Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur les questions de sécurité européenne et sur la situation au Proche-Orient, Paris le 11 octobre 2005.

Prononcé le

Circonstance : Réunion du Conseil conjoint sur les questions de sécurité France -Russie à Paris le 11 octobre 2005

Texte intégral

M. Douste-Blazy - D'abord, je voudrais vous remercier d'être présents et vous dire combien je suis heureux d'avoir reçu ici, au Quai d'Orsay, avec Michèle Alliot-Marie, nos homologues russes Sergueï Lavrov et Sergueï Ivanov.
C'est la cinquième fois que les ministres français et russes se rencontrent dans ce format, format du Conseil de coopération sur les questions de sécurité (CCAQS).
C'est un nouvel exemple de la densité des relations franco-russes auxquelles je suis personnellement très attaché.
Je me suis d'ailleurs entretenu dès hier soir avec mon ami Sergueï Lavrov que j'avais déjà rencontré à New York en septembre et je compte aller très bientôt, au mois de novembre, à Moscou.
La rencontre à quatre de ce matin nous a permis de traiter plusieurs questions, d'abord les questions de sécurité européenne, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la prolifération avec, vous vous en doutez, le dossier iranien sur lequel j'ai souligné combien l'unité de notre action est essentielle. Nous avons également décidé de poursuivre une très étroite coopération dans les prochaines semaines, notamment d'ici au prochain Conseil des gouverneurs de l'AIEA du mois de novembre.
Et puis nous avons abordé certaines crises régionales. Nous avons eu une discussion très substantielle sur notre coopération dans le cadre de l'espace commun de sécurité, Union européenne-Russie. Il s'agit là d'une priorité que nous partageons. Nous partageons en effet un même intérêt à renforcer la démocratie et la stabilité dans notre voisinage commun, l'un ne va pas sans l'autre. Nous ne pouvons avoir de résultats durables qu'à travers une coopération étroite et confiante entre la Russie et l'Union. Je pense en particulier aux conflits gelés, aux progrès accomplis avec les autorités russes sur le dossier de la Transnistrie et à notre souhait d'étendre notre coopération aux conflits du sud-Caucase.
Je pense également aux évolutions très préoccupantes en matière de Droits de l'Homme que connaissent certains Etats, l'Ouzbékistan notamment, pour lequel l'Union souhaite un vrai dialogue avec la Russie.
J'ai aussi marqué notre souci face au durcissement du régime biélorusse.
Nous avons par ailleurs évoqué les grandes échéances multilatérales, en particulier la présidence russe du G8 à laquelle nous souhaitons un plein succès et avec laquelle nous sommes prêts à coopérer.
Nous avons aussi parlé, au lendemain du Sommet de Londres, de l'importance pour l'Union européenne et pour la Russie de réfléchir à l'avenir de leur relation qui doit continuer en permanence à se renforcer.
Nous avons évoqué plusieurs questions régionales, notamment hier soir, concernant le Liban. Dans la délicate phase actuelle, le gouvernement libanais doit être soutenu par l'ensemble de la communauté internationale et la Russie a un rôle indispensable à jouer pour la réussite de nos efforts. Nous allons poursuivre un dialogue approfondi avec elle sur ce dossier et je remercie Sergueï Lavrov de la discussion très approfondie que nous avons eue hier soir, lors de notre dîner.
Nous avons aussi parlé du processus de paix au Proche-Orient en général et puis, tout à l'heure, à quatre, nous avons parlé de l'Irak. L'Irak et les perspectives qui devraient résulter du référendum du 15 octobre en vue de l'adoption de la Constitution. Nous avons souligné notre souci commun d'inclusivité pour favoriser un véritable consensus national en Irak et nous avons évoqué l'intérêt d'une conférence internationale en appui au processus politique irakien.
Nous avons aussi parlé des Balkans et en particulier de l'évaluation qui devra être faite de la situation au Kosovo sur la base du rapport de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies. J'ai rappelé que nous continuerions à contribuer aux efforts de la communauté internationale au Kosovo.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire pour introduire cette conférence de presse.
Mme Alliot-Marie - Je crois que le plus simple sera de répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser puisque effectivement, dans l'immédiat, nous avons évoqué les coopérations possibles dans le cadre de la PESD, de l'OTAN ou sur certaines opérations, et ensuite, avec Sergueï Ivanov, nous nous retrouvons tout à l'heure pour évoquer surtout nos coopérations bilatérales.
M. Douste-Blazy - Je souligne juste que la réunion bilatérale des ministres des Affaires étrangères a eu lieu hier, celle des ministres de la Défense, tout à l'heure.
Q - Y a-t-il une convergence de vues concernant la situation au Liban ainsi que sur le dossier palestinien ? Concernant le Liban, y a-t-il convergence quant au déroulement de l'enquête de M. Melhis, concernant l'assassinat de M. Hariri ?
R - M. Douste-Blazy - Nous avons pu parler de cela avec mon homologue hier. Nous sommes complètement d'accord sur une chose : il faut que la justice passe. Il ne s'agit pas de faire de la politique avec la Commission Melhis, il ne s'agit pas d'imaginer à l'avance les résultats, nous ne les connaissons pas. Ce que nous savons, ce que nous voulons, c'est que la justice puisse être rendue. Nous attendons donc de manière digne et sereine, nous faisons totalement confiance à M. Melhis mais nous souhaitons, l'un comme l'autre, nous l'avons redit hier, la pleine application de la résolution 1595. Ensuite, nous verrons de quoi il s'agit et nous verrons ce que dit M. Melhis.
Q - Au-delà des mots, quel genre de coopération pratique pourrait-on imaginer en matière de sécurité entre la Russie et la France ?
R - Mme Alliot-Marie - Nous avons beaucoup d'actions pratiques, notamment des rencontres à haut niveau sur la définition des problématiques stratégiques. Nous avons également des actions communes en matière, notamment, de maintien de la paix, nous avons des entraînements communs, des échanges d'officiers ou des exercices en commun. Cela, c'est dans le cadre bilatéral.
Ensuite, ce que nous souhaitons, c'est que ces actions puissent également exister dans le cadre du rapport entre l'Union européenne et la Russie, à l'instar de ce qui se passe dans les relations entre l'OTAN et la Russie.
Paradoxalement, il y a aujourd'hui moins d'actions entre l'Union européenne et la Russie qu'il n'y en a entre l'OTAN et la Russie. Par conséquent, des coopérations doivent être envisagées dans différents secteurs, qui peuvent être, au-delà des opérations, notamment celle de l'Agence européenne de défense et de l'armement. Ce sont quelques exemples, mais ce sont des exemples concrets pour répondre à votre question.
Q - Je voudrais poser ma question aux ministres de la Défense de la France et de la Russie. A votre avis, la visite de Condoleezza Rice en Asie centrale est-elle liée au maintien des forces américaines dans la région ? En tant que membres de la coalition anti-terroriste, estimez-vous que le maintien des bases en Asie est toujours justifié alors que la première phase opérationnelle en Afghanistan est sur le point de se terminer ?
R - Mme Alliot-Marie - Je voudrais simplement rectifier quelque chose que vous avez dit concernant l'Afghanistan. Lorsque vous dites que l'action contre le terrorisme en Afghanistan est en train de se terminer, je crois que c'est une vision très optimiste de la situation, j'espère que cela se terminera, que cela se terminera vite. Mais ce que nous constatons aujourd'hui, c'est qu'il y a encore de très nombreux accrochages qui ont lieu en ce moment-même dans le sud et dans le sud-est de l'Afghanistan, que les problèmes de porosité de la frontière ne sont pas réglés, et si nous voulons que l'Afghanistan ne puisse redevenir une base arrière et une base d'entraînement pour le terrorisme, il est évident que ces actions doivent aller jusqu'au bout et qu'ensuite, effectivement, c'est à la FIAS qu'il reviendra de garantir la sécurisation et la stabilité de ce pays. Nous n'aurons de certitude sur la fin des bases terroristes que le jour où l'Afghanistan sera redevenu un pays avec un Etat capable de faire régner la sécurité, la paix et le contrôle de tout son territoire.
Q - Vous avez parlé d'une conférence internationale, pensez-vous, avec Mme Alliot Marie que c'est une conférence qui a de réelles chances de voir le jour ?
R - M. Douste-Blazy - D'abord, en Irak, nous voyons une sorte de paradoxe. D'un côté, il y a des violences qui ne font que croître, une communautarisation de plus en plus importante et en même temps, il y a un projet constitutionnel qui avance jusqu'au 15 octobre. Ensuite, il y aura des élections législatives, puis la constitution d'un nouveau gouvernement. Autrement dit, un processus qui avance d'un côté et des violences qui s'exacerbent de l'autre.
Nous pensons que la seule solution, c'est l'inclusivité, c'est faire en sorte que toutes les forces politiques du pays puissent se retrouver et expliquer, y compris aux Sunnites, que dans le cadre dessiné par cette Constitution, ils auront leur place. Il est excessivement important que toutes les forces politiques de l'Irak se retrouvent autour d'une certaine cohésion nationale.
Nous pensons que la seule solution pour l'Irak, ce n'est certainement pas uniquement de tout miser sur les forces de sécurité, c'est au contraire de miser sur le processus politique. Nous sommes évidemment d'accord là-dessus, c'est la raison pour laquelle nous soutenons l'idée russe que le président Poutine a exprimée très clairement, d'une conférence internationale. Encore faut-il savoir quand, comment, avec quel contenu.
Nous aurons donc encore l'occasion, nous en avons déjà parlé ensemble, d'essayer de préciser et de peaufiner l'esprit de cette conférence internationale et de trouver un processus politique.
Q - Concernant l'Iran, l'approche française et russe n'est pas du tout la même. Sur cette question cruciale, vous avez parlé de l'importance de l'unanimité, Monsieur Douste-Blazy, la France est-elle prête malgré tout à faire en sorte qu'il y ait un transfert du dossier au Conseil de sécurité d'ici à la fin de l'année, ou bien faut-il attendre le temps qu'il faudra pour préserver l'unanimité ?
R - M. Douste-Blazy - Le fait de travailler ensemble, le fait de se parler, le fait de pouvoir s'expliquer aide beaucoup. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs.
Nous faisons le même constat, il y a une inquiétude générale de la communauté internationale mais aussi de nos amis russes et de nous-mêmes sur la finalité des activités nucléaires iraniennes. Nous aussi, nous mettons l'AIEA en avant et d'ailleurs, l'idée même de la résolution que les trois Européens ont proposée lors du dernier Conseil des gouverneurs en octobre, allait dans ce sens : faire en sorte qu'il y ait une crédibilité accrue par les Nations unies du rapport du Conseil des gouverneurs et de l'AIEA.
Nous n'avons pas l'intention de vous donner une date, nous n'avons pas de date à donner en ce qui concerne le Conseil de sécurité. Nous souhaitons simplement deux choses : que la communauté internationale soit la plus unie possible et expliquer à l'Iran que notre but n'est pas la crise mais la négociation. Il faut expliquer à l'Iran que l'Accord de Paris de novembre 2004 doit continuer d'être respecter. Nous souhaitons expliquer et étudier les propositions russes qui ont été faites, nous souhaitons mieux associer, mieux nous associer, mieux nous parler, pour préparer le prochain Conseil des gouverneurs, de façon à disposer des mêmes données, des mêmes connaissances, pour travailler ensemble sur ce sujet. Car, en effet, les Russes ont aussi cette capacité à parler à l'Iran, qui est un grand pays, une grande civilisation qu'il faut respecter. En tout état de cause, il faut être ferme également sur les activités iraniennes nucléaires. C'est ce que je vous avais toujours dit et nous ne changeons pas d'avis à ce sujet.
Q - Vous avez déclaré que vous souhaitiez développer votre coopération avec la Russie sur certaines zones dites de crise, dans l'espace ex-soviétique. Quelles sont vos propositions pour la Biélorussie ou autres zones dites à problèmes ?
R - M. Douste-Blazy - Hier, avec mon homologue et ami Sergueï Lavrov, nous avons eu un certain nombre de discussions tout à fait classiques et normales entre nos deux pays. Il n'y a pas de différences, nous nous sommes dit les choses avec énormément d'honnêteté et d'amitié. Il n'y a rien de particulier à ce sujet.
Sur la Biélorussie, je me suis déjà exprimé, je n'ai rien de plus à ajouter que ce que j'ai dit tout à l'heure.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2005)