Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la prise en main par les Africains de leur destin collectif et la mobilisation internationale en faveur de l'Afrique, à Paris le 6 juin 2005.

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Circonstance : Clôture du Colloque sur les perspectives africaines, à Paris le 6 juin 2005

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général de l'OCDE
Monsieur le Président de la Banque africaine de Développement,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse de l'occasion qui m'est aujourd'hui donnée de m'exprimer en clôture de ce colloque qui a permis de constater que les perspectives économiques en Afrique étaient encourageantes. Dans ces nouvelles fonctions de ministre chargée de la Coopération et du Développement qui sont maintenant les miennes, j'apprécie particulièrement de m'exprimer aujourd'hui devant vous avec une tonalité d'optimisme. Optimisme relatif, certes, puisque les difficultés restent nombreuses, mais optimisme absolument indispensable à l'avenir de l'Afrique, pour dépasser le fatalisme derrière lequel on s'abrite encore trop souvent pour justifier l'inertie.
Je souhaite donc vous réaffirmer aujourd'hui à quel point le président de la République française, M. Jacques Chirac, et le gouvernement français, croient en ce continent trop oublié de la mondialisation, et pensent qu'une mobilisation s'impose pour lui permettre de trouver les conditions indispensables à sa croissance durable.
Je voudrais remercier la Banque africaine de développement et l'OCDE, représentés aujourd'hui à leur plus haut niveau par MM. Kabbaj et Johnston, d'avoir organisé ce colloque sur les perspectives économiques africaines, à la suite de la récente publication de leur désormais habituel rapport conjoint sur ce thème.
Ce rapport souligne que l'Afrique a connu en 2004 sa plus forte croissance depuis 8 ans. Avec plus de 5 %, c'est un résultat très honorable, mais insuffisant si l'on veut réduire significativement la pauvreté. Bien entendu, une part de cette croissance est le résultat de la forte augmentation des prix des matières premières. Je souhaite à cet égard souligner que l'Afrique peut, elle aussi, bénéficier de la mondialisation en vendant ses productions à la Chine et aux autres économies en très forte croissance.
Mais il ne faut pas attribuer cette forte croissance aux seuls facteurs exogènes. La meilleure gestion économique en Afrique depuis quelques années contribue également à ces bons résultats.
Dans un contexte où la conjoncture mondiale reste bonne pour les matières premières, cet effort de bonne gestion doit absolument être poursuivi. Il faut en effet se souvenir que dans les années 1970, période pendant laquelle le continent africain semblait en bonne voie pour atteindre un niveau de richesse proche de celui des pays industrialisés, grâce notamment à des prix des matières premières élevés, les résultats n'avaient pas suivi. L'inflation non contrôlée, les déficits budgétaires excessifs, le surendettement ont eu pour conséquence une crise de la dette, des plans d'ajustement structurel brutaux, un coup d'arrêt à la réduction de la pauvreté, l'instabilité politique et enfin les conflits les plus sanglants. Tous ces drames, toutes ces souffrances, il faut s'en convaincre, tirent pour partie leur origine d'une gestion insuffisamment rigoureuse des Etats.
Au-delà du cadre macro-économique, d'autres motifs d'espoir existent pour apprécier la réalité des perspectives africaines. Il y a de ce point de vue, deux avancées notables que je souhaite plus particulièrement développer devant vous aujourd'hui, car elles me semblent illustrer la voie à suivre pour le développement : je veux parler de la prise en main par les Africains de leur destin collectif d'une part, et de la mobilisation internationale en faveur de l'Afrique, d'autre part.
1. L'action des Africains, tout d'abord.
Le lancement du NEPAD en 2001 en a probablement été un exemple très emblématique, au moins pour les pays du G8. C'était en effet la démonstration de la prise de conscience par les chefs d'Etat africains de ce que le développement de leur continent reposait avant tout sur eux et sur la bonne gestion de leurs pays, et non sur de simples appuis extérieurs. La "revue par les pairs" est au coeur de ce dispositif. Que les pays africains acceptent désormais, comme le font les pays de l'OCDE, l'évaluation de chacune de leurs politiques, est très symbolique de ce nouvel état d'esprit.
Mais pour emblématique qu'il soit, le NEPAD est loin de constituer un cas isolé de cette prise de conscience de l'importance de l'unité du continent. Car ce regain de l'action africaine touche à tous les aspects de la vie publique en englobant, bien au-delà des seuls enjeux économiques, le fonctionnement démocratique et la sécurité.
L'action déterminée des organisations africaines pour la paix en constitue une illustration tout à fait remarquable. L'Union africaine est en première ligne, mais les organisations sous-régionales, comme la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ou la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC), jouent aujourd'hui un rôle tout aussi essentiel. On le voit aussi bien au Darfour, en Côte d'Ivoire qu'en République centrafricaine.
L'intégration progresse également sur le plan économique, et elle est indispensable pour que les marchés africains puissent atteindre une masse critique, par rapport à la Chine ou à l'Inde, mais également à l'Asie du Sud-Est, où les progrès de l'intégration sont très rapides.
L'action d'organisations africaines telles que l'Union économique et monétaire de l'Ouest africain (UEMOA) commence à faire des émules. L'intégration monétaire de ces huit pays d'Afrique de l'Ouest est un acquis visible. Plus encore, leur intégration commerciale avec un tarif extérieur commun et le fonctionnement quotidien d'institutions régionales sont une véritable référence pour le reste du continent africain. Pour ne citer qu'un exemple, d'ailleurs lié à la question des petites et moyennes entreprises, que vous avez évoquée cet après-midi, la commission de l'UEMOA, dont je voudrais saluer ici le président, M. Cissé, a entrepris des actions de développement du secteur privé. Des progrès sont ainsi réalisés par des moyens aussi divers que la mise en place d'un site Internet, l'harmonisation du droit, ou des revues régulières sur la qualité du climat de l'investissement dans chaque pays.
Je pourrais dire la même chose de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA). Voilà un traité remarquable, qui a permis d'unifier un droit des affaires à la fois original et proprement africain.
2. Mais l'action de la communauté internationale est également essentielle à cette dynamique du développement.
Vous le savez, au mois de septembre prochain, les chefs d'Etat du monde entier se réuniront pour la première fois depuis le Sommet du Millénaire en 2000, afin de tirer un bilan des progrès réalisés sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ils y constateront ce que toutes les analyses économiques ont montré : si ces Objectifs ont de grandes chances d'être atteints en moyenne au niveau mondial, ce n'est malheureusement pas le cas en Afrique.
Cette situation résulte de handicaps importants accumulés sur le continent. Il existe ainsi un phénomène d'accentuation automatique de la pauvreté, par le mécanisme des "pièges de pauvreté" qui font par exemple qu'un village isolé et pauvre, sans infrastructures essentielles, n'attirera pas les entreprises, et ne pourra pas se développer seul sans l'aide extérieure. C'est ce qui justifie et rend indispensable une mobilisation financière internationale, sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Dans la perspective de cette réunion de septembre, le Royaume-Uni a décidé de faire de l'Afrique et du développement un des deux thèmes centraux du sommet du G8 qu'il présidera dans un mois.
Un grand nombre de conférences ont déjà été organisées pour préparer ces échéances. Beaucoup se sont déroulées ou se dérouleront en France. Je voudrais notamment mentionner le Forum sur le développement humain qui s'est tenu en janvier à Paris, le Forum de haut niveau sur l'efficacité de l'aide de début mars, la Conférence sur l'eau en milieu rural en Afrique début avril, ou encore la Conférence sur la microfinance qui aura lieu le 20 juin.
Partout, dans ces différentes réunions, au sein de toutes les instances internationales, la France entend porter la voix de l'Afrique. Et elle y est entendue. J'en veux pour preuve le signal adressé par le nouveau président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, qui a pris ses fonctions la semaine dernière, et qui a placé l'Afrique en tête des priorités de son action en décidant d'effectuer son premier déplacement sur ce continent, comme nous le lui avions demandé.
Si l'Afrique est la première des priorités que la France entend mettre à son agenda en cette année 2005 du développement, la seconde est celle du financement de ce développement.
Tout d'abord, il s'agit pour les bailleurs de fonds d'apporter suffisamment de ressources. Vous le savez, la France a pris l'engagement de consacrer 0,5 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement en 2007, puis 0,7 % en 2012. Depuis 2002, nous sommes en bonne voie dans la réalisation de cet objectif, en progressant de 0,31 % en 2001 jusqu'à 0,44 % en 2005.
Certains pays ont pris des engagements similaires, que je tiens à saluer. D'autres enfin, sans s'engager sur un chiffre, augmentent sensiblement leur aide. C'est le cas des Etats-Unis, qui ont quasiment doublé leur effort en dollars depuis 2000.
Mais ces dépenses budgétaires ne suffiront pas. Nous devrons trouver davantage de ressources, et en particulier des ressources stables, indispensables à l'organisation de la lutte contre la pauvreté dans les pays bénéficiaires. C'est le sens de la proposition française visant à instaurer des mécanismes innovants de financement. Depuis la remise par M. Landau de son rapport au président de la République, ce dossier a connu des avancées considérables. La plus visible est que ce sujet, non seulement n'est plus un sujet tabou, mais il constitue même désormais un véritable thème de travail.
La question de l'instauration de taxes internationales, en particulier, figure aujourd'hui en bonne place à l'ordre du jour de toutes les grandes réunions internationales. Il s'agit-là d'une avancée significative, qui prouve bien que la question n'est plus réservée aux seuls débats d'experts. Et c'est ma fierté que d'appartenir au gouvernement d'un pays dont le chef de l'Etat s'est fait l'ardent défenseur de cette grande et belle idée.
Désormais, ce débat est omniprésent. Le communiqué publié à l'issue des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale en avril dernier a lancé un processus d'identification de l'option qui serait la plus viable. Le chemin ainsi parcouru est déjà considérable puisque ce n'est qu'à l'automne 2004 que la France avait obtenu que ces institutions travaillent enfin sur la faisabilité technique et politique de telles contributions internationales.
Nous continuons d'ailleurs à enregistrer des progrès significatifs. La question est inscrite à l'ordre du jour du prochain sommet du G8, en juillet, à Gleneagles, et le Secrétaire général des Nations unies a lui aussi évoqué dans son rapport du 21 mars les mécanismes de prélèvements internationaux.
Nous cherchons naturellement à recueillir le soutien le plus large, mais en gardant à l'esprit que certains des mécanismes que nous entendons promouvoir pourraient fonctionner sur une base non-universelle.
Pour convaincre, nous devons expliquer notre démarche, mais également rassurer nos partenaires en répondant à certaines de leurs inquiétudes. Nous devons surtout faire des propositions concrètes.
C'est pourquoi nous nous engageons désormais résolument sur la mise au point d'un dispositif expérimental, dans la ligne de l'accord que les ministres des Finances allemands et français ont trouvé en février dernier. Il s'agirait d'appliquer une contribution au secteur du transport aérien, l'un des premiers bénéficiaires de la mondialisation, pour en affecter le produit à la lutte contre les grandes pandémies internationales, en premier lieu le sida.
Avant d'achever mon propos, je souhaite dire également un mot du développement des petites et moyennes entreprises, thème retenu cette année par le rapport de la Banque africaine de développement et du Centre de développement de l'OCDE.
C'est en effet, pour la France, un sujet de préoccupation essentiel. Nous avons défini, en 2004, les priorités de notre aide pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement. Nous avons ainsi décidé de définir sept grandes stratégies sectorielles dont une, intitulée "secteur productif", vise précisément le développement de ces petites et moyennes entreprises.
Ces stratégies ont été validées par le gouvernement, le 18 mai dernier, et serviront désormais de référence à l'action française bilatérale, mais également aux positions françaises dans les enceintes multilatérales. C'est donc dire que la France apportera sa contribution dans ce domaine.
Un autre aspect qu'il convient de ne pas négliger est celui des échanges commerciaux internationaux. La France considère qu'un traitement spécifique est indispensable pour les pays africains. En effet, leurs économies, leurs entreprises ne sont pas en mesure d'affronter aujourd'hui la concurrence mondiale sur un pied d'égalité avec l'Asie, l'Amérique du Nord ou l'Europe. Nous plaidons donc pour que ces pays bénéficient d'un régime préférentiel. Et c'est pourquoi nous continuerons de défendre les pays africains lors de la conférence ministérielle de l'OMC, qui relancera en décembre, à Hong Kong, le cycle de négociation de Doha.
Mesdames et Messieurs, au moment de conclure, je souhaite réaffirmer que la France place beaucoup d'espoir en l'Afrique. Et elle entend bien le répéter inlassablement lors de cette année riche en événements-clés pour le développement. Elle compte ainsi placer ce continent au coeur des priorités internationales, et le faire bénéficier d'une mondialisation mieux régulée.
Tel est bien le sens de l'action que j'entends mener à la tête du ministère de la Coopération, du Développement et de la Francophonie qui vient de m'être confié par le président de la République et par le Premier ministre. Et c'est l'engagement que je prends aujourd'hui devant vous. Soyez assurés de me trouver à vos côtés pour contribuer à la promotion des voies du développement durable du continent africain.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2005)