Déclaration de M. André Rossinot, président du Parti radical, sur les valeurs de la laïcité, Strasbourg le 22 juin 2005.

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Circonstance : Clôture du colloque de l'AMGVF sur le thème "1905-2005 : la laïcité dans la cité", à l'ENA, Strasbourg le 22 juin 2005

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux de conclure les travaux de cette journée d'études de l'AMGVF, consacrée à la laïcité et aux aspects pratiques de son application. Il était important que les maires de grandes villes et les responsables des communautés se rencontrent pour travailler sur ce sujet. Avec le développement de la décentralisation, la multiplication des compétences des collectivités et l'extension des services publics locaux, il est de la première importance d'articuler les enjeux de la laïcité et ceux de la décentralisation. Désormais les problèmes de l'espace public sont d'abord ceux de l'espace public local. Et ce, pour au moins deux raisons :
L'une fondamentale ; c'est le premier lieu où le citoyen se trouve proche d'un pouvoir qui organise sa vie quotidienne.
Et l'autre, qui tient à l'évolution de nos sociétés, à la construction de ces grands espaces institutionnels comme l'Europe, ou bien encore à ce que l'on a pris l'habitude d'appeler la mondialisation. Plus ces grands ensembles s'organisent, plus le citoyen aspire à retrouver les valeurs du vivre ensemble au sein d'un territoire de proximité, d'un lieu au plus proche de ses préoccupations. Peut être faut-il rappeler avec Fernand Braudel que depuis que l'homme n'est plus nomade, depuis qu'il a créé des civilisations sédentarisées, la géographie de ses propres lieux d'installation est devenue un élément de référence fondamental pour sa vie. Quel que soit le lieu où l'on se trouve, l'on n'oublie jamais le lieu d'où l'on vient.
On peut également souligner que le monde que nous connaissons aujourd'hui bouscule singulièrement toutes les références géographiques d'antan. Il y a certes les espaces physiques, mais également les espaces virtuels qui nous viennent des nouvelles technologies, ceux de la mondialisation, des échanges et du commerce, qui modifient notre rapport à l'espace et au temps.
Tout ceci entraîne comme conséquence la nécessité d'avoir des repères et des valeurs. Les repères géographiques sont aujourd'hui de plus en plus des lieux de proximité, le quartier, la cité, les communautés urbaines. Quant aux valeurs, bien évidemment je n'en retiendrai qu'une aujourd'hui, puisque c'est le thème de notre colloque, il s'agit de la laïcité. A son propos d'ailleurs, l'on pourrait reprendre ce qu'écrivait Paul Valéry : " certains mots perdent de leur sens à mesure qu'ils prennent de la valeur ".
Or, comme vous l'avez certainement évoqué lors de cette journée, le sens que retient la conception anglo-saxonne de la laïcité n'est pas tout à fait le sens que retient notre tradition républicaine.
Pour les anglo-saxons, la laïcité est d'abord la liberté des cultes ; mais, pour nous républicains, à la suite d'une longue tradition issue de la révolution française et de la philosophie des lumières, la laïcité représente surtout cette liberté de croire ou de ne pas croire. Cette dernière conception vise à reconnaître en tout homme quelque chose qui lui donne vocation à rechercher, à connaître, à douter, à faire usage de sa raison critique, qui lui confère sa dignité de personne, sa qualité de citoyen et sa valeur d'être humain.
Permettez-moi d'ailleurs de faire remarquer que nombreux sont ceux, outre atlantique et même en Orient et bien évidemment dans notre pays qui, devant la montée des intégrismes et le retour en force des pensées irrationnelles, commencent à nous rejoindre et adoptent cette conception humaniste que je viens de rappeler. Il est vrai également que d'autres, même chez nous, souhaitent s'en tenir à la conception anglo-saxonne de la laïcité, sans toutefois toujours mesurer qu'elle entraîne comme conséquence la dissolution de l'espace républicain dans une multitude d'espaces communautaristes.
Comment, dans ces conditions, se poser la question du vivre ensemble, de la cohésion sociale et de la solidarité dans le respect de l'égalité ? Sans principe qui unifie et qui éclaire, comment l'élu républicain peut-il répondre à des sollicitations diverses, contradictoires, complexes, très souvent antagonistes ?
Si l'on reste républicain, si l'on reste attaché aux grandes traditions de notre République, il devient évident pour un élu local que la laïcité ne peut se réduire à de simples problèmes juridiques où de répartition des espaces religieux. C'est toute la cohérence de la vie sociale qui est en jeu.
Pour cette raison, la laïcité n'est pas qu'un banal thème historique que certains ont voulu voir dépassé et d'autres ont voulu redéfinir. C'est bien au contraire un problème de tous les jours, que nous rencontrons quotidiennement, parce qu'il engage notre responsabilité civique d'élu et nourrit les préoccupations de nos concitoyens.
C'est parce que la laïcité invite tous les individus à se mettre au service de la République, qu'elle est susceptible de tisser un lien, de créer une union, entre tous les hommes. C'est elle qui nous pousse à engager la part de nous même qui appartient aux autres. De ce point de vue, elle revêt le caractère d'un principe universel et devient facteur de cohésion nationale.
On voit en quoi elle rejoint sa sur jumelle, la tolérance, pour s'apparenter à ce grand idéal de pensée que l'on appelle la fraternité. A l'évidence, se dégagent là les piliers de notre conception républicaine.
Chers collègues, par notre travail de ce jour, nous commémorons un centenaire, c'est à dire que nous nous situons par rapport à un passé. La loi de 1905 nous a en effet apporté l'affirmation du caractère privé des croyances et la protection publique de l'exercice paisible des cultes. En ce sens elle reste profondément actuelle, fière et riche d'un exercice centenaire.
Toutefois, si elle reste attributaire de ce passé, la laïcité apparaît à bien des égards comme le principe par excellence de l'avenir. Tout simplement parce que, et on ne le dit jamais assez, parce que tout projet politique, qu'il soit, mondial, européen, national ou local, implique nécessairement une certaine conception philosophique de l'homme et de la société. Tout projet apparaît effectivement comme une demande de sens et de valeurs partagées. Aussi, à bien l'envisager, à bien le comprendre, le projet laïque est porteur d'une certaine philosophie, d'une certaine conception de l'homme large et ouverte qui plonge ses racines dans la philosophie des Lumières et les valeurs fondatrices de la République.
Face aux défis du monde contemporain et au désarroi ressenti par nombre de nos concitoyens, peut-être faut-il rappeler que le progrès humain ne saurait se satisfaire de la seule efficacité du progrès technique ou scientifique, économique ou commercial même s'il demeure nécessaire. La tradition républicaine, humaniste et laïque se doit de ré-interroger sans cesse ce progrès à la lumière de cette question qui est par excellence la question politique : qu'est ce qui fait de l'homme, du citoyen, la valeur suprême ?
Cette même tradition républicaine, humaniste et laïque doit sans cesse rappeler qu'aucune liberté ne peut être affirmée hors les cadres de règles démocratiquement élaborées et discutées ; que c'est le citoyen qui est le fondateur de la loi ; qu'aucune référence théologique ne peut ni ne doit influer sur son exercice politique, même s'il reste toujours libre de donner la signification qui lui convient au sens profond de sa propre existence ; que les normes de vie ne découlent pas automatiquement de l'ordre des choses et de l'ordre du monde mais qu'elles proviennent de l'accord des hommes entre eux.
Or, c'est sans cesse dans ce rappel que doit s'inscrire une organisation de la cité. C'est pourquoi, en tant qu'élus locaux, nous devons garder à l'esprit cet idéal d'un bonheur partagé, républicain, dont la cité est le lieu d'exercice par excellence.
(Source http://www.partiradical.net, le 16 août 2005)