Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à LCI le 15 septembre 2005, sur les mesures fiscales du Gouvernement, l'unité syndicale et les contrats "nouvelles embauches".

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Vous avez déclaré, il y a quelques jours, à la suite de la présentation par D. de Villepin des mesures que T. Breton a détaillées hier, que "les mesures sont à mille lieux des attentes des Français". Comment expliquez-vous que l'exécutif progresse dans tous les sondages ? D. de Villepin gagne 5 points dans le sondage Ipsos-Le Point, 11 points dans le BVA-Express.
R- Je pars du principe qu'il faudrait se méfier une bonne fois de ce que l'on appelle les sondages en matière de cote de popularité. Il y a quand même de nombreuses expériences qui ont montré qu'au-delà de la sympathie ou de l'antipathie que pouvait générer tel ou tel responsable politique, je crois que de plus en plus - et ils ont raison, ce qui intéresse les Français, ce sont les mesures concrètes. S'agissant des mesures concrètes prises en matière d'emploi, de fiscalité ou susceptibles d'être prises, non seulement le compte n'y ai pas, mais on est dans une orientation à l'opposée des attentes.
Q- Quand vous dites que le compte n'y est pas, c'est quoi "le compte" ?
R- La réforme annoncée, puisque nous sommes mis, là aussi, devant le fait accompli. Je vous ferai remarquer que sur une réforme aussi fondamentale que celle touchant à l'imposition, nous ne sommes pas, ni de près ni de loin, associés à quelques discussions que ce soit. Donc, nous sommes encore une fois cantonnés à commenter ce qui est décidé à Bercy en l'occurrence. Nous avons affaire...
Q- J'ouvre une parenthèse là-dessus : quand on interroge le Premier ministre sur l'absence de dialogue social que vous dénoncez, il dit "je les vois en permanence", Matignon voit en permanence les organisations syndicales.
R- Pour ce qui concerne la CGT, je peux vous assurer que ce n'est absolument pas le cas. Peut-être que le Premier ministre voit certains responsables syndicaux, sans doute ferait-il bien de tenir compte de la représentativité des uns et des autres, si c'est le cas. Mais si j'en crois aussi ce que me disent mes homologues, non, nous n'avons pas de séance de discussion et encore moins de négociation. C'est d'ailleurs ce qui accroît le malaise social. Et donc, face à une réforme qui nous est annoncée, je voudrais redire que de notre point de vue, nous avons là affaire à une formidable arnaque d'un point de vue de la réforme fiscale, qui bénéficiera surtout aux plus hauts revenus dans notre pays et dont les revenus salariés seront les premières victimes. Nous maintenons, voire nous allons accentuer la part de l'impôt indirect dans notre pays ; on continue de ne pas toucher à la TVA, à la CSG. Les salariés, même les plus modestes vont continuer d'être assommés par les impôts indirects pendant que l'on présente une réforme qui va principalement bénéficier aux plus hauts revenus.
Q- Quand vous dites "principalement bénéficier aux plus hauts revenus", le ministre de l'Economie et des Finances, interrogé sur ce sujet, répond "nous augmentons la PPE".
R- Oui, on augmente la PPE pour ceux qui n'en n'ont pas ou pour ceux qui retrouvent un emploi. Mais tous ceux qui travaillent à temps plein, même si beaucoup, de plus en plus travaillent à temps partiel parce que les contrats sont de plus en plus précaires, même quelqu'un qui travaille à temps plein aujourd'hui, à un revenu tel parce que les salaires sont trop bas, qu'il entre effectivement dans les tranches de non imposition, celui-là continuera de subir le poids des impôts indirects - TVA, CSG et peut-être évoquera-t-on le prix de l'essence. On continuera de payer des impôts indirects. Donc, ils ne tiennent pas compte des revenus, contrairement à beaucoup d'autres pays européens, nous sommes un des pays où nous tenons de moins en moins compte du revenu réel des ménages pour accroître les impôts indirects, donc inégalitaires.
Q- Pourquoi dites-vous accroître ? Le ministre du Budget a dit qu'il n'était pas question d'augmenter la CSG.
R- Oui, mais la part des impôts indirects va proportionnellement croître, dès lors qu'on va réduire l'impôt sur le revenu.
Q- Vous souhaiteriez que l'on réduise TVA et CSG ?
R- Nous avons toujours dit, depuis très longtemps, cela fait partie des premiers chantiers sur lesquels...
Q- Est-ce possible sur le plan de la réglementation européenne ?
R- Il y a des marges de manuvres dans la législation française. Certains pays privilégient beaucoup plus que nous l'impôt direct, proportionnel aux revenus de leurs concitoyens. Nous, nous faisons la part belle à l'impôt indirect, l'impôt inégalitaire.
Q- Je reprends votre expression, "vous dites "arnaque", très bien, est-ce que cette arnaque ne va néanmoins produire son effet ? Autrement dit, est-ce que le climat social n'est pas en train de changer avec, notamment le fait que quand on regarde les statistiques du chômage, le chômage baisse.
R- On regarde les statistiques, on ne regarde pas le chômage et la précarité dans notre pays. S'agissant des statistiques, nous l'avons dit, il y a là aussi une part - ce n'est pas nouveau, ce n'est pas spécifique au Gouvernement de monsieur de Villepin, il faut rétablir la vérité de ce point de vue -, il y a un processus de radiation des chômeurs dans leurs droits qui permet de présenter de plus en plus des statistiques disons plus honorables qu'auparavant. Il demeure que la précarité dans l'emploi est quelque chose de prégnant. Et si dans les mots d'ordre pour la journée de mobilisation du 4 octobre, à l'initiative de toutes les organisations, si le pouvoir d'achat et l'emploi sont au cur des revendications, ce n'est pas pour rien, c'est bien parce qu'il y a une dégradation de la situation de ce point de vue.
Q- La manifestation du 4 octobre est une manifestation unitaire ?
R- Toutes les organisations syndicales, les confédérations, d'autres organisations avec un appel à des grèves et des manifestations dans tout le pays.
Q- Sentez-vous venir le succès de cette manifestation ou êtes-vous un peu inquiet ?
R- Si j'en crois la participation aux meetings, aux réunions de rentrée, aux réunions syndicales que nous organisons ces jours-ci, je crois qu'il y a une dynamique qui peut nous aider à la grande participation que nous attendons le 4 octobre. Je crois qu'il faut avoir le langage de la vérité ; si nous voulons être entendus, si nous voulons avoir des négociations sérieuses avec les représentants patronaux avec le Gouvernement, cela va dépendre du degré de mobilisation des salariés, notamment le 4 octobre.
Q- A quoi sert cette manifestation ? A peser sur le Gouvernement pour qu'il ouvre des négociations ?
R- Oui, c'est aujourd'hui table rase de toute discussion. Non seulement nous n'avons pas de discussion sur les sujets qui nous préoccupent, mais nous avons la succession de réformes qui vont à l'encontre de ce que nous attendons. Je rappellerai simplement pour mémoire de ce qui s'est fait durant l'été : l'installation du contrat "nouvelles embauches", sur lequel tous les syndicats ont fait des remarques et ont protesté ; le Gouvernement est passé outre et accroît à sa manière la précarité dans l'emploi.
Q- Si le contrat "nouvelles embauches" produit ses effets, c'est-à-dire qu'il y a, comme l'annonce le Gouvernement, plusieurs dizaines de milliers d'emplois qui seront ainsi créés, n'allez-vous être démenti ?
R- Pardonnez-moi, mais là, le Gouvernement a usé du mensonge dans sa communication de ces dernières semaines.
Q- "Arnaque", "manipulation", "mensonge", cela fait beaucoup !
R- Oui, mais je suis désolé : le Premier ministre annonce qu'il y a eu 30.000 contrats "nouvelles embauches" signés durant le mois d'août et un autre membre du Gouvernement dit que ce n'est qu'une estimation statistique faite par les services ministériels, mais qu'on n'a encore pas de chiffres ! Donc, je suis désolé, que le Gouvernement soigne sa communication auprès des concitoyens pour essayer de redresser son image c'est une chose, il n'en demeure pas moins que lorsque les faits ne sont pas avérés, on est habilité à parler de mensonge.
Q- Très vite, pour ce qui concerne, on l'évoquait tout à l'heure, le pétrole, le ministre de l'Economie et des Finances convoque les producteurs de pétrole en leur disant : "je vais vous taper sur les doigts, une taxe, si vous n'investissez pas dans les énergies alternatives et si vous n'investissez pas davantage dans les raffinages".
Q- Cela fait trois semaines que, au nom de la CGT, j'ai demandé à ce qu'une mesure d'urgence soit prise pour l'ensemble des consommateurs de notre pays. Et j'entends bien la pression parce que le ministre de l'Economie sent bien que les Français sont très mécontents de l'évolution du prix de l'essence, bien évidemment, toutes les responsabilités ne sont pas uniquement françaises, on est sur un marché mondial et il y a des explications. Mais la réalité du prix de l'essence à la pompe en France, c'est que, d'une part, les pétroliers, oui, font des profits considérables et profitent, abusent de la situation pétrolière, et d'autre part, l'Etat, il faut quand même l'évoquer, prélève sous forme de taxes, une part importante qui constitue le prix de l'essence. Alors, je vois bien l'exercice, là aussi, que s'efforce de faire le ministre de l'Economie. Je veux dire très directement que, ce que j'attends demain du Gouvernement, c'est une mesure applicable sur le prix de l'essence à la pompe...
Q- Immédiate.
R- ...dont peut bénéficier l'ensemble des ménages. On ne peut pas s'en tenir à des mesures dites "sectorielles", au motif que certaines professions ont, c'est vrai, un coût en matière énergétique plus important que l'ensemble des ménages. C'est un des postes aujourd'hui qui pèse énormément sur le pouvoir d'achat des Français.
Q- Dernière question : vous avez eu le pré rapport de la Cour des comptes à propos du comité d'entreprise d'EDF. Trouvez-vous normal qu'il y ait un financement, par ce comité d'entreprise, indirect, de la Fête de l'Humanité, un soutien au mouvement des intermittents, ou encore des subventions déguisées aux syndicats de l'énergie ?
R- C'est un épisode qui, manifestement, permet de faire vivre quelques journalistes. Il n'y a rien de nouveau sur des déclarations qui ont déjà été faites...
Q- Cela permet de faire vivre aussi quelques permanents de la CGT ?
R- Il y a des procédures qui sont en cours, les responsables de la CGT, qui ont des responsabilités dans différentes institutions répondront aux questions, voire aux mises en cause qui peuvent être prononcées. La procédure suit son cours. Je n'ai pas de commentaires supplémentaires à faire vis-à-vis de ceux que j'ai déjà produits en la matière.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 septembre 2005)