Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à TF1 le 1er juin 2005, sur le climat social, la priorité à l'emploi et la préparation du nouveau gouvernement.

Prononcé le 1er juin 2005

Intervenant(s) : 

Circonstance : Référendum sur la Constitution européenne le 29 mai 2005

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

PATRICK POIVRE D'ARVOR - Comme promis, avec nous maintenant le nouveau Premier ministre Dominique DE VILLEPIN, bonsoir.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Bonsoir, monsieur POIVRE D'ARVOR.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Par trois fois jeudi, dimanche et encore hier soir, le chef de l'Etat a parlé de nouvelle impulsion à donner au gouvernement. Cette nouvelle impulsion, c'est donc vous qui allez l'incarner. Les Français ont été très durs avec vous dimanche en refusant le texte qui leur était proposé. Quelle leçon en avez-vous tiré ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - D'abord, vous me permettrez de rendre hommage à l'action qui a été menée pendant trois ans par Jean-Pierre RAFFARIN. Une action de détermination et de courage, mais il nous faut entendre le message des Français au soir du 29 mai. C'est un message d'inquiétude ; d'inquiétude devant la situation de l'Europe, devant la mondialisation, devant la situation de la France, à la fois devant le chômage, les délocalisations, leur ambition d'une meilleure protection sociale, et en même temps il y a une très forte impatience. Ils veulent être mieux protégés et en même temps ils veulent pouvoir exprimer davantage leur énergie. C'est bien ces deux expressions - l'inquiétude et l'impatience - qu'il faut réconcilier. Comment les réconcilier ? Par l'action. Par l'action et par le résultat.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ils vous attendent beaucoup sur le chômage. Il y a encore une enquête qui va le prouver dans Le Figaro Magazine, un sondage SOFRES, qui dit que c'est de loin le sujet qui passionne le plus les Français, qui les préoccupe le plus, et qui dit aussi qu'à 92 % ils vous jugent - en tous cas, ils jugent l'action du gouvernement inefficace. C'est un record. Qu'est-ce que vous allez faire pour que cela change concrètement ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - D'abord, nous n'avons pas tenté contre le chômage. Nous n'avons pas tout tenté et il n'y a pas de fatalité. C'est donc le grand combat que nous allons mener. Le président de la République a fixé la feuille de route. C'est la bataille pour l'emploi qui va constituer la priorité de ce gouvernement et je vais la mener personnellement, parce que ce sera la bataille de tous les membres du gouvernement.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Cela fait quand même 10 ans que Jacques CHIRAC est à l'Elysée et vous dites qu'il n'a pas tout tenté. Il y avait encore des recettes à trouver ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays plus de 10 % de chômeurs, des jeunes qui font face à tant de difficultés à rentrer sur le marché du travail, des hommes et des femmes de plus de 50 ans qui ont de l'expérience et du savoir-faire et qui ne peuvent pas l'exprimer. Tout ceci doit nous conduire à lever les obstacles, lever les difficultés qui se présentent sur le marché de l'emploi, qu'il s'agisse du côté des entreprises, qu'il s'agisse du côté des demandeurs d'emploi. Nous devons donc faire preuve de plus d'audace, de plus d'imagination et c'est bien ce que nous allons faire. Je suis un pragmatique, je vais donc au quotidien proposer un certain nombre d'initiatives. Nous allons le faire dans un esprit de dialogue social mais nous voulons le faire vite. Vous avez parlé de 100 jours. Je crois que les Français attendent des résultats. Ils veulent véritablement que cette mobilisation générale débouche très rapidement sur l'action.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Les 100 jours, c'était justement le titre du livre que vous écrit, mais cela concernait Napoléon. Je vous avais reçu pour cela à Vol de nuit mais cela se terminait mal, les 100 jours.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Cela se terminait mal, oui. Absolument. Et les conditions et les circonstances, aujourd'hui, nous le savons tous, sont difficiles voire très difficiles. C'est pour cela que cette mobilisation est celle du gouvernement, celle de toutes les Françaises et de tous les Français. Nous avons devant nous une exigence : c'est celle du rassemblement. Nous le voyons bien : pour réussir, nous devons le faire ensemble, rassembler toutes nos énergies et c'est bien pour cela que les priorités de l'action du gouvernement sont des priorités de mobilisation. L'emploi, je l'ai dit, mais aussi donner à chacun sa place, donner une chance à chacun. Cela veut dire répondre à la situation des plus fragiles, des plus vulnérables, faire en sorte qu'ils puissent face au problème du chômage, au problème de la maladie, face au problème du logement, trouver des réponses plus rapidement. C'est aussi donner la possibilité à tous ceux qui veulent entreprendre - et ils sont très nombreux : 300 000 entreprises ont été crées dans notre pays l'année dernière - ceux-là doivent pouvoir s'exprimer davantage, apporter leur énergie au service de notre pays. La troisième priorité, bien sûr, c'est de mieux préparer l'avenir. C'est l'innovation, c'est la recherche, c'est l'éducation, ce sont les nouvelles technologies, c'est la définition d'une politique industrielle ambitieuse. Avec les pôles de compétitivité, avec l'agence de l'innovation industrielle, nous avons désormais des outils qui vont nous permettre d'agir mieux et plus vite.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Permettez-moi de revenir sur le chômage parce que les Français ont entendu tellement de promesses, tellement de tunnels dont on devait voir le bout. Là, il y a à peu près deux modèles essentiellement. Il y a le modèle social français avec le traitement social du chômage dont on a vu qu'il était particulièrement coûteux et surtout inefficace apparemment ; et puis il y a le modèle anglo-saxon. Pendant 10 ans, les Anglais ont eu Margaret THATCHER qui avait ses solutions et puis ensuite ils ont Tony BLAIR qui avait les siennes ; on a vu tout à l'heure un exemple en Suède. Est-ce que vous allez chercher des recettes un peu partout où vous allez rester fidèle à ce dogme français du traitement social du chômage ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je le dis : je suis un pragmatique, profondément attaché au modèle français. Un modèle qui veut concilier la solidarité et la liberté d'initiative, la liberté d'entreprendre et je veux des résultats. J'aurai donc recours à toutes les expériences, même si certaines ont lieu ailleurs. Je crois qu'il faut tout tenter dans cette lutte contre le chômage, une fois de plus dans le dialogue et dans le respect de notre propre identité, dans le respect de notre modèle social auquel nous sommes tous profondément attachés.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Est-ce que l'on peut être chef du gouvernement sans jamais avoir eu l'onction du suffrage universel, ce qui est votre cas ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le président de la République m'a confié une mission : c'est de rassembler toutes les énergies. La légitimité, c'est la mission.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ce n'est donc pas grave de ne pas connaître l'électeur ou la circonscription ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Vous savez, les électeurs et les circonscriptions, j'ai eu l'occasion tout au long de ces dernières années comme Ministre de l'Intérieur de labourer le territoire français, de rencontrer - y compris dans cette campagne au quotidien. La connaissance des inquiétudes, des préoccupations, des impatiences des Français, j'avais eu l'occasion de l'exprimer depuis déjà plusieurs mois. Cette impatience, cette attente, ce besoin d'action et de résultats, ce sera la priorité de mon gouvernement et j'en rendrai compte aux Français très régulièrement.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - VILLEPIN / SARKOZY, pour beaucoup c'est la surprise du chef, en l'occurrence du chef de l'Etat. Est-ce que c'est possible de faire cohabiter deux tempéraments aussi bouillonnants, aussi sur-actifs ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Quand c'est difficile, tout est possible. Il y a quelque chose qui dépasse nos personnes, qui dépasse ma personne et celle de Nicolas SARKOZY : c'est l'intérêt de la France, l'intérêt des Françaises et des Français, et c'est bien cela qui nous rassemble aujourd'hui. Une même énergie et je me réjouis de l'engagement de Nicolas SARKOZY au sein de cette équipe. Je crois au talent et je me réjouis de pouvoir compter sur son talent dans cette équipe. C'est vrai, vous avez raison, nous nous sommes opposés et puis nous avons travaillé ensemble. Aujourd'hui, nous n'avons qu'un objectif : marquer des points, marquer des buts pour la France.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et c'est possible de s'entendre avec lui ? Vous avez contribué à le faire revenir un peu dans le giron présidentiel, puisque vous l'avez fait revenir en grâce d'une certaine façon.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Monsieur POIVRE D'ARVOR, j'ai une personnalité franche, directe ; Nicolas SARKOZY aussi. Quand il y a un problème, nous nous parlons et nous réglons les problèmes. Les problèmes sont faits pour être surmontés et c'est donc avec beaucoup de clarté et beaucoup de franchise - et je le redis - avec cette exigence qui nous dépasse : le service des Français.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - On avait interviewé le 14 juillet dernier quelqu'un qui nous disait : " Comprenez bien que si vous avez un Premier ministre qui a un Ministre par ailleurs président du principal parti de la majorité, cela veut dire en clair que vous n'avez pas de Premier ministre ". Ce quelqu'un, c'est Jacques CHIRAC bien sûr. Ce qui était valable en 2004 n'est plus valable en 2005 ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous sommes, je le redis, dans une situation difficile. Les Français sont las des querelles de personnes. Les querelles de personnes, je n'en veux pas et ne comptez pas sur moi à aucun moment pour m'y prêter. J'ai une mission, j'ai une ambition pour ce pays : servir la France et toute cette équipe gouvernementale, chacun à sa place, n'aura pas d'autre objectif que de servir les Françaises et les Français. Ne rentrons pas dans des querelles. Notre majorité, nous la voulons unie dans toutes ses composantes, rassemblée. Dans l'action, il est toujours plus facile de se retrouver. Dans le mouvement, chacun trouve sa place, chacun sait ce qu'il a à faire. Croyez-moi, la feuille de route de chacun des Ministres sera extrêmement claire, les résultats seront évalués tous les mois et les Français pourront voir les progrès de ce gouvernement de façon très précise.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Cela veut dire que vous viendrez en rendre compte à la télévision ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je veux soumettre l'action gouvernementale, l'évaluation. Nous sommes au XXIe siècle, et comme dans toute entreprise, toute entreprise humaine, nous avons besoin de marquer les différentes étapes de l'effort que nous engageons. Si les choses avancent, nous en tirerons les conclusions, nous irons encore plus vite. Si les choses, au contraire, piétinent, nous en tirerons les leçons et nous ferons autrement. Je vous le redis : pragmatisme, détermination, ambition pour notre pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Cette nouvelle équipe gouvernementale, quand est-ce qu'on la connaîtra ? Demain ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je pense qu'elle sera connue d'ici vendredi, je l'ai dit, d'ici la fin de la semaine. Nous voulons tenir un Conseil des Ministres sous l'autorité du président de la République d'ici la fin de la semaine.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et elle sera plus resserrée ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je la souhaite unie et resserrée, tout simplement parce qu'il faut agir, agir encore davantage et qu'il est plus facile de le faire dans l'unité et de façon resserrée.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et dans les supputations dont on parlait tout à l'heure dans nos reportages, on a dit beaucoup de bêtises ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Oui, beaucoup de bêtises. Ce sont des supputations toujours cruelles quand on joue avec le destin des hommes, surtout quand ils ont beaucoup travaillé et je crois qu'il faut attendre véritablement que ce gouvernement soit formé pour en connaître la composition finale. Tout le reste n'est que supputations.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Bien. On en fera la comparaison demain soir ou vendredi. Merci, Dominique DE VILLEPIN d'être venu nous accorder votre première interview.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Merci Monsieur POIVRE D'ARVOR.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 septembre 2005)