numérique, une toute première importance, notamment dans la lutte contre la " fracture numérique " entre ceux qui ont accès aux nouvelles technologies audiovisuelles et ceux qui ne le peuvent pas pour des raisons techniques, économiques ou culturelles. Les Etats membres doivent donc se donner les moyens - politiques, juridiques, financiers - de continuer à proposer cette offre publique audiovisuelle.
Par ailleurs, la richesse des programmes audiovisuels est systématiquement liée à l'existence de cinématographies nationales fortes et créatrices. A cet effet, tous les Etats membres se sont dotés de mécanismes financiers nationaux de soutien au cinéma. Les dispositifs ainsi mis en place par les pouvoirs publics ont, je crois, contribué au maintien ou au redressement de nombreuses cinématographies nationales, même si la présence de films américains dans nos salles de cinéma et sur nos écrans de télévision est encore très marquée et même très largement dominante, ce qui démontre d'ailleurs clairement que ces soutiens financiers ne sont pas de nature à fermer l'accès de nos marchés européens ou autres.
Au niveau communautaire, la promotion de la diversité culturelle et la création d'un grand marché européen de l'audiovisuel s'appuient sur un cadre juridique très complet. Sans entrer dans le détail du droit communautaire en matière de concurrence ou de droits d'auteurs
- politiques transversales qui jouent au demeurant un rôle tout a fait essentiel en matière culturelle -, l'un des outils spécifiques les plus importants dans ce cadre est la Directive Télévision Sans Frontière. La France a toujours affirmé son attachement à l'objectif de promotion des oeuvres européennes et au mécanisme des quotas - qu'ils portent sur l'investissement ou la diffusion d'oeuvres européennes -, et continuera de le faire lors de la révision de ce texte en 2002. Les quotas ne sont sans doute pas une panacée. Ils ont toutefois joué, c'est une évidence, un rôle essentiel dans le maintien, puis l'augmentation du volume de programmes européens sur nos écrans, ainsi que dans la circulation des programmes de télévision européen sur notre continent.
Parallèlement, le programme MEDIA, dont nous discutons actuellement le prolongement pour les cinq prochaines années, est un instrument financier de premier plan dans le secteur de l'audiovisuel et, également, du cinéma. En proposant par exemple des mécanismes d'aide à la promotion et à la distribution des programmes et des films, il peut contribuer lui aussi de façon déterminante à une plus grande circulation de nos oeuvres et de nos programmes à l'intérieur de l'Europe, si bien sûr nous lui en donnons les moyens financiers suffisants. Car comme le soulignait la précédente intervention, il y a une convergence profonde entre les Etats membres entre eux et entre les Etats membres et la commission sur les objectifs de la politique communautaire audiovisuelle pour appuyer la diversité culturelle. Mais nous devons travailler ensemble à traduire concrètement cet accord sur les objectifs dans nos programmes d action.
Dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, la reprise par les pays candidats de ce cadre, de cet " acquis communautaire " comme il est de coutume de l'appeler, constitue bien sûr une condition essentielle de la continuation du projet culturel européen. Certains considèrent que le processus d'élargissement peut être porteur de risques, notamment pour l'audiovisuel : risque de délocalisations des industries audiovisuelles, motivées par l'hétérogénéité des législations ; risque de tentations hégémoniques d'une partie de l'Europe sur une autre ; risque enfin d'une uniformisation et - soyons clairs - d'une américanisation accélérée des programmes. Pour ma part, j'estime au contraire que cette nouvelle étape de l'histoire européenne peut constituer une chance pour nos citoyens d'accéder à de nouveaux horizons culturels, et aussi une opportunité pour nos industries audiovisuelles de bâtir un grand marché européen. A la condition bien sûr que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, que l'acquis communautaire soit repris par tous. Je sais que tous les pays candidats se sont résolument engagés dans cette voie, même -et ne sous-estimons pas cela- s'ils peuvent parfois rencontrer des difficultés réelles au cours de ce processus. Je souhaite donc vivement que le dialogue pan-européen se renforce dans le but de faciliter les adaptations juridiques nécessaires, et je crois que le premier intérêt de cette manifestation est d'y contribuer.
J'en viens maintenant au dernier sujet qui me préoccupe, le contexte des négociations internationales. Comme je l'ai rappelé, l'Europe et ses Etats membres se sont, au fil des ans, dotés d'instruments appropriés aux objectifs qu'ils poursuivaient, tant industriels que culturels, dans le secteur audiovisuel. Si ces objectifs - la promotion de la diversité culturelle et la création d'un marché européen de l'audiovisuel- ne sont pas appelés à changer, les mutations, en particulier technologiques, nécessiteront vraisemblablement une adaptation de mécanismes actuellement en place. De tels ajustements s'observent déjà, par exemple dans le cadre de la négociation du programme MEDIA+ appelé à succéder à MEDIA II, ou par l'adoption de nouvelles directives, notamment la directive sur les droits d auteur et les droits voisins.
En conséquence, et je tiens à insister sur ce point, il apparaît plus que jamais nécessaire que l'Europe préserve sa marge de manoeuvre, en matière de politiques culturelles notamment, dans les engagements commerciaux ou financiers qu'elle souscrit tant à l'OMC qu'à l'OCDE.
En effet, des engagements de libéralisation dans l'une ou l'autre de ces enceintes auraient pour effet contraignant de limiter, voire d'anéantir, cette marge de manoeuvre dont nous avons besoin. C'est pourquoi l'Union européenne, dès 1993 lors du cycle de l'Uruguay, a renoncé à tout engagement dans le secteur audiovisuel, ce qui avait été baptisé à l'époque "exception culturelle".
A la veille des négociations sur les services, qui ont repris à l'OMC en janvier dernier, l'Union européenne a clairement indiqué qu'elle comptait conserver cette position en vue de pouvoir continuer à promouvoir la diversité culturelle. Il est essentiel que chacun des pays candidats fasse de même à l'OMC ou à l'OCDE, dans son intérêt propre, pour protéger ses politiques nationales, et dans celui de la future Union européenne élargie, pour préserver les politiques communautaires. Des exemples récents ont d'ailleurs permis de constater que des pressions certaines s'étaient exercées sur certains pays d'Europe centrale et orientale afin d'obtenir d'eux une libéralisation maximale de ces secteurs. Chaque fois, la France pour sa part a estimé de son devoir de rappeler que de telles pressions étaient susceptibles non seulement de nuire aux intérêts de ses partenaires, mais aussi de remettre en cause l'intérêt de leur adhésion à l'Union européenne, c'est à dire, finalement, de porter atteinte à la construction européenne à laquelle nous travaillons tous.
Il est temps pour moi de conclure. Je suis convaincue qu'au-delà de l'Europe monétaire ou économique - et en particulier dans la perspective d'une Europe élargie, processus complexe -, l'Europe de la culture constitue sans doute une étape difficile à réaliser, mais aussi la plus nécessaire pour l'avenir de l'Europe. Elle seule peut créer ce lien qui rassemble par l'esprit des hommes et des femmes partageant un espace géographique commun. Elle seule peut permettre à une société d'envisager sereinement son avenir, sans oublier - ou plus précisément pour qu'elle n'oublie pas - ses racines, son identité plurielle. Elle seule enfin peut, par l'intermédiaire de politiques appropriées au plan national et au plan communautaire, créer un espace commun pour nos langues, nos auteurs, nos artistes, nos films, nos images.
Je souhaite pleine réussite à vos travaux car je suis convaincue qu'ils contribueront utilement à la construction de cette Europe de la Culture que nous souhaitons tous et où le dialogue entre la République tchèque, la France, les Etats membres et tous les Etats candidats peut jouer un rôle important.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 10 octobre 2000)